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Décryptage : l’action d’expertise du FEMISE au Liban, un vecteur de consensus… et de réformes ?

Décryptage : l'action d'expertise du FEMISE au Liban, un vecteur de consensus… et de réformes ?
Beyrouth -

Afin de faciliter la mise en place de réformes structurelles dans le pays, la Délégation de l’Union Européenne au Liban a mis en place en 2007 une mission d’intermédiation du Forum Euroméditerranéen des Instituts de Sciences Économiques, ou FEMISE. L’idée sur le rôle du FEMISE est claire : donner l’expertise technique et servir de médiateur, mais sans ingérence dans le processus décisionnel national. Quatre fora ont été organisés, et des consensus ont été atteints…

Photo ci-dessus : le Pr Jean-Louis Reiffers, Doyen honoraire de la faculté de Sciences Économiques d’Aix/Marseille II, Président de l’Institut de la Méditerranée (Marseille), est l’un des principaux animateurs du FEMISE, dont il préside le Comité scientifique. © DR et leJMED.fr


À l’origine, le FEMISE n’est pas une plateforme de négociations politiques, mais bien, comme l’explique Mme Choghig Kasparian, Directrice de l’Observatoire Universitaire de la Réalité Socio-économique (OURSE) de l’Université Saint Joseph, une organisation faite de « rencontres des principaux spécialistes dans la région permettant de créer des échanges spécifiques, et pour certains des collaborations pour travaux, enquêtes, recherches, etc. »

À l’OURSE, membre du FEMISE, on apprécie le côté « fédérateur » du FEMISE, porteur de « régularité, de continuité » dans le travail de recherche, même si, n’ayant jamais bénéficié d’aucun financement, Mme Kasparian appelle de ses vœux à « un peu plus de flexibilité ». Mais Mme Kasparian le reconnaît : « Au Liban, le FEMISE a été plus connu dans le cadre de ces tables-rondes de partis politiques et penseurs que dans le cadre des études, sauf pour les universitaires évidemment. » Le FEMISE est en effet sorti de son cocon universitaire pour devenir « de plus en plus important, notamment auprès des gouvernements. »

Quatre fora exceptionnels

Quatre forums ont été tenus en tout et pour tout, avec des résultats exceptionnels. « Le rôle du FEMISE était d’être un relais », explique Patricia Augier, co-auteure du rapport ayant servi de base aux négociations sur l’agriculture. L’idée est claire : donner l’expertise technique et servir de médiateur, mais sans ingérence dans le processus décisionnel national.

Comme l’explique Mme Augier, également Maître de Conférence à l’Université de la Méditerranée et Directrice adjointe du centre de recherche en Développement Économique et Finance Internationale (DEFI), « il y a des économistes d’excellent niveau au Liban tout à fait capables de faire ça à notre place. L’avantage de faire appel au FEMISE, c’est sa neutralité. »

Et cette technique porte ses fruits en termes de consensus. Alors que le rapport sur l’agriculture dressait un tableau difficile de ce secteur au Liban, il y a eu, selon Mme Augier, « une réelle avancée. Je pense qu’on aurait pu aller plus loin encore, mais l’intérêt de ce forum, c’est d’avoir l’accord des différents blocs parlementaires. »

Des consensus ont donc été trouvés sur les coopératives, nécessaires, mais aussi pour la création d’une chambre agricole indépendante : « Les agriculteurs relèvent des chambres de commerce et d’industrie. Et les intérêts des personnes qui sont à la chambre de commerce ne sont pas ceux des agriculteurs. D’ailleurs on voit très bien les conséquences négatives en termes d’utilisation de pesticides à outrance, le manque de conseils techniques, etc. En plus il n’y a pas de système d’assurance. C’est dramatique, un agriculteur peut tout perdre… »

Mme Augier se satisfait aussi de la bonne tenue des débats : « J’ai été frappée de l’adhésion générale, s’enthousiasme-t-elle, et de la confiance que nous faisaient nos interlocuteurs. Je pense qu’ils ont vu qu’on avait bien cerné les problèmes. »

Le Pr Jean-Louis Reiffers pointe "un problème organique
dans l’organisation du système libanais"

Malgré ce quadruple succès, rare au Liban, la Délégation de l’Union Européenne ne semble pas avoir l’intention d’organiser d’autres fora. La Commission serait cependant prête à parrainer une nouvelle rencontre à la demande des autorités libanaises.

La Délégation se félicite que certaines recommandations aient été reprises dans la déclaration de politique générale du récent gouvernement, mais dit toutefois espérer que ces recommandations soient mises en pratique un jour au niveau législatif. Et c’est bien là que le bât blesse : malgré les consensus, les forums n’ont pas été suivis de réformes.

Jean-Louis Reiffers, Doyen honoraire de la faculté de Sciences Économiques d’Aix/Marseille II, Président de l’Institut de la Méditerranée (Marseille), a été, avec l’assistance du Dr Ahmad Galal, président de l’Economic Research Forum du Caire, le modérateur du premier forum (Stratégie économique d’ensemble) ainsi que du quatrième (Agriculture), le deuxième (les politiques sociales) et le troisième (les PME) forum étant modérés par Dr Galal avec l’assistance du professeur Reiffers. Il se dit ravi d’avoir participé à « une des expériences les plus intéressantes de sa vie professionnelle » et parle d’un « excellent résultat ! Il y a eu unanimité à chaque coup sur le résultat, sur des sujets délicats. »

Il cite entre autres sujets de consensus « une stratégie de développement moins extravertie, la reconstitution des bases productives, la généralisation du carnet de santé, la nécessité de rendre plus rentable l’Électricité du Liban, la nécessité de retrouver un équilibre territorial dans le nord, dans la montagne, dans la Bekaa, avec Beyrouth. A ma grande surprise, il n’y a même pas eu de débat là-dessus, tout le monde était d’accord. »

Jean-Louis Reiffers explique son point de vue sur l’absence de mise en œuvre législative des conclusions des fora par le calendrier politique :

« Je crois que ça n’est pas une question de temps. Une fois que vous avez l’avis stratégique, unanime ou presque, après vous rentrez dans des problèmes compliqués : la mise en œuvre, avec les intérêts des uns et des autres, qui fait que, par secteur, les partis politiques se sont partagés l’administration…

Je crois que c’est plutôt un problème organique dans l’organisation du système libanais. On donne à tel parti telle responsabilité, à tel autre telle autre, et après il faut partager les budgets, mettre ça en route, et c’est là que ça devient plus compliqué. Au niveau du management même de l’économie libanaise, et de la société libanaise, on a un problème de pilotage. » Le problème est plus large que le simple calendrier : « Il n’y a pas d’État fort. »

Pourtant, « le forum a vraiment joué un rôle, et d’ailleurs c’est ce que dit la Délégation », explique le Pr Reiffers, mais en ce qui concerne la transformation des intentions en acte, « le Forum il n’a pas réussi ça, d’ailleurs ça n’était pas à son agenda. »

Et c’est la raison pour laquelle un cinquième forum n’a pas eu lieu, rejeté par le FEMISE lui-même. « La réalité, c’est qu’on s’est dit que le cinquième, il allait un peu être en-dessous du niveau des autres. » Après quatre succès consécutifs, « ça n’avait plus une énorme utilité. Si on veut rentrer de manière plus intime dans la modification du fond, il faut prendre institution par institution, il faut mettre plus d’argent, et de conseil : ça devient un autre exercice. »

Le Pr Reiffers craint en effet que cela « risque de devenir un moyen d’éviter précisément d’aller au cœur des problèmes difficiles. L’analyse qu’on a faite, Ahmed Galal et moi, c’est que, d’une certaine manière on était allé au bout de ce qu’on pouvait faire et que c’était un grand succès. Maintenant il y a le problème de contenu, d’institutions, on est d’ailleurs prêt à y participer. »

Jean-Louis Reiffers insiste sur le fait qu’il n’y avait « aucune espèce de déception » et affirme que le FEMISE est « toujours prêt à continuer vers la mise en place d’une action plus lourde, moins générale », mais pas forcément dans les mêmes conditions. « Vous n’êtes pas obligé d’avoir les chefs des partis politiques, explique-t-il. On verrait plutôt les responsables d’institutions, prenant problème par problème : l’énergie, l’aménagement du territoire, avec une analyse plus profonde, essayer de faire ressortir des conclusions, avoir un instrument d’évaluation de l’avancement des résultats… »

Tout en respectant la souveraineté décisionnelle du Liban, la mise en œuvre effective et technique des conclusions des forums par l’État libanais semble donc être nécessaire pour faire aboutir le processus lancé avec ces forums fort réussis, initiative portée certes jusqu’au consensus mais pas (encore ?) convertie en réforme.

Julien Théron - Beyrouth, Eurojar
Publié le 5 juillet 2010


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