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Laurent VIGIER (CDC) : « Aujourd’hui en Méditerranée, les peuples aspirent à la modernité. C’est une bonne nouvelle ! »

Laurent VIGIER (CDC) : « Aujourd'hui en Méditerranée, les peuples aspirent à la modernité. C'est une bonne nouvelle ! »
Paris -

Directeur des Affaires européennes et internationales de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), Laurent Vigier nous a accordé une longue entrevue où sont passés en revue de détail les nombreux engagements de la Caisse dans le partenariat euroméditerranéen. Et, d’une question-réponse à l’autre, l’on constate que le tropisme pro-méditerranéen de la Caisse se concrétise par le déploiement d’une stratégie de l’action « au long cours », multiforme, souvent innovante, toujours proactive…

Photo ci-dessus : Laurent Vigier, Directeur des Affaires européennes et internationales de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), dans le jardin de l’Hôtel de Pomereu qui abrite des bureaux de la CDC, à Paris. © LeJMED.fr - avril 2011


Un entretien exclusif pour LeJMED.fr
réalisé par Alfred Mignot


Laurent Vigier à l’Hôtel de Pomereu, à Paris, où se trouve son bureau de la Direction des Affaires européennes et internationales de la CDC. © LeJMED.fr - avril 2011

LeJMED.fr - Monsieur Vigier, avant d’en venir à la revue de détail des nombreux engagements de la Caisse des Dépôts en Méditerranée, voulez-vous nous rappeler les fondements de votre action internationale et méditerranéenne, tels qu’ils ont été posés dans le Plan stratégique de la Caisse, en 2007 ?

Laurent Vigier - La Caisse des dépôts est principalement un investisseur public français, mais c’est également un groupe dont les filiales opèrent dans le domaine concurrentiel, à l’échelle européenne et mondiale. Il faut bien que l’établissement public ait une ouverture sur le monde pour bien comprendre l’environnement dans lequel lui-même opère. C’est cela qui nous a amené à considérer qu’il y avait des choses à faire au plan international.

D’abord en établissant des relations institutionnelles, susceptibles de déboucher rapidement – et notamment en Méditerranée, où s’est opérée la première réalisation concrète – vers des logiques de coinvestissement. Nous avons ainsi pu constater qu’il y a effectivement des institutions, non seulement en Europe – en Allemagne, en Italie… ainsi que la BEI, la Banque européenne d’investissement – mais aussi au-delà – comme la Caisse des Dépôts marocaine ou d’autres encore, en Asie avec la Banque de développement de Chine, et dans les pays du Golfe – qui en réalité présentent beaucoup d’affinités avec nous.
C’est avec ces institutions que nous avons commencé à bâtir un réseau relationnel qui évolue vers un réseau d’affaires, le Club des Investisseurs de long terme.


LeJMED.fr - Et en Méditerranée, plus particulièrement ?

Laurent Vigier - La logique de l’action en Méditerranée s’apparente à celle de l’Europe dans ses interventions de “voisinage”… Pour nous, il y a la France, notre espace naturel d’investissement, et l’Europe, prolongement tout aussi naturel de nos politiques publiques. Mais, l’intérêt général français s’étend bien sûr au-delà de l’Europe, et notamment en Méditerranée, de plus en plus.

En fait, avant même le projet institutionnel de l’Union pour la Méditerranée, on voyait déjà un rapprochement économique s’esquisser dans les indicateurs de tendances économiques, avec un développement des investissements étrangers dans cette zone, et des manifestations d’intérêt de beaucoup d’entreprises, qui commençaient à se poser la question d’implanter éventuellement des activités du côté sud de la Méditerranée… tout cela sur un fond de liens humains extrêmement denses. C’est pourquoi je pense que nous ne pouvons pas considérer la rive sud de la Méditerranée comme un ensemble de pays étrangers, mais plutôt comme des pays autres, mais qui ne nous sont pas étrangers !

Il se trouve par ailleurs que nous avions une relation institutionnelle ancienne avec la Caisse de Dépôt et de Gestion du Maroc, créée il y a 50 ans sur le modèle de notre Caisse des Dépôts, et qui a connu un développement important et une forte croissance de ses activités depuis l’avènement de Mohamed VI. Ainsi, nous avons commencé ensemble à regarder si au-delà des relations institutionnelles que nous avions, nous pouvions aller plus loin dans la coopération. Cela s’est notamment traduit par la création, ensemble et avec d’autres partenaires, du fonds Inframed, en mai 2010.


LeJMED.fr - Augustin de Romanet, Directeur général de la Caisse, et vous-même, intervenez régulièrement dans des colloques dédiés au partenariat euroméditerranéen. Tous deux y faites montre d’une grande conviction… mais, cette conviction est-elle « fonctionnelle », ou croyez-vous vraiment à la nécessité d’un partenariat puissant entre les deux rives de la Méditerranée ?

Laurent Vigier – C’est en effet une forte conviction, étayée par le constat de complémentarités nord-sud flagrantes ! La Méditerranée est aujourd’hui la zone du monde où le différentiel de développement et de revenus entre le Nord et le Sud est le plus considérable. Certes, la Méditerranée présente des risques importants – politiques, migratoires – mais aussi des opportunités, si l’on considère son dynamisme dans la perspective de son rattrapage économique, qui bénéficierait pareillement aux deux rives. Mais, ces opportunités ne se concrétiseront que si les pays européens accompagnent le mouvement.

Je pense que la démarche que nous avons engagée est positive, car nous considérons que nous avons potentiellement sur la rive Sud à la fois des interlocuteurs et des partenaires, et qu’il faut que l’on regarde aussi davantage ces peuples qui sont en quelque sorte de l’autre côté de la rue – ce qu’au fond la Méditerranée a toujours été au fil de l’Histoire –, et une rue cela se traverse, on se parle les uns aux autres, conscients que les bonnes relations sont un peu comme les oliviers, cela s’entretient…

Cette proximité entre les deux rives est aussi accentuée par la mondialisation : la Méditerranée est de plus en plus une grande voie de transit maritime, fait illustré notamment par la création de Tanger Med, mais ce port de transbordement nous est en quelque sorte commun, puisqu’il dessert non seulement l’Afrique du nord, mais aussi la rive européenne de la Méditerranée.
C’est un exemple d’évidente complémentarité. Il y en a d’autres, comme les énergies renouvelables, avec les terres du soleil au Sud, et la technologie au Nord…


LeJMED.fr - Lorsque vous évoquez le différentiel de développement entre les rives nord et sud de la Méditerranée, et donc le potentiel de croissance partagée, on pense aux thèses de l’IPEMED sur ce sujet. Etes-vous partenaires ? Effectuez-vous vos propres travaux d’analyse et de recherche ?

Laurent Vigier - Nous sommes effectivement partenaires de l’IPEMED, ainsi que d’autres institutions qui travaillent sur la Méditerranée. Nous avons aussi notre propre Institut pour la recherche, avec des universitaires que nous faisons travailler sur différents sujets, par exemple l’épargne des migrants. Outre cette capacité propre de recherche, nous disposons aussi de beaucoup d’informations qui nous remontent de la part des filiales actives dans la région, et qui en confirment le dynamisme.

Les récents événements nous conduisent aussi à regarder cette région différemment… Je pense que c’est une région en effervescence, et que cette effervescence est très largement positive. Alors oui, chaque fois que les choses bougent, il y a des risques… mais quand les choses sont immobiles, elles sont mortes ! La Méditerranée est aujourd’hui en mouvement, c’est bien la preuve qu’elle est vivante, que les peuples aspirent à quelque chose d’autre, manifestement à la modernité, politique et économique, me semble-t-il. Et c’est une bonne nouvelle !


LeJMED.fr - Le « Printemps arabe » vous conduit-il à reconsidérer votre vision stratégique de l’action que vous développez en Méditerranée ? Comme c’est par exemple le cas de l’Union européenne, et de la BEI-FEMIP, qui se sont engagées à soutenir fortement la transition démocratique en Tunisie ?

Laurent Vigier - Premièrement, il convient de souligner que notre action dans la région n’est pas politique, au sens où elle serait tournée vers les gouvernements. Notre action est tournée vers le potentiel économique de ces pays, de leur population, de leurs entrepreneurs, vers le potentiel d’échanges et de croissance que recèlent les sociétés.

Avec notre Plan stratégique de 2007, nous avons conçu d’entrée de jeu nos interventions dans la région en fonction des besoins de financement à long terme : c’est le fonds Inframed, pour les infrastructures urbaines, énergétiques et de transport. En fait, on peut considérer que notre réponse est antérieure aux événements, puisque notre démarche a été d’essayer de construire des interventions qui soient ciblées sur les besoins réels des populations.

D’autre part, nous n’intervenons pas dans des opérations spéculatives, immobilières ou autres, mais dans un cadre très institutionnel, en ciblant les besoins de l’économie réelle. Par exemple, l’urbanisation et la littoralisation des pays sud-Med vont se poursuivre, quel que soit le régime politique… Idem pour les besoins énergétiques, ou encore pour l’éducation – nous travaillons actuellement sur le projet d’université internationale de Rabat – et pour la microfinance… Ce sont des besoins du présent et de l’avenir, auxquels il faut apporter une réponse, quoi qu’il advienne politiquement.

Même chose encore pour la question de l’accès à l’énergie renouvelable, aux transports – la caisse des Dépôts est présente, à travers ses filiales, depuis la conception et maintenant dans la gestion du tramway de Rabat – ou encore pour le soutien aux PME : nous avions lancé il y a une dizaine d’années le fonds Averroès, qui a obtenu de très bons résultats, ce qui nous a amenés à lancer Averroès 2, l’année dernière, en l’élargissant d’ailleurs à d’autres pays, la Tunisie et le Liban notamment…

Donc, au fond, notre engagement de long terme au regard des besoins réels de l’économie n’est pas remis en cause par les événements. Et nous misons sur le dynamisme de la région.


LeJMED.fr - Et le risque politique ?

Laurent Vigier - Il existe oui, et on ne peut pas le gommer ! D’où une certaine diversification de nos investissements, c’est logique. En même temps, j’aurais tendance à considérer que la vertu de l’investissement de long terme est précisément d’essayer de lisser le risque, dans la durée.

Et si des risques politiques existent – en tout cas si des changements politiques surviennent – la tendance de long terme, dans une société dont le niveau de vie croît, et qui tend à se moderniser, c’est quand même le développement économique. Et fondamentalement, ce à quoi nous assistons, c’est un phénomène de modernisation de la sphère politique, puisque dans ces pays les populations, et particulièrement la jeunesse, aspirent à être davantage entendues, davantage prises en compte. On assiste au réveil des sociétés civiles, et ce n’est pas étonnant : comme on le sait depuis Tocqueville, les révolutions interviennent généralement quand la situation économique s’améliore.

Plusieurs indicateurs illustrent d’ailleurs ce cheminement vers la modernisation : la transition démographique, l’élévation du niveau de vie et d’éducation… Et de ce fait des situations qui naguère encore apparaissaient “normales” deviennent plus difficilement acceptables dans des sociétés qui se modernisent. C’est la vie ! Les mêmes processus se sont produits en Europe, en Amérique latine et en Europe de l’Est, et maintenant en Afrique du Nord et dans le monde arabe.

De ce point de vue, c’est aujourd’hui le temps des peuples. Il faut respecter ce temps des peuples, être prêt à accompagner leurs aspirations à une plus grande modernité économique, sociale et politique ; mais leur Histoire leur appartient, et je crois qu’il est très important de respecter cette volonté et cette autonomie des peuples. Ce qui se produit est certes une partie de l’Histoire universelle, mais c’est d’abord leur Histoire qu’ils sont en train d’écrire.


LeJMED.fr - Etes-vous confiant quant à l’évolution, à terme, de ce « Printemps arabe » ?

Laurent Vigier - Je pense qu’il faut être confiant dans l’évolution et la capacité de ces sociétés à se moderniser à tous les points de vue – économiquement socialement politiquement. Et si cette modernisation réussit, ce sera très bon pour l’investissement ! On l’a d’ailleurs constaté chez tous les pays qui ont mené ce processus jusqu’au bout…

Certes, chaque pays avancera selon ses propres modalités nationales : certains passeront par une révolution, d’autres par des phases de réforme… L’important, c’est le point d’arrivée à des sociétés plus modernes, c’est-à-dire plus ouvertes, dans lesquelles les grands investisseurs seront plus sereins, parce qu’ils auront plus de visibilité, parce qu’ils savent que des populations qui se sentent bien dans leur pays consomment davantage, investissent davantage, et que cela entraîne du développement.

C’est à mon avis une tendance en perspective de moyen terme. En attendant, je pense qu’il faut aussi être capables de répondre aux sollicitations qui peuvent venir de ces société et des nouvelles autorités qui se mettent en place, en considérant que c’est à elles de formuler leur demande. Nous devons nous mettre en mesure de comprendre ce qui se passe – et d’une certaine manière, c’est l’objectif de l’OCEMO, l’Office de Coopération économique de la Méditerranée et de l’Orient, lancé récemment à Marseille, et que nous soutenons.

Nous devons également être en mesure de répondre à ces demandes. C’est pour cela que nous avons indiqué tout de suite notre disponibilité, lorsque nous avons été sollicités par les nouvelles autorités de Tunisie pour contribuer à la mobilisation d’expertise sur la question d’un déploiement plus important des opérations de microfinance, ou encore pour travailler sur la mise en place d’une Caisse des dépôts de Tunisie, qui puisse être un instrument de transformation de l’épargne nationale tunisienne en investissements pour le pays.

Ainsi, nous avons répondu positivement à la sollicitation des autorités de Tunisie, nous avons commencé à travailler avec elles à ce projet qui leur appartient. Si elles décident d’aller jusqu’au bout, nous sommes naturellement avec elles pour établir un partenariat de long terme entre la nouvelle Caisse des Dépôts de Tunisie et la Caisse des Dépôts française.

Dans cet esprit, à l’occasion de la visite de Mme la ministre Kosciusko-Morizet, un représentant du fonds Inframed, s’est rendu en Tunisie pour avoir des discussions avec les nouvelles autorités sur leurs projets d’investissement dans les infrastructures, qui pourraient éventuellement être regardés par Inframed. Certes, il y a le tempo lent des projets, qui demande le temps d’analyse nécessaire, mais je pense en tout cas que ce qui se passe en Tunisie va améliorer à terme le climat et les opportunités d’investissement dans le pays.


LeJMED.fr - En fait, vous nous dites que votre vision stratégique de long terme n’obère pas une capacité de réactivité immédiate… ?

Laurent Vigier - Nous sommes réactifs dans le court terme, tout en reconnaissant qu’aujourd’hui c’est le temps des peuples, c’est le moment des réformes, et sans doute nous faut-il juste avoir la discrétion de ne pas se mettre en avant, l’attitude adéquate étant, comme entre amis, d’être discrètement présents dans les moments importants.


LeJMED.fr - Où en êtes-vous avec le fonds Inframed, que vous avez lancé en avril 2010 ?

Laurent Vigier – Le fonds Inframed visait deux objectifs : mobiliser des financements pour des projets, mais aussi créer une capacité professionnelle de financement des infrastructures dans la région. C’est pour cela qu’il y a une équipe Inframed à Paris, mais aussi au Caire et à Rabat.

Mais, outre le temps lent de maturation des projets – instruire des projets d’infrastructure, c’est mettre en œuvre des processus complexes, surtout pour de nouveaux projets qui ont besoin d’un peu de visibilité – encore fallait-il compter avec le temps nécessaire à la construction d’une équipe : le fonds a été créé pour quinze ans, il fallait bien quelques mois pour constituer une équipe compétente, qui travaillera ensemble durant ces quinze ans. Maintenant, tout le schéma est opérationnel. Sous la conduite de son Directeur général, Frédéric Ottavy, l’équipe est au travail, et aujourd’hui un certain nombre de projets sont au stade où ils vont être présentés pour des décisions de financement.


LeJMED.fr - Quels seront les premiers choix d’investissement du fonds Inframed ?

Laurent Vigier - Le fonds est géré par une équipe indépendante, avec un Comité d’investissement indépendant, donc je me garderai bien d’évoquer précisément le nom de tel ou tel projet.

Je peux tout de même vous dire que j’espère que l’on pourra maintenant finaliser rapidement le premier investissement, sachant qu’en termes de levée de fonds, il y avait deux levées en parallèle de fonds locaux, en Egypte et au Maroc, pour coinvestir aux côtés d’Inframed.
Le fonds marocain a été mis en place par la Caisse des Dépôts et de Gestion du Maroc ; notre partenaire égyptien EFG Hermès était sur le point de mettre en place son premier fonds, mais chacun comprendra qu’ils vont avoir besoin d’un peu plus de temps.
Nous sommes tout de même confiants, parce que EFG Hermès est une institution avec une très bonne réputation professionnelle, et c’est d’ailleurs un partenaire régulier de la Banque européenne d’investissement.
Pour terminer sur ce point, je pense qu’ils sont en train d’opérer les ajustements nécessaires pour tenir compte de la situation nouvelle.


LeJMED.fr - Et le fonds de fonds Averroès 2 ?

Laurent Vigier - Averroès 2 continue, c’est un mécanisme bien rodé… Il investit en fonds de fonds, donc nous avons pris des tickets dans un certain nombre de fonds locaux, avec l’Agence française de développement, l’idée étant de développer le capital investissement sur la rive sud de la Méditerranée.

Outre que le mécanisme est bien rodé, de très bonnes équipes sont en place – je pense par exemple à Tuninvest, qui réunit de très bons professionnels de talent. Ce sont des équipes qu’il faut accompagner, et en faire émerger de nouvelles. D’autant que les transformations en cours peuvent amener à faire émerger plus d’esprit d’entreprise, plus de liberté économique sur la rive sud. Ce sera une très bonne nouvelle donne ! Et un élément à prendre en compte dans notre stratégie d’investissement : nous devons être attentifs, en veille sur l’émergence de nouvelles capacités dans les domaines de gestion d’actifs, d’investissement en capital-risque et en capital investissement.

Pour autant, comme nous l’avons toujours dit, nous nous situons vraiment dans une logique de subsidiarité, nous ne faisons pas « à la place de ». Nous investissons, mais notre objectif est aussi que nos interventions amènent à donner la clé des choses – la clé de la voiture ! – à nos partenaires de la rive sud : favoriser leur progression vers la qualité, appuyer l’alignement de l’action sur une philosophie de long terme, de contribution à un développement social, durable et humain.


LeJMED.fr - Quelle est votre appréciation de l’Union pour la Méditerranée (UPM), à propos de laquelle Alain Juppé a déclaré qu’il faut la refonder ?

Laurent Vigier - Les responsables politiques apprécient politiquement une situation politique !… Je pense que l’UPM est une excellente idée, parce qu’elle a permis de remettre la Méditerranée sur l’agenda politique de l’Europe. Nous l’avions oubliée ! On y avait pensé après les Accords d’Oslo, puis nous avons eu à gérer l’élargissement, et nous l’avons oubliée. On regardait nos relations avec tel ou tel pays, mais on ne regardait par la région dans son ensemble, et d’ailleurs on nous disait que cela n’aurait pas été pertinent de considérer globalement la région, puisque chaque pays était particulier…

Mais, que voit-on aujourd’hui ? On voit qu’en réalité, avec les révolutions en cours dans le monde arabe, ou les réformes engagées par d’autres pays, il y a des résonances très importantes entre ces différents pays et sociétés, qui sont à l’écoute les uns des autres.

L’Europe ne peut pas ignorer ce fait. Et l’un des effets possibles des transformations actuelles, ce sera peut-être de libérer enfin le potentiel des échanges que recèlent les pays de la rive sud de la Méditerranée.

Si les solidarités qui se sont exprimées entre les peuples se retrouvent entre leurs nouveaux gouvernements, alors on pourra peut-être enfin débloquer cette logique de coopération régionale qui avait tellement de peine à se mettre en place. Au fond, c’est peut-être là que se trouve l’enjeu.

Qu’il faille adapter l’Union pour la Méditerranée, c’est une évidence. Il faut ajuster un instrument politique créé à un moment donné dans une situation politique donnée, mais aussi parce qu’il y a eu une appréciation objective portée sur le potentiel de cette région. Il faut donc l’adapter à une nouvelle donne politique.
En revanche, je pense que ce qui se passe aujourd’hui confirme la justesse de l’impulsion politique de l’UPM : la Méditerranée, cela compte pour nous ! Non, ce n’est n’est pas une collection de pays tous “particuliers”, il y a aussi des solidarités et des résonances entre les sociétés, et des complémentarités économiques qui peuvent se mettre en place. Et ce qui se passe permettra peut-être de donner sa véritable portée à l’Union pour la Méditerranée.


LeJMED.fr - Quelques mots sur le 2im, votre initiative pour l’investissement pour la Méditerranée ?

Laurent Vigier - Nous avons présenté le rapport sur l’Initiative pour l’investissement pour la Méditerranée (2im) très récemment, il y a un mois environ à Barcelone… Cette initiative avait été lancée par nous avec la Caisse de Dépôts et de Gestion du Maroc.

Notre idée était d’amorcer les financements des besoins de la région, et nous avons considéré qu’il fallait compléter notre intervention par une analyse un peu plus technique, par une évaluation des obstacles à l’investissement en Méditerranée, et aussi sur comment rassurer les investisseurs, comment les convaincre que cela vaut la peine de prendre des engagements sur cette zone.
Un certain nombre de réflexions que nous avons émises dans ce travail d’expertise, notamment sur la création de mécanismes de garantie des investissements en Méditerranée, se retrouve aujourd’hui dans les travaux de la Commission européenne sur ces mêmes questions.

À travers cette initiative, nous avons toujours considéré que nous essayons d’apporter une contribution d’experts et de praticiens à un débat qui au fond est politique : quels sont les instruments, quels environnements réglementaire et financier doivent être créés pour arriver à convaincre les grands investisseurs de mettre plus d’argent au sud.


LeJMED.fr - Dans le débat actuel sur l’éventuelle création d’une Banque pour la Méditerranée, soit par extension de la zone de compétence de la BERD, soit par filialisation des activités de la BEI-FEMIP, quel est votre point de vue ?

Laurent Vigier - Mon premier avis est que la création d’une institution type Banque de la Méditerranée, c’est une très bonne idée ! On a appliqué cette démarche en Europe de l’Est avec la création de la BERD, et cela a très bien marché. Comment faire ? Plusieurs hypothèses sont aujourd’hui sur la table : celle de la filialisation de la FEMIP, probablement l’hypothèse la plus élégante, la plus logique et la plus facile, si on veut la mettre en œuvre ; mais, elle rencontre certains blocages, certaines réticences. Personnellement, je formule l’espoir que ces obstacles et réticences soient surmontés.

Mais, si cette voie-là ne peut pas aboutir, il faut évidemment en explorer d’autres. Je comprends qu’autour de la BERD se développent aussi des réflexions, d’autant qu’elle compte déjà des actionnaires issus de la rive Sud et Est de la Méditerranée, Maroc et Turquie. Mais, il serait nécessaire de revoir certains traités pour élargir le champ géographique de l’intervention de la BERD en Méditerranée.


LeJMED.fr - Mais tout de même, c’est bien la FEMIP qui détient l’expertise des financements européens en Méditerranée ?

Laurent Vigier - C’est bien sûr et naturellement la FEMIP, oui. La BERD a son expertise en Europe orientale, dans les pays de l’ex Union soviétique… Ces expertises sont-elles transplantables en Méditerranée ? Les pays de la rive sud ne sortent pas du communisme, c’est autre chose… Il serait probablement plus logique et plus efficace de construire cette institution à partir de celle qui connaît la Méditerranée, parce qu’elle y est présente et y travaille depuis des années. La filialisation de la FEMIP serait une excellente idée. Cela dit, on comprend bien qu’il y a des blocages et donc il appartient aux responsables politiques de les surmonter… A chacun son métier !


LeJMED.fr - Vous êtes aussi très impliqué dans le projet du Plan solaire méditerranéen

Laurent Vigier - Le Plan solaire méditerranéen est typiquement une œuvre de longue haleine, mais nous avons déjà beaucoup avancé. Au début, nous avions mis sur la table des chiffres très ambitieux, en se demandant ce qui pourrait bien se concrétiser… et nous avons constaté que bien des choses avancent. Au Maroc par exemple, une Agence a été créée, qui développe des projets, et des fermes solaires ont commencé d’être construites. Par ailleurs les projets Desertec et Transgreen ont vu le jour, et désormais convergent, leurs complémentarités ayant été soulignées par certains investisseurs, notamment du Golfe.

Il reste certes beaucoup de travail, mais l’intérêt des investisseurs pour le PSM est manifeste. Nous-mêmes avons pris un ticket dans Transgreen, à travers notre filiale CDC Infrastructure, et nous continuons à travailler sur le projet de Fonds Carbone méditerranéen… Un mouvement a été lancé, et même si la situation politique que l’on connaît amène à se concentrer pour le moment sur d’autres priorités, les experts continuent à travailler.

Dès lors que la situation politique trouvera un nouvel équilibre, dans un délai que nous espérons rapproché, dans l’intérêt de tous, je pense que nous serons encore plus prêts à intervenir et à développer ces grands projets.


LeJMED.fr - Vous êtes aussi un acteur de l’urbanisme en Méditerranée. Par tropisme identitaire de la Caisse, à la fois historique et… humaniste ?

Laurent Vigier - Je pense que l’intérêt pour l’urbanisme est inscrit dans le code génétique de la Caisse. En France, nous avons été historiquement financeur de l’aménagement du territoire et de la ville. Aujourd’hui, nous le sommes à travers le fonds d’épargne ; nous le sommes aussi à travers des filiales d’ingénierie, comme Egis, ou la SCET ; nous le sommes encore en tant que partenaire de très nombreuses sociétés d’économie mixte pour le développement de nouveaux quartiers, pour la gestion de réseaux de transport ; nous avons aussi été l’un des grands acteurs de l’ANRU, l’Agence nationale de la rénovation urbaine, dont notre Directeur général Augustin de Romanet fut l’un des concepteurs, au côté de Jean-Louis Borloo.

Bref, ce sujet de la ville est totalement consubstantiel à l’identité de la Caisse… Et il se trouve qu’en même temps, cet intérêt pour la ville est très en phase avec les tendances que l’on constate en Méditerranée, métropolisation et littoralisation : les populations tendent à se concentrer dans les villes, et les villes tendent à se concentrer le long des côtes.

Cela pose des défis d’aménagement, de gestion de l’espace, de gestion des ressources rares que sont les terres agricoles grignotées par les villes, les ressources en eau… Sur toutes ces questions, nous avons naturellement une réflexion et un savoir-faire. Nous avons décidé de les mobiliser dans le cadre de partenariats que nous avons noués avec la Banque mondiale, très active sur ces mêmes sujets, et ceci à travers notre coopération au sein du Centre de Marseille pour l’intégration en Méditerranée, le CMIM.


LeJMED.fr - Le CMI, disent certains, ou CMIM, si en effet l’on veut insister comme vous sur la localisation à Marseille, ville pour laquelle vous exprimez volontiers une forte empathie…

Laurent Vigier - Oui, le CMIM est logé dans la superbe Villa Valmer, mise à disposition par la Ville de Marseille. Je préfère en effet citer la référence à Marseille, car il faut bien rappeler que c’est notre capitale en Méditerranée ! Et la deuxième ville de France, qui a connu de grandes difficultés mais présente un énorme potentiel. C’est une ville-creuset, qui a entrepris de se réinventer, qui bouge beaucoup… La Caisse des Dépôts est partenaire de la Ville et de la Communauté urbaine de Marseille dans ses grands projets de développement. Nous sommes donc très sensibles aux projets qui contribuent au rayonnement de Marseille capitale française de la Méditerranée, et attentifs au fait que ces projets puissent être portés et se développer.

En même temps, nous avons tout de suite appuyé le projet du CMIM, car il nous paraissait à la fois bienvenu et bien conçu. Bienvenu, parce qu’en fait, à côté du Secrétariat général qui, à Barcelone, représente la dimension institutionnelle de la Méditerranée, beaucoup de choses existent déjà à Marseille : notamment les têtes des réseaux FEMISE, le Cercle des économistes méditerranéen d’Aix-en-Provence, ANIMA et le programme Invest in Med, de niveau véritablement méditerranéen, et de très grand succès. C’est une sorte de masse critique d’expertise et de savoir-faire dont on n’est d’ailleurs pas toujours assez conscient à Paris, où l’on sous-estime souvent le dynamisme et l’ouverture d’un grand nombre de pôles régionaux, ces grandes villes et métropoles dont Marseille fait partie.
Cette attention aux régions relève de la « culture décentralisée » de la Caisse : nous sommes actifs auprès des collectivités locales, il est donc normal que l’on prenne acte de cette dimension-là.

Et puis ce projet de CMIM avait aussi pour intérêt de permettre de consolider l’implantation de la Banque mondiale à Marseille, ce qui tend à favoriser la venue de nouveaux acteurs dans cette ville, et d’y renforcer de ce fait le pôle d’expertise méditerranéen. C’est pourquoi nous sommes entrés dans le projet du CMIM, avec ce que nous savons faire – travailler sur la ville – et que nous avons mobilisé de l’expertise, en appui des financements. Ainsi, la Caisse des Dépôts a mis à disposition du CMIM, sur place, un expert de haut niveau, Mme Maryse Gauthier, ingénieur général des Ponts, qui avait géré les programmes de la Banque mondiale aux Philippines, et qui avait également travaillé à la Caisse, afin de gérer les programmes urbains.


LeJMED.fr - L’Office de coopération économique de la Méditerranée et de l’Orient, l’OCEMO, lancé officiellement en mars, est également accueilli à la Villa Valmer de Marseille. Et vous lui apportez aussi votre soutien…

Laurent Vigier - La récente création de l’OCEMO est une étape de plus dans la consolidation de ce pôle marseillais de « matière grise économique ». Comme je vous le disais, il y a plusieurs institutions de niveau euroméditerranéen dont la tête de réseau est à Marseille. Elles avaient commencé à travailler ensemble de manière informelle, et l’idée s’est affirmée qu’elles gagneraient en synergie avec une sorte de label commun, de secrétariat général commun qui permette de déployer la complémentarité de leurs actions, et notamment peut-être d’essayer de faire émerger des problématiques transversales, en particulier la question de l’intégration économique, sociale et citoyenne de la jeunesse en Méditerranée. Problématique au croisement de beaucoup de sujets qui sont traités dans le cadre de différentes initiatives à Marseille – cela passe notamment par les PME, par l’éducation, par l’urbanisation… Autant de sujets traités chacun de façon ciblée dans les différents réseaux, mais qui relèvent de problématiques transversales.

On s’est donc dit que cela faisait sens, de manière à consolider tout ce qui se fait à Marseille, de donner une visibilité plus grande à ce pôle jusqu’ici informel, d’impliquer peut-être davantage l’expertise marseillaise et régionale – comme l’Université d’Aix-en-Provence, la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence – d’inclure aussi dans ces grands travaux d’analyses méditerranéennes toute une série de réseaux locaux, dont l’action contribue au rayonnement de Marseille sur la Méditerranée, car ils ont une légitimité à participer au débat.

Au fond, la logique de l’OCEMO, c’est cela : donner à Marseille les capacités de jouer pleinement son rôle de grand pôle intellectuel de la Méditerranée, de s’affirmer comme la ville de référence où l’on vient réfléchir, travailler sur les questions de l’avenir de la Méditerranée. Il ne s’agit pas de positionner Marseille en concurrente de Barcelone, capitale institutionnelle de l’UPM, mais de concrétiser la vocation de Marseille capitale intellectuelle de la Méditerranée, en capitalisant sur la masse des expertises présentes.


LeJMED.fr - Le professeur Jean-Louis Reiffers, principal initiateur de l’OCEMO, a en effet déclaré, lors du lancement officiel le 15 mars dernier, qu’avec l’OCEMO, ce sont quelque 60 ou 70 % de l’intelligence économique mondiale qui se trouvent mis en réseau par cette nouvelle institution marseillaise…

Laurent Vigier - Oui, c’est très impressionnant ! Et c’est en cela aussi que l’on voit que les choses bougent dans la bonne direction dans notre pays, et que si l’on veut avoir confiance en la France, il faut aussi regarder ce qui se passe dans ses régions et ses métropoles. Ainsi la Ville de Marseille a eu l’intelligence de s’engager dans le soutien à cette initiative, de contribuer à la porter, notamment en investissant dans la rénovation du magnifique site de la Villa Valmer. Je crois que nous avons aujourd’hui la capacité de faire de la Villa Valmer un lieu absolument remarquable, où les universitaires du monde entier seront ravis d’être accueillis pour des séjours d’étude et d’échanges, comme c’est prévu.


LeJMED.fr - Quelle est la contribution de la Caisse des Dépôts à l’OCEMO ?

Laurent Vigier - Pour sa part, la Caisse est en train d’examiner les candidatures pour identifier le Délégué général de ce nouvel OCEMO, poste que la Caisse a accepté de mettre à disposition, dans l’idée de renforcer les équipes de Marseille. Nous aurons donc d’une part Mme Maryse Gauthier, en charge de la gestion des importants budgets – plus de 2 M €, sur trois ans – des programmes sur l’expertise urbaine. Et puis, par ailleurs, nous sommes en train d’auditionner au sein du Groupe des candidats présentant un profil de Secrétaire général, de coordinateur, poste que la Caisse prendra également en charge.


LeJMED.fr - Donc, dans votre schéma directeur « d’urbanisme décisionnel méditerranéen », si l’on peut dire, il y a Marseille en capitale de la matière grise, Barcelone pour l’institutionnel UPM, et Milan qui serait le siège de la future Agence des PME, conformément d’ailleurs au vœu des Italiens, porteurs de ce projet ?

Laurent Vigier – Oui ! De toute manière vous savez bien que la Méditerranée n’a jamais eu une seule capitale ! Même à l’époque de Rome, Alexandrie était aussi une capitale, Athènes en était une autre… La Méditerranée a toujours été un espace multipolaire. On parle de l’Empire romain… mais la plus grande ville, à l’époque de César, c’était Alexandrie ! Une ville grecque en Égypte, à ce moment-là dirigé par des pharaons grecs ; c’est donc dès l’origine une ville multiculturelle…

Aujourd’hui, c’est Marseille, qui pourrait devenir la nouvelle Alexandrie ! C’est une ville avec un site extraordinaire, un « mix urbain » très rare sinon unique au monde, avec ses calanques toutes proches, un site naturel magnifique qui a d’ailleurs surpris nos amis américains de la « French American Foundation », qui se sont rendus en colloque à Marseille, en septembre dernier. C’est aussi une ville avec un grand dynamisme, mais qui sait préserver son art de vivre ! Et si Marseille réussit bien son année 2013 de capitale euroméditerranéenne de la culture, ce que je souhaite vivement, on se rendra compte enfin que nous avons une très belle ville française en Méditerranée !


Signature de la convention du FARO, lors du FOR’UM de Marseille, le 27 mai 2010. Au premier plan, de gauche à droite : Laurent Vigier, Directeur des Affaires européennes et internationales de la CDC ; Michel Jacquier, DG délégué de l’AFD ; Henri Guaino. En arrière-plan : Julien Aubert, de la mission UPM, en conversation avec Mme Christine Lagarde. © leJmed.fr - mai 2010

LeJMED.fr - A Marseille encore, vous contribuez au FARO, le Fonds d’amorçage, de réalisation et d’orientation, opéré par ANIMA et créé il y a l’année dernière à l’initiative de la mission interministérielle française de l’UPM. Qu’en est-il exactement ?

Laurent Vigier - Nous sommes investisseur et nous présidons le FARO. C’est un programme expérimental, visant à soutenir les porteurs de petits projets innovants, et le partenariat en Méditerranée… L’idée du FARO est née du constat que sur des projets d’intérêt méditerranéen, il manquait l’aide à projets dans des phases très amont, un peu à titre d’incubateur ; et ensuite, si cela se passe bien, d’accompagner directement les porteurs de projet vers les circuits de financement classiques.

En fait, entre le moment où l’idée du porteur de projet se précise, et le moment où elle va se transformer en entreprise, il y a ce que les spécialistes du capital-risque décrivent un peu comme « la vallée de la mort »… Ce que l’on essaie de faire avec le programme expérimental du FARO, c’est justement de favoriser la capacité d’initiative entrepreneuriale méditerranéenne, de donner le coup de pouce qui va permettre à des projets de mûrir, et de les amener jusqu’au moment où ils pourront basculer sur un circuit de financement plus traditionnel, plus balisé. Donc il s’agit avec le FARO d’aller repérer très en amont des porteurs de projet, qui ont du mal à se financer auprès des banques, voire des capital-risqueurs qui leur disent souvent “c’est trop tôt, venez nous voir quand vous serez prêt”…

Le FARO, c’est aussi une manière d’inviter à mieux percevoir la continuité entre le territoire français et l’espace méditerranéen, puisque les projets doivent inclure au moins deux partenaires du sud pour un du nord.
Ainsi, le porteur d’un projet économique méditerranéen sélectionné par le FARO aura la possibilité de trouver autour de la table des gens – la Caisse, OSEO et l’AFD – qui, ensemble, cumulent la connaissance de la région méditerranéenne et de l’économie française, et qui agissent ensemble pour une ambition méditerranéenne commune, prêts à soutenir le porteur de projet dans un stade très amont pour lui donner une chance de se développer.

L’intérêt de ce dispositif, c’est aussi qu’il commence à essaimer : un FARO sera prochainement créé au Liban, le Maroc y travaille, d’autres pays y réfléchissent.
L’idée de pouvoir mettre en place une sorte de réseau de fonds très en amont, « very early stage », est quelque chose de tout à fait pertinent. Cela me paraît une initiative très intéressante, mais il faut bien voir aussi qu’elle doit rencontrer une culture d’esprit d’entreprise, cette culture de l’économie de l’offre et de la demande. L’esprit d’entreprise existe mais souvent on essaie plus de le décourager que de l’encourager, et donc il faut multiplier des initiatives comme le FARO.

La mission UPM a en effet été très motrice sur ce projet, et nous avons été très enthousiaste pour en discuter, car cela s’inscrit dans la problématique générale de l’encouragement à l’innovation, à laquelle la Caisse est attentive.


LeJMED.fr - Mais, ce FARO n’est doté que de 1 M €, avec un ticket maximum de 20 K € par projet soutenu… Vous pensez que c’est suffisant ?

Laurent Vigier – Avec 1 million d’euros, on peut faire beaucoup plus que ce que l’on peut croire généralement !… Alors, bien sûr, nous avons d’un autre côté les grands investissements d’infrastructures, chiffrés en centaines de millions, voire en milliards d’euros… Mais, en réalité, si l’on observe la manière dont se construisent les financements de projets, ce sont des sommes beaucoup plus faibles qui sont nécessaires. Souvent, il suffit d’amener un peu de capital, et le financement se construit autour. Et quand on parle de soutien à l’innovation, 10 ou 20 K€, cela peut faire la différence ! Car en fait, il y a plusieurs types de capital : le capital financier, le capital technique, le capital entrepreneurial et le capital relationnel. Le succès, c’est de réussir à cumuler ces différentes sources de capital.


LeJMED.fr - Envisagez-vous prochainement d’autres engagements en Méditerranée ?

Laurent Vigier - Notre engagement consiste d’abord à réussir ce que nous avons entrepris ! Un travail de fond a été amorcé, sur lequel nous nous sommes beaucoup mobilisés, de manière à créer d’entrée de jeu un certain nombre d’instruments qui puissent se déployer.

Donc, par exemple, un premier objectif est de réussir le plein développement du fonds Inframed, afin qu’il réalise ses premiers investissements, qu’il commence à devenir un opérateur significatif dans le financement des infrastructures en Méditerranée, qu’il saisisse aussi les opportunités nouvelles que peuvent éventuellement ouvrir les transformations en cours.

C’est aussi d’arriver à finaliser le travail que nous avons commencé à Marseille, dans l’objectif que nous avons évoqué d’y consolider une expertise de niveau méditerranéen et mondial sur les problématiques urbaines, et de conforter et pérenniser le rôle de Marseille capitale méditerranéenne de la matière grise économique, autour du CMI et de l’OCEMO, les deux grandes initiatives dont nous sommes partenaires.

Et puis, c’est d’accompagner les demandes venant de nos partenaires du Sud, et qui ont déjà commencé à émerger, comme par exemple le projet de création d’une Caisse des Dépôts en Tunisie…

Pour le reste, je dirai que nous sommes engagés fermement en Méditerranée et, en fonction de l’évolution de la situation, ainsi que des demandes qui nous seront adressées, nous regarderons avec intérêt et développerons des projets. Il est important de saisir que ce que nous faisons est un travail de fond, et dans la durée. Notre philosophie : quand on commence quelque chose, il faut la mener à bien ! Nous avons créé des instruments, ils doivent maintenant se développer, s’inscrire dans le paysage et bien fonctionner.

Mais, selon moi, la mesure du succès n’est pas de créer quelque chose. Ce n’est pas le premier pas le plus important… c’est quand on arrive au bout du chemin !

Un entretien exclusif pour LeJMED.fr
réalisé par Alfred Mignot


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À lire aussi :
 Laurent Vigier : « La CDC s’engage fort en Méditerranée, et nous sommes là pour rester ! » (octobre 2010)

 Pr Jean-Louis Reiffers : « Avec l’OCEMO, l’expertise économique s’ouvrira aux réalités humaines » (avril 2011)

 L’emploi des jeunes, première priorité de l’Office de Coopération économique de la Méditerranée et de l’Orient (OCEMO) (avril 2011)

 La création du fonds InfraMed, une avancée majeure pour l’Union pour la Méditerranée (mai 2010)

 Philippe de Fontaine Vive, VP de la BEI, « patron » de la FEMIP : « En Tunisie, la FEMIP renforce ses engagements dès 2011, jusqu’à 700 ou 800 millions d’euros » (février 2011)

 Philippe de Fontaine-Vive : « Le Plan Solaire méditerranéen est à portée de main ! » (mai 2010)

 Le CMI met son action stratégique en phase avec la transition démocratique des pays sud-Med (avril 2011)

 « Invest in Med », le catalyseur de réseaux d’entreprises et de synergies de filières nord - sud (janvier 2010)

 Le For’UM de Marseille : un « Sommet civil » de l’UPM » très réussi, avec le lancement d’une profusion de projets, dont le FARO

 ANIMA Investment Network, un réseau méditerraéen pour le développement économique (juillet 2009)

 Un nouveau soutien pour les projets innovants en UPM : le FARO, fonds d’amorçage et d’orientation (mai 2010)

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Sites de référence :
 Caisse des Dépôts et Consignations (CDC, France)
 La Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG, Maroc)
 Club des Investisseurs de long terme
 Anima Investment Network
 Cercle des économistes méditerranéen d’Aix-en-Provence
 BEI (Banque européenne d’investissement)
 FEMIP (Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat)
 CCI Marseille Provence
 CMIM (Centre de Marseille pour l’intégration en Méditerranée)
 Institut de la Méditerranée
 FEMISE (Forum euroméditerranéen des instituts de sciences économiques)
 IPEMED, Institut de prospective économique du Monde méditerranéen
 Programme Invest in Med

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