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« La véritable Histoire de Carthage et de Hannibal », et comment la fière cité fascinait Rome

Tunisie | 28 août 2009 | src.NonFiction
« La véritable Histoire de Carthage et de Hannibal », et comment la fière cité fascinait Rome
Carthage - « La Véritable histoire de Carthage et de Hannibal », nouvel opus de la collection La véritable histoire de… aux Belles Lettres, est une anthologie de textes anciens traduits et compilés avec soin par Jean Malye. L’auteur ne souhaite pas ici livrer un ouvrage universitaire, mais faire découvrir au plus grand nombre les textes anciens, dont le plaisir de la redécouverte est doublé par la qualité de leur présentation. Malye, après une description d’ensemble de l’organisation des deux cités, Rome et Carthage, qui se partagent l’affiche pendant près de deux siècles, construit un récit sur la rivalité entre celles-ci, en agençant les textes et leurs rapides explications (qui se révèlent en fait être la plupart du temps des transitions narratives) pour mieux fabriquer grâce à ces textes un "roman vrai" passionnant pour tout amateur d’histoire.
La couverture du livre
© DR

Ce qui intéresse l’auteur, comme le montre le titre de l’ouvrage centré sur Hannibal, personnage essentiel de la lutte contre Rome, c’est bien plus le récit de cette rivalité qu’une étude des institutions et de la société de Carthage, bien que 17 pages, reprenant de larges extraits de Carthage et le monde punique de Hédi Dridi (Les belles Lettres, 2006), sont consacrées à cette description et s’avèrent une introduction de qualité au récit lui-même. Ainsi, Jean Malye poursuit inlassablement son travail de vulgarisation intelligente et ludique des sources de l’histoire antique, lui qui est aussi l’auteur de la collection pour enfants Les Manuscronautes (toujours aux Belles-Lettres).

« Feu orange sanguine sur fond de ciel bleu technicolor » : c’est par l’évocation de Carthage en flammes, un film de 1959 signé Carmine Gallone, que Jean Malye débute malicieusement son ouvrage. Carthage a souvent inspiré les auteurs par son destin de malheureuse rivale de Rome, que ces auteurs soient eux mêmes des artistes inspirés (Gustave Flaubert dans Salammbô) ou un peu moins (comme l’a montré une grande partie de la production italienne de péplums des années 1950). Malye rappelle avec plaisir ces « mauvais films […] si doux à nos souvenirs », qui ont donné au grand public l’image d’une Carthage décadente promise à la ruine, faisant de la fin de cette cité une nouvelle version de la chute de Troie, l’armée romaine remplaçant la coalition grecque dans une trame scénaristique similaire.

Mais cette vision a pour source la représentation que les anciens eux-mêmes se sont faits de la fière cité carthaginoise, dont la postérité, nous rappelle l’auteur, a justement pour origine cette situation de « grande rivale de Rome », de l’autre coté de la Méditerranée. Nombre de cités, au passé glorieux, ont été oubliées depuis lors. C’est par le récit du vainqueur, et de ses plus grands historiens, Polybe, Tite-live et Appien, que Carthage a survécu dans les mémoires.

Et « parce qu’elle est écrite par les vainqueurs, l’histoire est cruelle » : Polybe présente en Carthage une version dégénérée du système politique romain ; il compare Carthage et Rome, deux cités strictement hiérarchisées, dominées par une aristocratie de magistrats jalouse de ses prérogatives, et voit en l’éternelle ennemie un système où le peuple est trop présent dans les décisions, où la trop forte présence de mercenaires affaiblit la défense de la ville, réduite à placer ses espérances dans des mains étrangères.

A l’inverse, cette critique du système carthaginois, dont l’évolution a selon lui « dépassé la maturité », lui permet de faire une apologie d’un système romain oligarchique où le Sénat domine, cette élite « efficace » au service de la cité, comme l’armée romaine, composée des « gens du pays et des citoyens », confiant en leur propre valeur le salut de leur patrie.

Paradoxe que cette cité honnie par Rome, mais dont la fascination s’exerce parfois sur ses plus farouches adversaires, comme Tite-Live, qui voit en Hannibal, le général carthaginois, un personnage à la fois cruel et lumineux, détesté pour le mal qu’il a fait au peuple romain et dans le même temps admiré pour avoir su lui tenir tête. Cette dualité de haine et de fascination se retrouve chez les auteurs romains. Aussi, Virgile, dans son Enéide, unit audacieusement, au travers du couple Didon et Enée (la fondatrice de Carthage et l’ancêtre revendiqué de Romulus et de la dynastie julio-claudienne), le destin des deux cités. Enée reparti, Didon se tuera à l’arme blanche.

Le contrôle de la Sicile, casus belli entre les deux cités

De ces débuts tragiques, il était donc logique que rien ne sorte de bon…. Entre ces deux cités, la rivalité nait en fait de leur volonté partagée de s’implanter en Méditerranée. En effet, la maitrise des mers était primordiale pour le peuple carthaginois qui fondait toute sa richesse sur le commerce maritime plutôt que sur la difficile exploitation des ressources de l’arrière-pays africain.

La mainmise sur la Sicile devient entre les deux nations le point d’origine d’un conflit décrit par Polybe : la première guerre punique ou guerre de Sicile, entre 264 et 261 avant J.-C. Pour Rome, il était en effet impensable de laisser ce territoire aux mains d’un rival qui risquait d’envahir l’Italie en posant son pied sur cette île. Cette guerre est un tournant dans l’histoire de Rome, puisque celle-ci, afin de devenir maitresse de la Méditerranée, construit pour la première fois une flotte de combat. La bataille des îles Egates, en 241, pousse les Carthaginois, dont le général en chef est Hamilcar Barca, à conclure la paix.

Hamilcar Barca est issu de la lignée des Barcides, une des deux plus grandes familles carthaginoises, rivale des Margonides. Malgré la défaite et la guerre civile (ou Guerre des Mercenaires) qui en découle, il s’avère être un chef de grande qualité ; il comprend très vite que la préparation d’une revanche sur Rome nécessite à la fois un fonctionnement plus démocratique des institutions et une préparation militaire efficace ; mais c’est son fils Hannibal, figure éminente de la cité, qui reprend le flambeau après avoir prêté serment à son père, à l’âge de 9 ans, de ne jamais devenir l’ami des Romains.

A 26 ans, Hannibal est choisi à l’unanimité par l’armée pour devenir son général en chef ; adulé par ses troupes, il est fin stratège mais son caractère emporté, que les historiens romains, dans leur ensemble, s’empressent de confirmer, et ses victoires en Ibérie (Espagne) finissent par provoquer une nouvelle tension avec les Romains. Néanmoins, Polybe lui-même reconnaît qu’il est difficile de trouver qui, de Rome ou de Carthage, doit être tenu pour responsable du déclenchement de la deuxième guerre punique en 218.

Ce grand conflit, auquel Malye consacre la moitié de son anthologie, est avant tout l’épopée de Hannibal, qui, depuis Carthagène, emmène près de 60 000 hommes et 40 éléphants en Italie, après avoir franchi les Pyrénées puis les Alpes. Ces hommes, qui « ressemblaient tous à des bêtes sauvages, pour avoir subi, sans discontinuer, tant de tourments », parviennent en hiver 218 dans la plaine du Po et affrontent les troupes romaines venues à leur rencontre. Une deuxième défaite romaine se produit à Trasimène, faisant d’Hannibal le maître de l’Italie jusqu’à l’Adriatique, au prix de mille souffrances, de la perte d’un œil et de ses éléphants.

Le sénat romain décide alors d’engager tout son contingent de 80 000 fantassins et 6 000 cavaliers face aux 50 000 hommes de Hannibal. Le consul Lucius et près de 70 000 Romains trouvent la mort dans la bataille de Cannes, la plus grande défaite de l’Histoire romaine. 10 000 autres soldats romains sont faits prisonniers. Du coté carthaginois, on ne compte que 7 700 victimes.

Carthage, vue des vestiges des Thermes
d’Antonin - © mutbka

Mais Hannibal ne profitera jamais de sa victoire pour prendre Rome conduite par Fabius, et en 210, un jeune sauveur de 24 ans, P. Cornelius Scipion, fils d’un général du même nom tombé en Espagne face aux Carthaginois, se révèle. En 204, celui-ci attaque Carthage. Les troupes carthaginoises doivent quitter l’Italie sur ordre du Sénat de Carthage, au grand regret de Hannibal, qui doit affronter les Romains à Zama en 202 : les Carthaginois sont taillés en pièces, Hannibal s’enfuit, et Scipion dicte les conditions de paix. Suspecté de vouloir reprendre la guerre, Hannibal finit par se réfugier à Tyr en 195, et meurt en 183, la même année que son rival Scipion.

Les Carthaginois, selon les traités de paix, n’ont désormais plus le droit de faire la guerre sans la permission de Rome. Mais celle-ci souhaite en finir avec sa rivale ; Plutarque, dans la biographie qu’il consacre à Caton l’Ancien, raconte le compte-rendu alarmiste que celui-ci fait de son ambassade à Carthage au Sénat romain, et achève celui-ci de sa fameuse phrase "Ceterum ego censeo Carthaginem delendam esse", plus fameuse dans sa version réduite par l’usage commun "delenda est carthago" ("il faut détruire Carthage").

Au début de l’été 149, les Romains attaquent Carthage. La réputation du petit-fils de Scipion l’Africain, Scipion Emilien, grandit au cours de cette guerre ; il dirige le siège de Carthage, qui se termine en 146 par la destruction de la cité dans une ambiance apocalyptique que rapporte Appien. Polybe décrit la joie des Romains à l’annonce de leur victoire, joie que Jean Malye compare à celles de Paris ou Londres à la fin de conflits plus récents : l‘ennemi juré n’est plus, un sentiment de sécurité retrouvée flotte dans une cité romaine qui n’a jamais oublié son angoisse face à la menace de Hannibal. La République romaine occupe désormais la partie de l’Afrique sous domination carthaginoise puis étendra progressivement sa domination sur toute l’Afrique du Nord. Carthage détruite renaitra grâce à Jules César, devenant la deuxième cité de l’Occident après Rome et la capitale d’une Afrique désormais romaine et joyau de l’Empire.

« La véritable Histoire de Carthage et de Hannibal » ravira les amateurs d’histoire ancienne, et tous ceux, plus généralement, qui aiment les grands récits historiques ; ouvrage d’une qualité certaine, il remplit certes à merveille son rôle de compilation ludique et instructive, mais si l’on souhaite trouver un approfondissement politique, religieux et social à l’épopée, une mise en contexte, mieux vaut se tourner vers d’excellents ouvrages comme la biographie de Hannibal par Serge Lancel chez Fayard, ou Carthage et le monde punique de Hédi Dridi déjà cité dans cet article ; ouvrages dont la lecture complémentaire au recueil de Jean Malye s’avère être un plaisir précieux.

Vincent Duménil *
Titre du livre : La véritable histoire de Carthage et de Hannibal
Auteur : Jean Malye
Éditeur : Les Belles Lettres

* Vincent Duménil est professeur d’histoire-géographie à Nantes et Saint Nazaire.
Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Rennes, agrégé d’histoire et auteur d’un mémoire intitulé Une place pour des auteurs à Hollywood ? : la liberté des réalisateurs américains face aux mutations du système de production hollywoodien, de la « décennie des auteurs » à l’« ère des blockbusters » (1965-1980).
Il collabore aux pôles cinéma et histoire de nonfiction.fr depuis octobre 2007.

Source : nonfiction.fr

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