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Kiki Dimoula

- La plus grande poétesse grecque contemporaine lauréate du Prix littéraire européen 2010

Grèce | 3 avril 2010 | src.leJmed.fr
- La plus grande poétesse grecque contemporaine lauréate du Prix littéraire européen 2010
Athènes -

Née en 1931, Kiki Dimoula, qui a été distinguée en mars par le Prix européen de littérature 2010, est reconnue pour être la plus grande poétesse grecque contemporaine.
En France, où elle était jusqu’ici quasiment inconnue, deux de ses ouvrages viennent d’être publiés : « le Peu du monde », dans la collection Poésie/Gallimard, et « Mon dernier corps », en édition bilingue, aux éditions Arfuyen.

Voici ce qu’en écrit sur son blog l’un de ses traducteurs, Michel Volkovitch

« Les poèmes de Kiki Dimoula ne ressemblent à rien. Peu de poètes donnent cette impression de nouveauté radicale. Cela commence par ses sujets, si étranges — étranges à force de ne pas l’être, infimes le plus souvent, tirés du quotidien le plus banal. Un paysage sans histoire. La pluie. Le mouvement des vagues sur le rivage. Le vent dans les feuilles. Une goutte de sang. Un objet familier, bibelot, table basse, cassette audio, répondeur.

Un commentateur grec, Nìkos Dìmou, va plus loin : la poésie de Dimoula n’a qu’un sujet : le néant. « L’unique thème de Dimoula, c’est le passage – progressif ou soudain – de l’être au non-être. Ce passage qui s’appelle temps, usure ou mort. »

En effet : chacun de ses poèmes reprend à neuf, obsessionnellement, l’inventaire de ce qui est perdu, de ce qui n’est plus. La mort d’un mari bien-aimé, qui hante les recueils suivant celui-ci, ne fera que cristalliser cette obsession, la rendre plus vive encore.

Pas de personnages ici. Une voix est là qui parle, seule mais entourée d’absents qu’elle interpelle : êtres chers disparus, ou soi-même autrefois, ou encore Dieu — un Dieu dont on ne sait trop s’il faut y croire. Si des formes humaines se laissent voir, c’est sous forme de sculptures ou de peintures, ou figées par la photographie, cette invention bienfaisante et cruelle qui rend le passé à jamais présent, et en même temps plus que jamais hors d’atteinte.

La perte, la mort, le néant, tout cela parfaitement vrai, mais on pourrait tout aussi bien dire le contraire. Les poèmes de Dimoula sont grouillants de vie à leur façon. Un torrent d’images les irrigue, le plus souvent inattendues, audacieuses, se chassant par moments l’une l’autre à toute allure. L’humble réalité qu’elles décrivent acquiert une vie intense, presque angoissante, vue à travers ces verres grossissants qui en la métaphorisant la métamorphosent.

Pas de personnages ici, sans doute, mais précisons : pas de personnages humains. Seulement voilà, chez Dimoula tout devient vivant : les objets qu’elle met en scène, et même des abstractions qui elles aussi, placées dans les situations les plus concrètes, apparaissent ici dotées de sentiments, capables de paroles et d’actes, promues acteurs de la tragi-comédie.

Car – autre paradoxe, mais chez Dimoula, le paradoxe est perpétuel – la mélancolie si noire et si lourde qui rôde sur ses pages est sans cesse relevée, allégée par un humour plus ou moins diffus, une espèce de vivacité guillerette. Les images incongrues, les entrechocs de ces images, les personnifications saugrenues, la syntaxe et le vocabulaire allègrement bousculés, tout cela prend des allures de jeu. Cette poésie très sombre scintille de tous ses mots, d’une éclatante vitalité. Existants ou non — Dimoula néologise avec entrain —, ils rebondissent de vers en vers, légers comme des balles de jongleur et lourds de doubles-sens, car on va jusqu’au calembour, lequel fait naître un sourire et en même temps jette une ombre, car ce double fond a quelque chose d’obscur, d’incertain, d’inquiétant.

Ambiguïté constante. On sent peu à peu le poème vaciller : ces motifs continuellement répétés (groupe de mots, vers, groupe de vers), sonnent-ils comme un glas, nous accablent-ils comme une incurable névralgie, un resassement de vieilles douleurs ? Ou faut-il y voir une sorte d’écho ironique, de refrain goguenard ? Ces répétitions marquent-elles une lassitude monotone, un piétinement impuissant, ou une progression pas à pas, une méditation lente, prudente, tâtonnante ? Les deux sans doute. Si ces poèmes tiennent debout si fortement, c’est qu’en eux le tragique et l’humour tirant chacun en sens contraire s’équilibrent, en même temps que la dérive, l’effilochage qu’ils mettent en scène est exactement contrebalancée par une volonté méthodique et minutieuse, quoique discrète, de construction.

À la vue de cette esquisse de portrait, on pourra déguiser Kiki Dimoula, à la rigueur, en lointaine descendante des Metaphysical poets anglais du XVIIe siècle, John Donne, Andrew Marvell et consorts, ou en petite nièce méditerranéenne d’Emily Dickinson. On s’imaginera une poésie savante, exigeante, difficile. Et c’est vrai. Et c’est aussi bien le contraire. Ces poèmes d’une complexité extrême, qui déroulent de façon le plus souvent allusive, voire obscure, une pensée fine et méandreuse, ont cependant sur leurs lecteurs, dans leur version originale du moins, un effet étonnant. Leur auteure ne touche pas seulement un public de spécialistes, elle est lue, admirée, aimée par une foule de gens dont certains lisent peu. J’ai vu récemment, dans les salons d’un hôtel d’Athènes, une jeune serveuse la reconnaître et la saluer avec un respect plein d’affection. La Grèce a beau être le paradis des poètes, un tel traitement n’est réservé qu’à une poignée d’entre eux, et de nos jours à la seule Dimoula.

Sans doute risquons-nous en la lisant, nous autres cartésiens, de nous arrêter à certaines difficultés de surface, nous perdre en analyses passionnantes mais ardues, alors qu’un Grec, sans doute, reçoit ses poèmes comme un tout, avec leur déferlement d’images et d’émotions ; j’imagine que pour eux tout s’éclaire globalement, comme devant ces avions bourrés de machineries compliquées, mais dont on ne voit plus que le vol, si simple et pur.

Il est vrai que pour nous autres étrangers, la difficulté s’aggrave de ce voile plus ou moins épais que la traduction, si soignée soit-elle, dépose sur un texte. Les dieux savent à quel point Dimoula met son traducteur à l’épreuve, avec sa pensée fuyante, ses violences faites au vocabulaire et à la syntaxe, ses décalages de ton (toute la gamme, du noble au familier), ses jeux sonores surtout. Relire mes premières traductions dimouliennes, faites il y a quinze ans, est une expérience déprimante...

J’avais alors traduit la moitié du recueil. J’ai repris cette première approche vers par vers, en m’incitant à une plus grande audace, à une plus grande confiance dans la variété et la souplesse de ma langue. Cependant je n’ai pas changé d’objectif : il s’agit, aujourd’hui comme hier, d’écrire autant que faire se peut un poème français, doté d’une musique et d’une respiration — ce qui implique tout un travail de transpositions multiples, acrobatiques parfois, que je décris sur ce même site, dans le Carnet d’un traducteur.

En mars 2010, Kiki Dimoula a reçu à Strasbourg le Prix européen. Deux parutions ont accompagné l’événement : Mon dernier corps en édition bilingue aux éditions Arfuyen, et Le peu du monde suivi de Je te salue Jamais en Poésie/Gallimard. Relisant ces poèmes avec l’auteure, la criblant de questions, je l’ai entendue plusieurs fois me dire : Mais qu’est-ce que j’ai écrit là ? Ce n’est pas possible, j’exagère ! Non, ce poème-là, supprime-le ! Tu es sûr que tu veux le garder ?
Eh oui. Tout a été traduit. Et ce n’est pas seulement une question de politique éditoriale. Tout ici, à mes yeux, mérite de rester. »

Voici l’un des poèmes de Kiki Dimoula :

JUNGLE

Matin et toutes choses au monde
posées
à la distance idéale du duel.
On a choisi les armes,
toujours les mêmes,
tes besoins, mes besoins.
Celui qui devait compter un, deux, trois, feu
était en retard,
en attendant qu’il vienne
assis sur le même bonjour
nous avons regardé la nature.

La campagne en pleine puberté,
la verdure se dévergondait.
Loin des villes Juin poussait des cris
de sauvagerie triomphante.
Il sautait s’accrochant
de branche d’arbre et de sensations
en branche d’arbre et de sensations,
Tarzan de court métrage
pourchassant des fauves invisibles
dans la petite jungle d’une histoire.
La forêt promettait des oiseaux
et des serpents.
Abondance venimeuse de contraires.
La lumière tombait catapulte
sur tout ce qui n’était pas lumière,
et la splendeur érotomane dans sa fureur
embrassait même ce qui n’était pas l’amour,
et jusqu’à ton air morose.

Dans la petite église personne
à part son nom pompeux, Libératrice.
Un Christ affairé comptait
avec une passion d’avare
ses richesses :
clous et épines.
Normal qu’il n’ait pas entendu
les coups de feu.

Kiki Dimoula

« Le Peu du monde » suivi de « Je te salue Jamais ». Traduit du grec et présenté par Michel Volkovitch. Préface de Nikos Dimou, Poésie/Gallimard n°457, 224 p., 6,50 euros.

« Mon dernier corps ». Traduit du grec par Michel Volkovitch, Arfuyen, 190 p., 15 euros.

Edition sur leJmed.fr le 3 avril 2010


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