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La Turquie et son adhésion à l’UE : un bilan 2009 en demi-teinte

Turquie | 9 janvier 2010 | src.OVIPOT
La Turquie et son adhésion à l'UE : un bilan 2009 en demi-teinte
Ankara - Rythmée par les échéances électorales, ponctuée par l’actualité diplomatique, la relation entre Ankara et Bruxelles s’est achevée cette année par l’ouverture du douzième chapitre des négociations d’adhésion. En dépit de cette note finale positive, 2009 restera une année en demi-teinte qui n’aura pas dissipé les doutes, quant à l’avenir de la candidature turque à l’Union européenne (UE).

Photo ci-dessus - Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan (à gauche) et José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne - © Photothèque UE

L’accentuation du processus de réformes

L’année écoulée a été d’abord marquée par la reprise timide des réformes, notamment en matière politique. Qu’il s’agisse de la politique interne (sujet délicat pour le pouvoir du fait de ses rapports tendus avec l’armée), des appels répétés à accélérer le processus de réformes ou de l’engagement sur la scène internationale, la Commission européenne a surtout salué dans son « Progress Report » du 14 octobre 2009 le rôle positif de la présidence de la République.

La Commission a aussi apprécié que la contestation de l’ingérence militaire dans le champ politique se soit accentuée, ce que reflète la très importante réforme du Code de procédure pénale (adoptée en juillet 2009), qui permet aux juridictions civiles de citer à comparaitre et de juger des militaires en activité. Si le bilan des réformes politiques de cette année paraît constructif, celui des libertés fondamentales est, en revanche, beaucoup plus mitigé.

L’Union a regretté notamment la persistance de lacunes importantes en matière de droits de l’homme, et elle a souligné la nécessité de réformes supplémentaires les concernant. Sont principalement visés, en l’occurrence, les droits des femmes ou le respect des minorités et des identités distinctes (en dépit de l‘ouverture lancée en direction des Kurdes).

Par ailleurs, des retards dans la ratification de protocoles européens, confirmant la liberté de circulation sur le territoire, ou de l’ONU, concernant la torture, figurent également au passif du gouvernement. Enfin, l’amende infligée au groupe de presse Doğan a relancé les critiques accusant le parti au pouvoir de restreindre la liberté d’expression.

L’évolution du processus et du cadre des négociations

La candidature turque en elle-même a aussi connu des évolutions notables au cours de cette année, la plus significative étant l’ouverture de deux chapitres supplémentaires sur les trente-cinq que comporte le processus d’adhésion, ce qui porte à douze le nombre de chapitres ouverts.

La présidence tchèque a ainsi validé l’important chapitre 16 (relatif à la fiscalité), celui concernant l’environnement ayant été ouvert par la présidence suédoise. Le ministre suédois des affaires étrangères, Carl Bildt, a justifié cette ouverture supplémentaire par l’ampleur des réformes accomplies ces derniers mois, en rendant un hommage appuyé à « l’initiative démocratique » impulsée par le gouvernement pour tenter de résoudre politiquement la « question kurde ».

D’autres décisions européennes ont été accueillies positivement par la Turquie, notamment la nomination de la Britannique Catherine Ashton, au poste de Haut représentant de l’UE. Jouant un rôle essentiel en matière de politique extérieure de l’UE, l’ancienne commissaire européen au commerce est, en effet, favorable à l’adhésion turque. Cette nomination a compensé les craintes provoquées par l’arrivée à la présidence de l’UE du Belge Herman Von Rompuy, qui, à plusieurs reprises, par le passé, s’est dit hostile à l’adhésion de la Turquie.

De nouvelles têtes sont également apparues du côté turc, le négociateur en chef responsable de la candidature, Ali Babacan, ayant été remplacé par Egemen Bağış.

La nomination de cette étoile montante de l’AKP et son accession à un poste de négociateur en chef, qui a été élevé pour l’occasion au rang de ministre d’Etat, ont voulu démontrer, tant l’importance que le gouvernement accorde à la poursuite d’un processus visant à une adhésion pleine et entière de la Turquie, que la volonté d’Ankara de surmonter l’enlisement relatif du processus de négociations depuis 2006.

Egemen Bağış entend, par ailleurs, lancer au début de 2010 une nouvelle stratégie dont l’ambition et d’aboutir à l’ouverture de six nouveaux chapitres durant l’année, et ce, en dépit du blocage de plusieurs d’entre eux. Il souhaite, en outre, s’assurer que les réformes permettant la démocratisation du pays seront appliquées de manière effective, mesure qui fournirait un gage supplémentaire de sérieux aux institutions européennes. Mais, le nouveau négociateur en chef désire surtout informer et impliquer d’avantage l’opinion publique sur l’avancement de la candidature, pour enrayer la formation d’un euroscepticisme « à la turque », engendré par la lenteur et les difficultés rencontrées par le processus.

La persistance de la question chypriote

Plusieurs questions, gênant le bon déroulement des négociations, restent néanmoins en suspens. Au premier rang de celles-ci figure le différend chypriote. Ce dernier est à l’origine du gel de huit chapitres depuis 2006. L’année écoulée n’a pas vu d’avancée majeure sur la question, en dépit de l’ultimatum posée initialement par l’UE, qui souhaitait voir la Turquie ouvrir ses ports et aéroports aux vaisseaux et aéronefs chypriotes, avant la fin de l’année 2009.

Le refus turc d’appliquer l’accord d’union douanière malgré les espoirs suscités par l’élection de Demetris Christofias, les gestes symboliques comme la réouverture du check-point de Ledra Street en 2008, ou la relance des négociations entre les deux communautés, n’a pas entraîné pour autant de sanctions de la part de l’UE, la Grande-Bretagne et d’autres pays favorables à la candidature turque s’opposant à ce que celle-ci soit bloquée par ce différend.

D’autres pays continuent néanmoins de manifester leur opposition à l’adhésion turque et empêchent, en ce sens, l’ouverture de plusieurs chapitres. La France entend ainsi bloquer ceux impliquant l’adhésion (comme celui des affaires économiques et monétaires), tandis que l’Allemagne et l’Autriche en bloquent actuellement trois.

Au sein même des États européens, les opinions publiques ont évolué en cours d’année. L’échéance électorale de juin 2009 a en effet encouragé l’instrumentalisation de la « question turque » par certaines forces politiques, ce qui peut expliquer la mauvaise perception de la candidature d’Ankara par l’opinion publique européenne.

L’adhésion de la Turquie à l’UE était, en effet, perçue comme une bonne chose par seulement 20 % des Européens au cours du mois de septembre, un chiffre qui est en recul dans neuf des onze pays européens sondés. Il est néanmoins intéressant d’observer que l’opinion des populations les plus réticentes à la perspective d’une adhésion turque à l’UE se soit globalement améliorée ; si 65 % des Français s’y déclaraient opposés, en 2002, ils ne sont plus que 50 %, en 2009.

L’évolution des opinions publiques sur l’adhésion turque

Les atermoiements récurrents de l’Union quant à l’adhésion ont en revanche concouru à dégrader l’opinion des Turcs sur leur candidature et sur les pays européens en général. Un sondage récent du « German Marshall Fund » indiquait ainsi que s’ils demeuraient favorables à 48 % à une adhésion de la Turquie à l’Union, 65 % sont convaincus que celle-ci n’aboutira jamais.

Au-delà de la candidature, les Turcs portent même un regard de plus en plus défavorable sur les pays européens : le sondage publié ce 2 janvier par le quotidien « Zaman » montre notamment que 37 % des Turcs interrogés pensent que leur pays n’a pas d’alliés et que seuls 2,75 % des sondés perçoivent les pays de l’UE comme des alliés ou des amis. Cet impact négatif d’une politique d’adhésion à reculons menée par l’UE depuis des années, se manifeste enfin dans la perception même qu’ont les Turcs de leurs valeurs.

Selon un sondage, réalisé en avril 2009, par l’Université stambouliote de Bahçeşehir, 62 % des Turcs interrogés considèrent la religion comme une valeur suprême, devant la laïcité (16 %) et la démocratie (13 %). Les contradictions et ralentissements de la politique de l’UE face à la Turquie ont donc pu favoriser, cette année, une certaine dégradation de la perception des pays européens, par les Turcs.

La Turquie se tourne-t-elle vers l’Orient ?

Enfin, l’importante ouverture de la Turquie en direction de ses voisins orientaux et les succès qui en ont résulté, poussent de nombreux observateurs à déceler dans ce changement d’attitude une sorte de virage turc vers l’Orient.

Bien que le Président Abdullah Gül ait rappelé récemment que son pays n’avait « pas d’agenda au Proche-Orient », les visites officielles en Syrie, en Jordanie, en Lybie en Asie centrale, ou au Pakistan et les coopérations qui s’en sont suivies, semblent confirmer les velléités d’Ankara d’acquérir le statut de puissance régionale. Se posant en médiateur du conflit nucléaire iranien, tentant de renouer le dialogue entre les factions palestiniennes, multipliant les accords et les suppressions de visas avec des pays encore hostiles il y a peu, la Turquie semble montrer à ses voisins qu’ils sont à même de régler leurs différends sans la tutelle encombrante des grandes puissances.

Cette affirmation d’indépendance qui intervient au moment où Ankara réaffirme son désir de voir les négociations d’adhésion « prendre de la vitesse » (pour reprendre une expression utilisée par Ahmet Davutoğlu, en décembre dernier, à Bruxelles), est, indirectement ou non, un signal fort à l’adresse de l’UE. Cette montée en puissance de la Turquie, qui peut entraîner une véritable redistribution des rôles au Moyen-Orient, vise aussi, en effet, à amener l’Europe à prendre réellement conscience de l’intérêt que présente désormais la position stratégique de la Turquie.

Louis-Marie Bureau pour OVIPOT

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