L’universitaire Soufyane Frimousse (IAE de Corse) : « Le futur partenariat avant-gardiste France-Maroc s’appuiera fortement sur l’africanité »
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Un entretien d’Alfred MIGNOT pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse
avec Soufyane FRIMOUSSE,
Président-fondateur de l’Institut de l’Africanité,
Chercheur associé Essec Business School Paris et HEC Montréal,
Maître de conférence, habilité à diriger des recherches,
IAE de Corse
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AfricaPresse.paris (APP) – À la suite de la reconnaissance de la marocanité du Sahara par la France, via la lettre du Président Emmanuel Macron du 30 juillet dernier, quels pourraient être les contours de cette nouvelle ère annoncée des relations entre la France et le Maroc ?
Soufyane FRIMOUSSE – La France et le Maroc se positionnent aujourd’hui non seulement comme des partenaires stratégiques, mais aussi comme des amis fidèles. Un nouveau chapitre de coopération et de fraternité s’ouvre. Les deux pays se projettent vers l’avenir. Cet avenir s’appuiera fortement sur l’africanité qui n’a jamais pris autant d’amplitude qu’aujourd’hui, en France et au Maroc.
Prendre conscience de cette africanité est la meilleure manière de refonder la relation entre l’Afrique et la France, en particulier entre les jeunesses africaines et la France. Nos destins sont d’autant plus liés que la France est le pays européen dont la part d’africanité est la plus marquée. La France a hérité d’une forte tradition africaine, à la fois atout et défi.
Quant au Maroc, depuis son accession au trône, le roi Mohammed VI a tourné le pays vers l’Afrique subsaharienne tout en continuant d’avoir un ancrage fort en Europe. De longues tournées sur le continent et un retour au sein de l’Union africaine en 2017, après plus de trois décennies d’absence, marquent cette volonté. Le Maroc est devenu le premier investisseur africain en Afrique, devant l’Afrique du Sud.
APP – Voulez-vous préciser en quoi ce concept d’africanité auquel vous faites référence se manifeste concrètement ?
Soufyane FRIMOUSSE – Depuis des années désormais, de nombreux événements mettent en lumière l’africanité du Maroc. Citons notamment le festival Gnawa et les musiques du monde à Essaouira, ou celui des Musiques sacrées à Fès. Sur le plan académique, le Maroc se positionne comme phare de l’africanité par le biais de l’Université Mohamed VI Polytechnic (UM6P) et l’Africa Business School.
Au niveau des infrastructures, le Maroc propose également un accès à la façade atlantique des pays du Sahel dans le cadre d’un vaste partenariat (Corridor atlantique), dont le port de Dakhla constitue une pièce maitresse. Autre projet intégrateur : le gazoduc Maroc-Nigéria qui changera complétement l’économie de 23 pays de la région. Le Maroc est devenu un véritable pays pivot et moteur entre l’Union Européenne, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest.
La France aussi a grand intérêt à assumer et développer sa part d’africanité en s’appuyant notamment sur le modèle du Maroc qui, sous l’impulsion de Sa Majesté Mohamed VI, a renoué avec sa profondeur africaine à travers une véritable diplomatie culturelle au service de l’économie, ainsi que le démontrent les exemples d’action cités.
APP – Quelle coopérations renforcées préconisez-vous entre la France et le Maronc ?
Soufyane FRIMOUSSE – Le concept d’africanité sera le socle d’un nouveau partenariat stratégique à intérêts communs et solidaires. La France et le Maroc doivent évoluer vers une complémentarité renforcée dans le secteur industriel, notamment dans la production de batteries électriques ou l’hydrogène vert. L’industrie automobile et aéronautique, où les collaborations sont déjà bien établies, sont également des axes prioritaires.
Les secteurs clés de cette coopération sont également à consolider et développer dans les énergies renouvelables et le nucléaire à travers des réacteurs modulaires.
Les bases d’une prospérité partagée sont : les proximités, le renforcement de compétences et de connaissances actionnables, ainsi que la mobilité bilatérale du facteur travail et du capital. Il est temps de tourner la page des délocalisations, concept d’échange asymétrique, préjudiciable à l’emploi, aux équilibres financiers des systèmes sociaux et au commerce international. La complémentarité industrielle doit enrichir, voire remplacer progressivement, la sous-traitance et l’industrie d’assemblage.
APP – Peut-on préciser les exemples de complémentarité industrielle renforcée auxquels vous pensez ?
Soufyane FRIMOUSSE – Le secteur automobile est l’exemple parfait de ce nouveau modèle de co-industrialisation. La petite voiture AMI, conçue au Maroc par des ingénieurs et concepteurs marocains qui travaillent pour la plate-forme Recherche et Développement de Stellantis, est fabriquée dans l’usine de Kénitra pour être commercialisée en Europe.
Filiale spécialisée dans le ferroviaire du géant français Egis, Egis Rail, son compatriote Systra et le cabinet marocain Novec collaborent dans l’extension de la ligne à grande vitesse (LGV) de Kenitra à Marrakech.
Dans le secteur énergie, Engie œuvre au Maroc depuis plusieurs années aux côtés de la société royale Nareva, avec laquelle a été créé la joint-venture Dakhla Water & Energy Co (Dawec), spécialisée dans le dessalement de l’eau de mer.
Ce sont des modèles qu’il faut dupliquer dans l’industrie ferroviaire, l’aéronautique, le numérique. L’histoire montre que des industries se sont développées dans des bassins féconds par les interactions entre des talents scientifiques et techniques, des connaissances de haut niveau, mais aussi des savoir-faire ouvriers.
APP – Comment imaginez-vous une action complémentaire renforcée franco-marocaine à l’adresse de l’Afrique, notamment de l’Ouest ?
Soufyane FRIMOUSSE – Le Maroc et la France partagent une histoire commune mais ils doivent également partager des ambitions économiques et sociales à travers un engagement fort pour l’essor du continent africain et son industrialisation. Ces ambitions doivent s’inscrire dans la durée pour passer des phases d’exploitation, à celle de production puis de conception.
Le Maroc, fort de sa stabilité et de sa position en tant que porte d’entrée vers l’Afrique, se veut un ambassadeur du co-développement. 450 millions de personnes et de consommateurs en Afrique de l’Ouest constituent un marché et une énorme zone d’influence, un potentiel que les deux nations doivent valoriser en constituant des partenariats avec ceux qui le veulent. Des partenariats d’égal à égal, sans exclusivité, sans monopole ni paternalisme.
Cette complémentarité renforcée doit se transformer en expertises et connaissances élaborées ensemble, à partager vers les Afriques profondes, pays qui sont demandeurs. Une véritable offre attractive doit être proposée. Rappelons qu’en dehors du Maghreb, l’essor de l’industrie est timide en Afrique. Pourtant, le potentiel est considérable notamment dans l’agroalimentaire, le textile ou l’automobile.
Ce sera un partenariat avant-gardiste avec un agenda ambitieux, tourné à la fois vers l’Europe et l’Afrique à partir, autour et avec le Maroc. Un véritable espace de reconfiguration des appareils de production fondé sur des chaînes de valeurs régionales.
APP – Quelles seraient les conditions de réussite de ce partenariat avant-gardiste ?
Soufyane FRIMOUSSE – Aux plans culturel et économique, il s’agit de renouveler le regard et de penser l’altérité, de décoloniser les formes et les imaginaires. En quelque sorte, il s’agit de fixer une nouvelle éthique de la rencontre. Qu’elle ne soit plus effraction, ou prédation, mais bien déploiement et apprentissage de l’intérêt commun dans une perspective d’accompagnement de l’appareil productif local. Avant de commercer, il faut produire sur le continent en misant sur les synergies et les complémentarités des expertises entre le Sud et le Nord. Pour y arriver, favoriser la mobilité des chercheurs et des entrepreneurs est déterminant.
APP – Comment surmonter le handicap de la grande méconnaissance de l’Afrique, que l’on peut constater souvent parmi les élites occidentales ?
Soufyane FRIMOUSSE – En fait, l’africanité, c’est prendre conscience que l’Afrique n’est pas qu’un réceptacle, que les Africains ont également des choses à offrir au monde… c’est comprendre que ce continent va devenir central et qu’il deviendra le plus important de la planète, notamment par sa démographie et son dynamisme économique.
En France, il faut proposer aux écoles et aux grands groupes français des programmes de formation qui visent une meilleure connaissance du continent grâce à des modules consacrés à l’Afrique réelle, celle des territoires, du quotidien, qui vit selon ses coutumes, ses traditions, l’urgence.
Dispensés par des experts aux enracinements africains dynamiques, en harmonie avec le réel, ces modules permettront de connaître les Afriques et les Africains et pas seulement l’élite africaine qui est d’ailleurs souvent en rupture avec ses populations… Ce seront des formations au service des transitions que nous devrons engager, conduire et assumer ensemble.
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