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Alain Cabras (IEP Aix)

- L’incompréhensible silence de l’UPM, qui ne doit pas devenir une “grande muette”

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 8 février 2011 | src.LeJMED.fr
- L'incompréhensible silence de l'UPM, qui ne doit pas devenir une “grande muette”
Aix-en-Provence -

Consultant et Maître de conférences associé à Sciences-Po Aix, Alain Cabras estime, dans sa Tribune Libre, « incompréhensible » le silence des officiels censés incarner le projet de l’Union pour la Méditerranée, mis à mal – provisoirement ? – par le « tunisami » déferlant dans le Sud méditerranéen. Surtout, il détaille le formidable potentiel d’avenir dont l’UPM reste virtuellement porteuse, afin que « Européens et Arabes (…) épousent ensemble l’histoire de ce siècle qui a commencé sans eux ».

Photo ci-dessus : Alain Cabras © DR


Tribune Libre

Titre original

L’Union pour la Méditerranée : être et dire

par Alain CABRAS
Consultant, Maître de conférences associé à Sciences-Po Aix


Où est passée l’Union pour la Méditerranée ? Comment se fait-il que nous ne l’entendions pas s’exprimer, à propos de la révolution en Tunisie et en Égypte, sur le sens de ce grand mouvement de protestation contre la faim et pour l’État de Droit qu’orchestre partout la jeunesse arabe d’Alger au Caire en passant par Amman ?

Ce silence est incompréhensible quels que soient les arguments de realpolitik que l’on pourra avancer. Il est une gifle à l’esprit fondateur de cette union, dont le but clair est, par le biais de la réussite économique, permettre l’avènement de sociétés pluralistes et de tolérance mutuelle. Qui osera dire le contraire ?

Une conversion démocratique unique se passe sous nos yeux, et la seule institution courageuse et pertinente pour allier Nord et Sud se tait. Et cela ne tient pas à la démission de son Secrétaire général, M. Massa’deh, en janvier dernier.
Bien sûr, tous les signaux politiques incitent à la prudence : la démocratie n’est pas assurée d’advenir en Tunisie ni en Egypte. Cette transition peut tourner au drame avec un aller simple vers le passé. Qui sait d’ailleurs ce que réserve l’évolution en Jordanie, au Yémen et en Algérie ?

Certes, l’Union pour la Méditerranée n’a pas pour objet de traiter des questions politiques entre les États mais de s’occuper « seulement » de régler des sujets économiques et environnementaux urgents et nécessaires.
Certes, comme l’écrivait Charles de Gaulle, « les voies de l’angélisme n’amènent pas à celles de l’Empire »…

Mais voilà, la créature « UpM » a échappé à ses créateurs et elle a produit autour d’elle une véritable attente, une croyance que « tout ce qui nous rassemble est supérieur à ce qui nous sépare », comme le disait Nicolas Sarkozy, dans son discours de Tanger. En effet, la lutte contre la pauvreté, pour des droits fondamentaux et élémentaires, pouvoir se nourrir, bref connaître la dignité d’être tout simplement « humain », est le cœur de ce qui rassemble les peuples de la Méditerranée, au Nord, à l’Est comme au Sud.

Car, l’Union pour la Méditerranée, au-delà de l’institution en tant que telle, est un formidable miroir grossissant dans lequel l’Europe et les pays Arabes se regardent désormais. Ce n’est pas une couche diplomatique supplémentaire sur le gâteau des chancelleries nationales. L’Union pour la Méditerranée oblige les peuples à mieux se connaître.

En Europe, cette Union impose à ses citoyens de revenir sur leur amnésie concernant l’autre rive, à reconsidérer leurs « trous noirs » mémoriels comme le dit [1]. Dans les pays Arabes, l’Union questionne les régimes, les sociétés civiles organisées, les jeunesses sur l’avenir qu’ils envisagent entre revendication identitaire arabe et/ou nationale et/ou musulmane et désir de valeurs centrales occidentales. Bref, faire le ménage, dans leur trop plein de mémoires affectives et [2].

À cet effet « miroir », s’ajoute un dommage collatéral positif : celui de la mise à mal de la rassurante et bien heureuse ignorance. Une relecture des imaginaires et des symboles de la Méditerranée n’est plus évitable, en plus de celle de l’Histoire. C’est un travail long et périlleux, que celui du pari de l’intelligibilité des rapports sociaux, culturels et politiques entre tous ces peuples, mais il est indispensable. Non pas seulement par pur plaisir intellectuel ou soif de rétablir des vérités historiques, mais aussi et surtout pour que la Méditerranée « devienne ce qu’Elle est » pour paraphraser Nietzsche, à savoir la première puissance économique, politique et culturelle du monde.

L’Union pour la Méditerranée peut, quelle que soit sa forme, confédérale ou associative, incarner le symbole premier des peuples de la Méditerranée depuis que l’Histoire nous le rapporte sous une forme oxymorique : celui de la densité de la vie et du sens de la mesure issus de toutes ses civilisations, gréco-latine, judéo-arabo-andalouse, christiano-rationnelle en vues d’une union culturelle et politique possible. Et rappeler définitivement que seule la démocratie est l’outil capable de doser cet ensemble si complexe.

L’Union pour la Méditerranée pourra enfin, après la période utile et nécessaire de repentance, de regrets et de reproches entre les deux rives, sortir de leurs tétanies respectives Européens et Arabes pour qu’ils épousent ensemble l’histoire de ce siècle qui a commencé sans eux.

Sans doute est-ce là le sens historique de la présidence française du G8 et du G20, désormais seule au gouvernail de la co-présidence de l’Union pour la Méditerranée.

Alain CABRAS
Consultant, Maître de conférences associé à Sciences-Po Aix


(1) Georges Corm, Orient-Occident, La fracture imaginaire, La Découverte, Paris, 2002, et revue « Questions internationales » n°36, la Documentation française, mars-avril 2009, p 13-26.

(2) Amin Maalouf, Le dérèglement du monde, essai, éditions Grasset, 2009


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