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À Marseille, en direct de la IVe Semaine économique de la Méditerranée

« L’impact de la crise sur les pays MED, et trois scenarii d’avenir », par Bénédict de Saint-Laurent

« L'impact de la crise sur les pays MED, et trois scenarii d'avenir », par Bénédict de Saint-Laurent
Marseille -

Intervenant en marge de la présentation publique du rapport Femise-Femip sur la thématique de la « Crise et sortie de crise dans les pays méditerranéens », lundi 29 novembre au CMI de Marseille (cf. notre article), Bénédict de Saint-Laurent a résumé pour l’auditoire son papier, que nous éditons ici intégralement, sur le thème de l’impact de la crise sur les pays MED. Où l’on voit que cet impact, différé mais bien réel, n’a pas eu que des effets négatifs, ne serait-ce que par les stratégies de réponse qu’il a suscitées. Pourtant, il reste beaucoup à faire pour passer d’un espace balkanisé à une réelle intégration régionale. Décryptage et vision d’avenir, en trois scenarii…

Photo ci-dessus : Bénédict de Saint-Laurent, de Anima Investment Network (Marseille), lors de sa participation aux IIIe Sommet des leaders économiques méditerranéens de Barcelone, le 3 juin 2010. © leJmed.fr - novembre 2010

Une analyse
de Bénédict de Saint-Laurent
Conseiller de
ANIMA Investment Network

Marseille, 30 novembre 2010

Bien que relativement protégés au départ, en particulier parce que leur système
financier est peu internationalisé, les 10 pays « MED » (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie, Turquie) ont fini par être touchés par des effets de second tour – typiquement, diminution des revenus en Europe ou dans le monde, provoquant une baisse des recettes de tourisme ou des transferts de migrants. Mais, globalement, un certain amortissement de la crise a pu être observé – également pour des raisons indirectes : par exemple, la région MED a pu devenir plus attractive qu’une Europe affaiblie, notamment pour les investissements étrangers de « near-shoring ».

Une perte globale
de 100 milliards de dollars en 2009

Les revenus externes de la région, représentés pour 5 catégories de flux (IDE, tourisme, migrants, aide au développement, exportations) dans le graphique ci-dessous, ont baissé d’environ 100 milliards de dollars US entre 2008 et 2009.


Figure 1. Évolution des revenus externes des 10 pays MED
sur les 5 dernières années

En millions de dollars US. Sources : IDE : UNCTAD, estimations UN/ANIMA pour 2009 ; Tourisme : OMT, ANIMA ; Transferts : World Bank ; APD : OCDD (estim. ANIMA pour 2009) ; Exports : UN ComTrade (CIA WFB pour 2009) ;

Mais, cette base de comparaison est discutable, car certains flux avaient fortement crû dans la période récente (IDE, exportations, transferts des migrants, recettes du tourisme). En comparant 2009 à 2006, c’est au contraire une hausse des revenus externes (+33 milliards de dollars US) que l’on observe (Figure 2).

Figure 2. Évolution des revenus externes des pays MED sur 2 périodes (Mêmes sources)

Pour situer l’impact de ces évolutions, il est possible de donner deux éléments de
comparaison :

 le PIB de la région MED est de 1 388 milliards de dollars en 2009 (Banque Mondiale), donc la perte de revenu externe subie en 2009 représente 7,7 % du PIB, ce qui est loin d’être négligeable ;

 en termes d’accumulation de capital productif ou financier, la perte de revenu subie en 2009 représente environ 21,5 milliards de dollars (100 % des IDE, 25% des recettes de tourisme, 5 % des transferts, 20 % des exportations), soit de l’ordre de 7 % de la FBCF (formation brute de capital fixe, qui s’élève à 315 Mds de dollars US en 2008) des pays MED.

Des pays inégalement touchés

Au niveau des pays, ce sont les nations les plus mondialisées qui ont perdu le plus en 2009 : Israël et Turquie (IDE, tourisme), pays pétroliers et Turquie (export), Turquie, Syrie et Égypte (transferts des migrants). Les autres pays se maintiennent, surtout si l’on compare 2009 à 2006, et sauf pour l’investissement étranger, en net retrait après la déconfiture de certaines économies du Golfe (typiquement, les investissements émiratis de 2006-2007).

Figure 3. Évolution des revenus externes par pays MED
(2009 comparé à 2006 -mêmes sources)

Quelques pays apparaissent gagnants pour certaines catégories de revenus : Liban
(heureusement sorti de la guerre) pour les IDE et le tourisme, Syrie pour le tourisme. Quelques pays ont limité l’impact négatif de la crise (Égypte, sauf transferts, ou Tunisie jusque dans la période récente).

La crise n’est en effet pas nécessairement terminée et le Maghreb en particulier pourrait souffrir longtemps du marasme européen.

Le Machreck, lui, a été touché par la crise du Golfe, qui a en particulier conduit au
rapatriement de millions de travailleurs, mais une partie de cette sous-région bénéficie du dynamisme exceptionnel de la Turquie, qui rejaillit sur les pays proches (Syrie en particulier, qui expérimente en outre une vraie ouverture économique, avec d’inévitables obstacles).

À un degré moindre que la Turquie, Israël semble en mesure de sortir rapidement de la crise. Autre poids lourd, l’Égypte a continué de toucher les dividendes d’une stratégie de réforme assez affirmée et reconnue.

Enfin, même sensible, la crise a été largement amortie d’une part par l’involontaire vertu des pays MED (peu de produits financiers sophistiqués, peu d’exposition aux risques externes, place limitée dans les échanges mondiaux) et d’autre part par une forte résilience liée aux ressources propres des pays (Algérie, par exemple, pour l’énergie) et à l’importance de leurs besoins internes (jeunes, attentes de la classe moyenne, retard d’équipement etc.).

Comme le montrent des travaux du FEMISE, à présent associé à ANIMA dans le cadre de l’OCEMO, la croissance a baissé de 1,5 à 2 % sur la moyenne des pays MED en 2009, contre 4 % de chute en Europe. Un retour assez rapide à une croissance robuste est ainsi pronostiqué par la Banque Mondiale (tableau ci-dessous). De même, les flux d’investissement vers MED ont diminué de 14 % en 2009, contre -35 % au niveau mondial.

Figure 4. Croissance du PIB dans quelques pays MED
(en %. Source : World Bank)

Quelles réponses à la crise ?

Sans que ces stratégies soient nécessairement liées à la crise, plusieurs pays MED ont utilisé depuis 2008 l’intervention publique comme un recours majeur. Faisant face à une demande externe décroissante, la plupart des pays ont soutenu leur demande domestique (pesant sur l’augmentation des déficits publics) et développé des stratégies structurelles s’appuyant sur les acteurs publics.

Une étude d’ANIMA publiée en 2010 (« La carte des investissements en Méditerranée », téléchargeable ici) illustre les nombreux programmes apparus au niveau national pour consolider les infrastructures, encourager les PME, développer l’innovation, alléger la pauvreté etc. (par exemple au Maghreb, projets tels que Tanger-Méditerranée, le train à grande vitesse Tanger-Rabat, l’initiative de développement humain du Maroc, l’autoroute algérienne Est-Ouest, les technopoles tunisiennes etc.). La plupart de ces politiques de soutien avaient été définies dans la période 2000-2005, mais ont été accélérées en 2008-2009.

Bien qu’utiles et positifs, tous ces plans nationaux n’abordent cependant pas la question de l’intégration régionale, dans un espace balkanisé où tant le commerce que les investissements intra-MED (respectivement 6 à 7 % du commerce et 5 % des IDE globaux de la région) sont clairement au-dessous du potentiel souhaitable.

En dépit du coût plus élevé des importations (hydrocarbures et agroalimentaire en particulier, pour la plupart des pays de la région), les excédents de pré-crise ont permis la mise en place de réponses budgétaires relativement raisonnables.

Cependant, en 2010, la plupart des pays subissent davantage de pression -chômage plus élevé, revenus inférieurs, service de la dette moins confortable.

Les pays à taux des change flottant (Égypte, Maghreb) disposent de davantage de marges de manœuvre que ceux dont la monnaie est liée aux devises fortes (Jordanie, Liban, Syrie).

L’utilité des stratégies et commandes publiques ne signifie pas que le rôle du secteur privé soit secondaire. Naturellement, la majeure partie des travaux, de la création de valeur et de la richesse viendra des entreprises (voir illustration ci-dessous montrant la complémentarité de ces efforts).

Dans le champ économique, les gouvernements devraient limiter leur rôle à mettre en place un environnement satisfaisant des affaires (infrastructures, cadre légal, normalisation, fiscalité et incitations, contrôle des pratiques des opérateurs etc.) et à amorcer des projets pilotes ou des initiatives susceptibles de mobiliser ou organiser les forces du marché. Tanger-Méditerranée représente une telle success story, lancée par l’État mais mise en œuvre par une organisation privée (agence spéciale).

Figure 5. La pyramide du développement économique et de la création d’emplois
(estimations ANIMA)

Une plus grande attention aux besoins des opérateurs économiques peut également être observée dans la plupart des pays depuis 2008 : soutien aux PME, financement de l’activité économique, soutien à l’innovation, technoparcs, programmes d’accession sectorielle aux outils (par exemple informatisation des petites entreprises), encouragement de filières etc. ANIMA y prend largement part et a infléchi ses priorités dans ce sens.

Trois scénarii de long terme...

Sur un plan plus politique, la réflexion d’ANIMA évoque 3 scénarii à plus long terme pour le futur économique de cette « région globale » qu’est l’Euromed :

Le scénario du pire, ou scénario Atlantide. La région entière, sur les deux rives, a des atouts patrimoniaux forts (civilisations, culture, sites, climat, ressources naturelles, etc.), mais une capacité à entreprendre faible, au moins si l’on compare aux deux autres blocs principaux de l’Amérique (ALENA + Comasur) et de l’Asie (Chine + ASEAN + Inde).
Si une alliance euro-méditerranéenne ou euro-africaine forte n’émerge dans la décennie à venir, cette région du monde ne disparaîtra certes pas comme un continent perdu (l’Atlantide…), mais pourrait se trouver largement marginalisée et dominée dans le système mondial.

Le manque de leadership, les divergences stratégiques et le vieillissement du modèle de l’UE d’une part, le manque d’intégration, les conflits actuels ou latents, et les défis difficiles des pays MED d’autre part, limitent la compétitivité de l’Euromed. Dans ce scénario, les synergies potentielles entre les deux rives sont gaspillées et les fractures existantes (économique, religieuse, politique…) aggravées. C’est, d’une certaine manière, un scénario « ne rien faire » – Europe incapable d’adopter une vision proactive du rapport avec son sud, gouvernements
MED davantage intéressés à maintenir leur pouvoir qu’à développer leur pays, élites et capitaux en fuite, manque de décideurs courageux et prophétiques s’appliquant à mettre fin à des conflits interminables, sociétés démissionnant face à l’extrémisme ou au populisme.

Le scénario de la continuité. Le dialogue Euromed continue, non sans arrêts et avatars. Le processus politique entraîne quelques avancées pour le business. Les entreprises coopèrent, mais ne sont pas entièrement libérées de certains obstacles (visas, déséquilibres des accords commerciaux, bureaucratie, mise en place fastidieuse de normes communes etc.). Quelques engagements émergent de crises périodiques, mais il manque une détermination à long terme – d’où d’inévitables retards, comme la zone de libre échange prévue pour 2010, le démarrage laborieux de l’UpM, ou les fonds insuffisants (le ratio bien
connu de 1 à 40 entre fonds structurels destinés respectivement à MED et aux PECO).

Dans ce scénario, le territoire MED mélange plusieurs modèles : quelques espaces
d’excellence (métropoles, pôles industriels ou logistiques, technoparcs) capables de fixer le meilleur des activités et des citoyens de MED ; nombreuses enclaves touristiques ; vastes banlieues urbaines sous-équipées etc. À peu d’exceptions près (compagnies pétrolières), l’industrie dépendra de multinationales OCDE ou émergentes (les Tata, Mittal, CNPC, Bunge, Emaar etc.). MED et Europe vivront un déclin relatif vis à-vis-de l’Asie et de l’Amérique.

Le scénario idéal. Tous les conflits sont résolus (peut-être parce qu’ils apparaissent comme secondaires, comparés aux défis de la planète…). L’organisation MED-15, associée à part entière de l’UE-35, est créée dès 2015, et ces 50 États sont tous partie d’une Union prospère pour la Méditerranée. La complémentarité Euro-Med est encouragée en termes de mouvement des biens et des personnes. Une banque de développement accompagne la multiplication des projets et des partenariats d’affaires. Un Traité est signé, faisant de la
Méditerranée un laboratoire mondial pour des approches industrielles basées sur l’innovation, la responsabilité sociale, le souci environnemental etc. Un accès large à l’Internet facilite la mise en place d’une véritable économie de la connaissance sur tout le Bassin.

Évidemment constitué de millions de décisions individuelles, ce scénario implique surtout un ensemble de choix collectifs basés sur la rationalité à long terme : préférence systématique pour des projets durables, développement de la subsidiarité et de la responsabilité locale, engagement en faveur d’une coopération régionale approfondie, priorité à l’éducation et à la formation, vraies chances économiques données aux entrepreneurs, en particulier aux
jeunes, femmes et diasporas. A nous tous de choisir !

Bénédict de Saint-Laurent
ANIMA Investment Network, Marseille


Sur le même sujet :

 À Marseille, en direct de la IVe Semaine économique de la Méditerranée :
Une ambitieuse étude du FEMISE pour la FEMIP : « Quelle sortie de crise pour les pays Med ? »

 Une analyse de l’impact de la crise sur les pays sud-méditerranéens a été réalisée par ANIMA à la mi 2010 : un article de Bénédict de Saint-Laurent pour l’Institut des Affaires Internationales, Italie (téléchargeable ICI)

 Bénédict de Saint-Laurent : "L’équipe d’Anima préconise la création d’une plate-forme MED pour les TPE-PME


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