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L’humour en Méditerranée au CC UPM : un vecteur de dialogue, de dignité et de contestation

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 23 novembre 2011 | src.leJMed.fr
L'humour en Méditerranée au CC UPM : un vecteur de dialogue, de dignité et de contestation
Paris -

Pour son « Mardi de Marigny » du 15 novembre 2011, dédié à « L’humour en Méditerranée », le Conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée, que préside Renaud Muselier , a réuni un quartette d’excellence : Plantu et Vanessa Rousselot (France), Nadia Khiari (Tunisie) et Fouad Laroui (Maroc). Leurs témoignages passionnés ont mis en exergue le rôle fondamental de l’humour comme vecteur universel d’expression d’un dialogue pour la paix, mais aussi de contestation des pouvoirs en place…

Photo ci-dessus et ci-dessous, de gauche à droite : Vanessa Rousselot, auteure du film « Blagues à part », qu’elle a tourné en Palestine ; Renaud Muselier, Président du Conseil culturel de l’UPM ; Nadia Khiari, qui a inventé le personnage « Willis from Tunis » ; Plantu, le célèbre dessinateur-éditorialiste français ; la journaliste Alya Chebab Ferrero, animatrice de la rencontre ; Fouad Laroui, écrivain francophone marocain. © Alfred Mignot - novembre 2011


En ouverture de soirée, la projection d’extraits de « Blagues à part », film de la française Vanessa Rousselot, a tiré d’emblée la réunion « vers le haut », démontrant que non seulement l’humour n’a pas de frontière, mais que, de plus, il s’affirme comme une arme inaliénable dont disposent des populations confrontées à des humiliations quotidiennes.


Vanessa Rousselot : « L’humour, c’est pour eux
un moyen de préserver leur dignité »

« Blagues à part », en effet, a été tourné en Palestine, et le film est une sélection de blagues colportées par les gens « de la rue », en Cisjordanie comme à Gaza, et dont la capacité d’humour peut sembler comme aiguisée par les terribles contraintes d’une vie quotidienne cauchemardesque. « Avant de me trouver sur place, relève Vanessa Rousselot, j’imaginais comme beaucoup d’entre nous que les Palestiniens ne pouvaient que passer leur temps à se lamenter sur leurs souffrances… Eh bien, non ! Les Palestiniens se racontent beaucoup de blagues ! Je crois que c’est pour eux une manière d’établir une forme de distance avec les humiliations qu’on leur fait subir quotidiennement, notamment aux check points. L’humour, c’est pour eux un moyen de préserver leur dignité face aux humiliations ».


Les « astuces » de Plantu

Plantu, le célèbre dessinateur-éditorialiste français, commentant avec fougue les dessins de ses confrères méditerranéens de « Cartooning for Peace ». © Alfred Mignot - novembre 2011

Plantu, le célèbre dessinateur-journaliste français, est aussi président de « Cartooning for Peace », initiative visant à promouvoir la compréhension et le respect mutuel entre les peuples, avec le dessin de presse comme moyen d’expression d’un langage universel.
Ce « Mardi de Marigny » se déroulant peu après l’incendie d’origine criminelle qui, le 2 novembre 2011, a détruit en partie les locaux de l’hebdomadaire satirique français « Charlie Hebdo », qui s’apprêtait à publier un numéro spécial « Charia Hebdo », Plantu a rendu hommage à plusieurs de ses confrères méditerranéens, dont il a projeté les dessins – et notamment ceux du caricaturiste syrien Ali Ferzat, qui a été pris pour cible par la répression dans son pays –, et expliqué à l’assemblée comment, sans s’autocensurer, les dessinateurs pouvaient contourner les tabous :
« On peut toujours trouver des astuces pour titiller sans blasphémer… Ainsi, à propos de l’interdit musulman de représentation du visage du Prophète, il est toujours possible de le flouter. Une fois, je me suis mis à écrire « je ne dois pas, je ne dois pas [représenter ce visage] et quand j’ai fini, je me suis rendu compte que toutes ces lignes juxtaposées représentaient… un visage ! Avec une belle barbe de prophète ! »


Nadia Khiari : « Le rire permet d’exorciser la peur »

Une vue de la salle. Au premier rang, on reconnaît notamment S.E. Boutros Assaker, Ambassadeur du Liban en France ; Jean-Louis Guigou, Délégué général de l’IPEMED ; Mme le Recteur Michèle Gendreau-Massaloux, de la mission UPM de l’Elysée ; Mme Syhem Belkhodja, membre du Comité stratégique du CC UPM, initiatrice du Festival Mode et design de Carthage ainsi que des Rencontres internationales du film documentaire et des Rencontres chorégraphiques de Carthage. © Alfred Mignot - novembre 2011

« J’ai commencé à dessiner le 13 janvier, juste après le dernier discours de Ben Ali, qui s’est enfui le lendemain… Je voulais juste faire sourire mes amis, et ce sont eux qui m’ont dit d’ouvrir une page sur Facebook. Ça a démarré comme cela, tout simplement », raconte la tunisienne Nadia Khiari.
Depuis, « Willis from Tunis », le chat facétieux auquel elle a donné vie, commente avec un esprit caustique les grands et petits événements de la révolution et de la « transition démocratique » tunisiennes, illustrant le rôle de l’humour comme contre-pouvoir. « Le rire est contagieux, relève Nadia Khiari. C’est aussi une soupape, et il permet d’exorciser la peur. »


Fouad Laroui : « … la dernière fois, c’était en 1957 »

Écrivain francophone marocain, auteur de plusieurs livres à succès, qui évoquent avec affection et dérision les travers des sociétés française et marocaine, Fouad Laroui a d’emblée provoqué le rire « franc et massif » de l’assemblée en débutant son intervention par un propos catégorique : « Je ne comprends pas pourquoi je suis ici… Comme le dit mon oncle, dans la famille, nous n’avons pas d’humour. D’ailleurs la dernière fois qu’il a ri, c’était en 1957 ! ».

Après quoi, à la demande de l’animatrice de la soirée, la journaliste Alya Chebab Ferrero, Fouad Laroui a lu un extrait de son dernier roman « Une année chez les Français » (Pocket, 2011), où il conte les aventures du jeune Medhi, arraché à la quiétude de son Atlas natal pour intégrer, comme interne, le prestigieux lycée Lyautey de Casablanca, et passer ses fins de semaine dans une famille française…
Et puis… « les Arabes aussi ont de l’humour ! Il circule beaucoup de blagues sur le Prophète au Maroc, déclare Fouad Laroui. La dernière, à Casablanca : c’est un homme très pieux qui arrive au paradis. Comme il est musulman, il n’a pas été baptisé, et s’étonne d’être accueilli par Saint-Pierre. Alors il lui dit : “Et mon prophète ? » Sur quoi, Saint-Pierre se tourne et s’écrie : “Mohamed ! Les bagages !” »…


Renaud Muselier : comme « Les Intouchables »
et « La vie est belle »…

L’intervention de Renaud Muselier, Président du Conseil culturel de l’UPM. A sa droite, la tunisienne Nadia Khiari, qui a inventé le personnage « Willis from Tunis » ; à sa gauche : Plantu, le célèbre dessinateur-éditorialiste français ; la journaliste Alya Chebab Ferrero, animatrice de la rencontre. © Alfred Mignot - novembre 2011

Dans son intervention de conclusion, Renaud Muselier, Président du CC UPM, apporta lui aussi son témoignage… Chacun se souvient en effet comment il fit rire la France entière lorsque, nommé en 2003 Secrétaire d’État de Dominique de Villepin, ministère des Affaires étrangères, il résuma d’une phrase la situation, en réponse à une question de journaliste sur ses attributions : « Villepin fait tout, je fais le reste ! »

Une phrase devenue culte, qui valut à Renaud Muselier d’être le lauréat de l’année du Prix de l’humour politique, et dont il donne ici les clés du contexte :

« Il faut savoir que je devais être nommé aux Sports, je n’étais pas vraiment prêt pour ce poste où j’ai appris ma nomination quelques heures auparavant… Il fallait bien dire quelque chose ! Et d’ailleurs cette phrase a réglé par avance tous les problèmes : j’ai passé trois ans merveilleux au Quai d’Orsay ».

Pour finir, le Président du Conseil culturel de l’UPM relève encore que « au quotidien, chacun recherche spontanément le contact avec les gens qui ont de l’humour. Et l’humour c’est vrai, rend parfois supportable l’insupportable. Une preuve actuelle nous en est donnée par l’immense succès du film « Les Intouchables », où l’on rit beaucoup malgré la tragique situation du héros paraplégique… Cela me rappelle un autre immense film, « La vie est belle » de Roberto Benigni, un pur chef-d’œuvre », ode à l’amour d’un père pour son fils, et drôle, malgré le contexte tragique de la déportation…

Et c’est ainsi que de l’histoire d’une famille juive italienne déportée, à celle des Palestiniens d’aujourd’hui, l’humour, la distanciation qu’apporte l’humour face au tragique d’une destinée, apparaît comme un marqueur civilisationnel très partagé en Méditerranée.

Alfred Mignot


◊ ◊ ◊

Site du Conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée

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