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L’après-COP27 à la SEIN/ L’ancien ministre Brice LALONDE : « Un fonds sera créé pour la dette climatique… mais tout reste encore à négocier ! »

27 décembre 2022
L'après-COP27 à la SEIN/ L'ancien ministre Brice LALONDE : « Un fonds sera créé pour la dette climatique… mais tout reste encore à négocier ! »
Animée par la Sylvianne Villaudière, vice-Présidente de la Société d’Encouragement de l’Industrie nationale (SEIN), la VIIe Rencontre annuelle « Mise en lumière pour le Climat » s’est déroulée le 14 décembre à l’Hôtel de l’Industrie, siège parisien de la SEIN. Le décryptage de la COP27 fut l’un des thèmes majeurs de la conférence.

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par Alfred MIGNOT, AfricaPresse.Paris (APP)
@alfredmignot | @africa_presse

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Dans son propos liminaire, Gilles-Henri Garault, Vice-Président de la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale (SEIN) et Président de la Commission internationale, a relevé le caractère anxiogène de la succession de crises internationales qui, depuis 2020, surviennent sans répit, tout en se cumulant les unes aux autres : pandémie de la Covid, guerre en Ukraine et ses conséquences économiques internationales, comme la hausse des matières premières et alimentaires ainsi que de l’énergie, l’inflation croissante… Un contexte donc très difficile pour espérer de grandes avancées à l’occasion de cette COP27.
Néanmoins, considère Gilles-Henri Garault, la grande question de la dette climatique a été traitée.

Jusqu’ici, la confrontation des arguments bloquait l’avancée vers un consensus opératoire, les pays pauvres arguant à juste titre que depuis 1750 jusqu’à 2006, 75 % des émissions de CO2 dans l’atmosphère sont issues des pays riches… ce dont les pays pauvres paient aussi injustement le prix, aujourd’hui.

Aussi, des pays « émergents » comme le Pakistan, l’Indonésie, le Brésil, l’Iran, etc., au bord du boom industriel, observent que les modèles de développement coréen, chinois ou japonais ont pu s’épanouir en se fondant sur les énergies fossiles… et ils revendiquent donc de pouvoir faire de même.
C’est donc pour les encourager et les soutenir à sauter le pas du fossile et à aller vers les énergies renouvelables – comme l’Afrique a sauté l’étape du téléphone fixe pour aller vers le mobile – qu’a été retenu le principe de la création d’un fonds d’indemnisation des pays pauvres pour les aider à la transition énergétique. En en espérant bien sûr qu’il bénéficiera d’une meilleure fortune que celui décidé en 2009 à la Conférence de Rio, de financement des pays pauvres à hauteur de 100 milliards de dollars par an, promesse qui n’a jamais été tenue…

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Brice Lalonde : « Les émissions
des pays développés ont baissé »

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Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement (1988-1992) et Président de l’association Équilibre des énergies, a pour sa part estimé que si cette COP27 a marqué le grand retour des lobbyistes de l’énergie fossile, et si parallèlement les émissions globales de CO2 ont augmenté, « les émissions des pays développés ont baissé ». Donc c’est possible… mais cela ne va pas assez vite.

« Vieux routier », comme il se définit lui-même, Brice Lalonde observe qu’il a connu cinq fonds créés par les COP, et que pour celui qui vient d’être décidé, tout reste à faire : qui va payer ? où ira l’argent ? …
Voilà les vraies questions, peu aisées à résoudre car si les nouveaux pays riches veulent bien que les « vieux » riches paient leur dette climatique, ils ne veulent pas pour autant participer au financement des efforts collectifs à accomplir pour réussir la transition énergétique…
« Tout reste encore à négocier. Mais on avance, relève l’ancien ministre de François Mitterrand. Peut-être que les transports aérien et maritime pourraient contribuer, avec quelques taxes par-ci par-là ?… » suggère-t-il.

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Échec sur l’objectif décarbonation

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En revanche, Charm-el-Cheik aura été une catastrophe pour l’objectif de décarbonation et de réduction des émissions, affirme Brice Lalonde. « On avait dit à Glasgow qu’il faudrait en 2030 réduire de 43 % les émissions par rapport à 2019. Et donc on a constitué un groupe qui a travaillé d’arrache-pied en vue Charm-el-Cheik… Et la discussion a bien eu lieu, à la fin. Les pays se sont dit d’accord… mais pas pour longtemps. Jusqu’en 2026 seulement. Et puis on veut surtout le respect de la souveraineté nationale. Surtout pas d’objectifs contraignants, surtout pas d’objectifs chiffrés, surtout pas ! C’est vraiment l’échec, c’est vrai, mais on ne veut pas le faire. On ne veut pas ça, on ne veut pas. Ça veut dire que vous avez toute une gamme de pays d’accord pour se financer. Mais réduire les émissions, ça, on ne peut pas !

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Quelques avancées… à la marge

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Il y a eu quand même un point très important, en marge des négociations : l’Afrique du Sud, l’Indonésie, le Vietnam ont bénéficié de plans d’aide et de coopération avec l’argent des États-Unis de la France et d’autres pays pour sortir du charbon. Il y a vraiment eu une coopération, un certain nombre de pays en développement ont lancé des plans de prospérité climatique notamment.

Aussi, pas mal d’argent est allé à l’idée d’un bouclier contre le fléau des catastrophes climatiques, rapporte Brice Lalonde. Pour la première fois dans la déclaration finale, on a parlé des forêts, de l’océan, de l’agriculture… Surtout, on a pu observer que la grande cassure géopolitique du monde est également à l’œuvre dans les négociations climat. Et elle est très politique. Ainsi les BRICS, les « nouveaux riches » sont désormais critiqués par leurs propres pairs du groupe des G77. Les petites îles commencent à en vouloir à la Chine, à l’Inde et au Brésil en disant « faites des efforts et excusez-moi de me casser la gueule. » Le groupe des pays en développement est cassé, en quelque sorte. Et parfois, une alliance s’est fait jour entre les groupes les plus vulnérables et les pays développés, l’Union européenne et quelques autres.

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L’Ambassadeur pour le climat Stéphane Crouzat :
« On n’est absolument pas sur la bonne trajectoire »

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Prenant à son tour la parole, l’Ambassadeur pour le climat Stéphane Crouzat, qui a dirigé la délégation technique de la France, composée d’une quarantaine d’experts de différents ministères, a d’emblée tenu à rappeler qu’en fait la COP de Charm el-Cheikh en rassemblait trois : la COP de l’accord de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique ; la COP de l’accord de Paris ; la COP du protocole de Kyoto. « Pendant ces quinze jours à Charm el-Cheikh, de fut donc une énorme entreprise de négociations perpétuelles.
Alors, en quelques mots pour un bilan à peine trois semaines après la COP, comment nous, négociateurs de France, percevons-nous les choses. ?
Comme l’a fait Brice Lalonde, je vais commencer par le mauvais, par la question de l’atténuation. On avait quitté Glasgow avec du langage assez fort sur l’atténuation. Souvenez-vous, pour la première fois dans l’histoire des négociations climatiques, on a mentionné une énergie fossile, le charbon.

C’était quand même une avancée. On avait parlé pour la première fois des subventions inefficaces" aux énergies fossiles. Évoquer le mot inefficace, c’était la seule façon d’arriver à mentionner le fossile. Ce mot est resté et il s’est retrouvé finalement dans une négociation. Et nous, Union européenne et France, on se disait il faut qu’on avance là-dessus, il faut qu’on fasse davantage. Et c’est pourquoi on a beaucoup milité pour en particulier la mention d’un pic d’émission. Je rappelle que le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) nous dit que si l’on veut rester dans une trajectoire de 1,5 degré, il faudrait que le pic d’émission des gaz à effet de serre ait lieu entre 2020 et 2025. Donc, on a peut-être déjà raté le coche.

Sylvianne Villaudière, vice-Présidente de la SEIN, a modéré toutes les tables rondes de la VIIe Rencontre de « Mise en lumière pour le Climat », mercredi 14 décembre 2022 à l’Hôtel de l’Industrie, siège parisien de la SEIN. © AM/APP

Nous souhaitions inscrire de manière claire et nette que le pic d’émission devait avoir lieu, en tout état de cause, avant 2025.
On n’a pas réussi à l’obtenir. On a souhaité également avancer sur la réduction progressive du charbon, ou parlant de sortie des émissions des fossiles. Là non plus, on n’a malheureusement pas réussi à obtenir gain de cause du fait de l’opposition de nombreux pays. J’en citerai deux en particulier : l’Arabie saoudite, qui a été très active pendant cette COP, et la Chine qui ne souhaite pas aller plus loin que ce à quoi elle s’est déjà engagée, c’est-à-dire un pic d’émissions avant 2030 et neutralité carbone à l’horizon 2060.

Donc, déception, frustration parce qu’on n’est absolument pas sur la bonne trajectoire. Et comme le rappelait un post à Londres, le GIEC nous dit aussi qu’il faut que nous réduisions de manière drastique quasiment la moitié de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 2019, si on veut espérer rester sur la trajectoire.

Et le secrétariat de la CCNUCC, qui fait sa grande synthèse de l’ensemble des contributions déterminées au niveau national qui ont été soumises par les parties, fait ses calculs et dit Dans l’état actuel des choses, on va augmenter ou augmenter nos émissions d’ici 2030 de 10 % et on ne va pas les réduire de 45 % comme le demande le GIEC. Donc on n’est absolument pas sur la bonne trajectoire et c’est donc qu’il faut absolument se ressaisir collectivement.

Cela dit, il y a quand même eu des avancées, des choses assez novatrices.
Par exemple, un nouveau paragraphe sur l’énergie. Pour la première fois, on a une section sur l’énergie, affirmant qu’il faut faire des réductions immédiates de gaz à effet de serre. Donc on n’a pas obtenu le pic d’émission. Mais en même temps, on a là le constat qu’il faut immédiatement commencer à réduire. Et puis on a eu des choses bien, en effet, sur l’agriculture, il y a eu des avancées, peu de mentions de l’agroécologie, mais beaucoup de choses qui y ressemblent furieusement. Des fonds sur le droit à un environnement sain, la mention des forêts, des océans. Donc pas mal de langage assez positif… mais à ce stade cela reste du langage.

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Une vraie avancée inattendue

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Alors qu’a-t-on obtenu de manière très concrète ? C’est en effet sur la question des pertes et préjudices qu’il y a une vraie avancée à laquelle on ne s’attendait pas, il faut bien le dire. En entrée de COP, on se disait ce sujet et ça fait 30 ans que ça dure. Il y a eu cette montée en puissance à la COP 26, la question des pertes et préjudices, concept qui est inscrit dans l’accord de Paris et qui renvoie donc aux effets irrémédiables du changement climatique.

Donc on n’est plus dans l’adaptation, dans l’atténuation, on est dans la disparition d’une île, on est dans l’immersion sous les eaux, on est dans une catastrophe climatique qui détruit 100 % du PIB d’un pays en quelques heures, etc. Donc on a obtenu plusieurs choses. D’abord, on a obtenu l’opérationnalisation de ce fameux réseau Santiago, qui a été créé à la COP 25 et qui vise à catalyser l’assistance technique pour les questions pertes et préjudices. Et enfin, on a obtenu son opérationnalisation avec l’adoption de termes de référence pour savoir qui allait être le secrétariat de ce réseau et permettre aux pays qui se sont déjà engagés à fournir de l’argent pour ce réseau, à le faire. »

Et de poursuivre :

Une autre grande avancée, évoquée par l’Ambassadeur Stéphane Crouzat, aura été la mise en place exemple du bouclier mondial sur les risques climatiques, une initiative de la présidence allemande du G7 cette année, qui proposait une forme de développement d’outil assurantiel pour des populations vulnérables qui, pour l’instant, ne sont pas couvertes sur les risques climatiques.

« Nous-mêmes, France, avons décidé de contribuer à ce bouclier à hauteur de 20 millions d’euros. On a eu beaucoup de conversations sur le système d’alerte précoce, qui a aussi fait partie de la question des pertes et préjudices.

Et puis, on a eu cette annonce du président de la République qu’il fallait, en liaison avec Madame Mia Mottley, Première ministre de la Barbade, qu’il fallait revoir de fond en comble, en fait, la manière dont l’architecture financière internationale était organisée pour pouvoir mieux répondre aux enjeux de ces pays vulnérables. D’où, en fin de COP, l’annonce à Bali par le Président de la République d’organiser un sommet qui aura lieu sur cette question de la revue de cette architecture financière internationale, de la mobilisation du secteur privé pour participer au financement du Fonds de la transition énergétique et climatique. Ce sera Ça sera un moment très important dans le passage vers la COP 28.

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L’effervescence d’une mosaïque de solutions

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Un mot encore sur la création de ce fonds sur les pertes et préjudices. Il ne s’agit en aucun cas d’une indemnisation. Vu de certains pays en développement, c’est une forme d’indemnisation, mais en aucun cas cela n’a été présenté ainsi. Un pays en particulier refuse d’entende parler de responsabilité juridique, ce sont bien sûr les États-Unis, responsables à 25 % des émissions historiques mondiales et qui ne veulent pas du tout entrer dans ce débat-là. C’est pourquoi on a toujours insisté, depuis même la COP21, au moment de l’adoption de l’article sur les pertes et préjudices, sur le fait qu’il s’agissait de solidarité internationale, mais en aucun cas de responsabilité juridique. Donc, ce fonds est créé dans son principe. Il y aura toute une année maintenant pour préparer son opérationnalisation. Faire en sorte qu’il puisse devenir opérationnel à la COP 28, ce sera beaucoup de travail parce qu’on sait à quel point le diable est dans les détails.

Qui seront les pays vulnérables visés ? On ne sait pas très bien, en réalité, qui sont les pays vulnérables. Quand il a évoqué le sommet sur le pacte financier Nord-Sud, le Président de la République a dit qu’il fallait établir des clauses de vulnérabilité pour les pays vulnérables qui seraient soumis aux chocs climatiques, pas seulement des PMA, mais aussi des pays à revenu intermédiaire. On pense à la Barbade, un exemple typique.

Donc définir ces pays vulnérables, voir quelle sera la base des donateurs. Nous, on est très attaché à ce que les pays dits développés, présentés dans l’annexe un de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, soient les seuls à mettre la main à la poche. Le monde d’aujourd’hui est très différent de celui de 1992 : certains pays en développement sont plus riches par habitant que bien des pays de l’OCDE. Pas besoin de vous faire un dessin pour viser certains pays du Golfe et autres. Et aussi, cela doit s’inscrire dans une mosaïque de solutions. On a commencé à en parler avec l’alerte précoce, avec le bouclier mondial sur le risque climatique, avec cette transformation du système financier international voulue par le président de la République.
Donc là, il y a toute une effervescence sur ce sujet qui, je l’espère, permettra d’atterrir à la COP 28. »

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DE NOTRE CMAAP 6 du 9 novembre 2022

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Une vue de la salle pendant la conférence. © Frederic Reglain

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