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Maître Angéline Fournier

- L’UPM ne doit pas se limiter à un simple « projet » économique

- L'UPM ne doit pas se limiter à un simple « projet » économique
Paris - Ceux qui travaillent sur des projets « méditerranéens » et qui peuvent observer les forces en présence sont passionnés et impressionnés par l’énergie créatrice qui se dégage dans cette région et ses pays avoisinants. L’Union pour la Méditerranée (UPM), qui cherche à canaliser et à développer cette énergie, est toutefois passablement malmenée. N’est-il pas devenu urgent de passer à la vitesse supérieure si l’on veut s’assurer que la flamme à l’origine de ce rêve ne s’éteigne doucement, faute d’oxygène ?
Photo ci-dessus : Maître Angéline Fournier © DR


Repenser la Méditerranée et le rôle de l’UPM

par Maître Angéline Fournier
Avocate internationale

Repenser la Méditerranée est un projet ambitieux et une vision à long terme qui, si elle est bien menée, doit renforcer la paix, la stabilité et la prospérité, et permettre la naissance d’une « génération méditerranéenne » multiculturelle, ouverte sur le monde, tolérante et créatrice, pour laquelle frontière, religion et nationalité seront synonymes de complémentarité, d’enrichissement et de coopération. Il est économique, culturel et politique. Il touche au cœur du demain d’une région au complet et de ses habitants.

L’enjeu est vital pour l’Europe comme pour le monde arabe, puisqu’il s’agit à la fois de créer et renforcer une culture de la coopération économique et culturelle là où les relations sont parfois tendues, inexistantes ou sporadiques, de créer un dialogue là où les cultures se séparent et de changer progressivement les mentalités.

La question se pose de savoir comment ?

L’Union pour la Méditerranée est le véhicule dont s’est doté cette région pour faire avancer ce rêve. Même si elle est très critiquée, elle a toutefois le mérite d’exister. Elle permet à tous ceux qui veulent travailler à la paix et au progrès du monde moderne d’apporter une contribution pratique, d’avoir une voix, de se rencontrer, d’échanger et surtout d’avoir les moyens d’agir. Rien qu’à ce titre, l’UPM doit être encouragée.

Pourquoi donc, à chaque blocage, annonce-t-on l’échec d’un projet vers lequel toutes les énergies devraient converger afin de trouver des solutions ? L’implantation d’une vision d’une telle ampleur ne nécessite-t-elle pas du temps, de l’énergie, de la patience pour passer le test de la réalité ?

Il y a peut-être quelques clés qui permettraient d’avancer malgré les obstacles :

1 - Pour une vision à long terme qui transcende les problèmes structurels. - L’UPM est un outil indispensable qui permet d’implanter et de développer la vision d’une Méditerranée renouvelée par la coopération économique, culturelle et politique. Mais elle n’est pas une fin en soi. Cette nuance est importante, puisqu’elle permet de dissocier les problèmes structurels du projet de cette vision à long terme qui, elle, transcende les questions d’organisation.

Il est frappant de voir, comment, dans le discours public, les deux sont entremêlés et combien rapidement on enterre le projet à chaque soubresaut d’organisation.

On a coutume de dire, en négociation, qu’il faut « séparer le problème des personnes » (« separate the problem from the people ») afin d’être « dur » avec le problème et « plus doux » avec les personnes (« hard on the problem, soft on the people »).

Cette distinction est souvent la clé pour débloquer une situation. Appliqués à l’UPM, ces principes permettent de réaliser que chaque peuple arrive dans ce projet avec son histoire et son bagage culturel, ses valeurs et ses références et que, pour rassembler cette mosaïque, mieux vaut travailler à identifier les situations de blocage et à trouver des solutions adéquates, ciblées et novatrices, conditions essentielles du succès, qu’à chercher les coupables.

2 - Pour un modèle de développement novateur, créatif et avant-gardiste. - Le succès de la vision méditerranéenne repose sur l’implantation de solutions novatrices et originales. Mais il faut prendre garde de ne pas transposer le modèle de développement de l’Union européenne au projet de l’UPM. La Méditerranée ne se bâtira pas comme l’Europe, car les enjeux, économiques, politiques, culturels et religieux, sont très différents.

Bien sûr, la comparaison entre la vision gagnante de l’Union européenne et le projet d’Union pour la Méditerranée, a un effet moteur et enthousiasmant, car elle permet de réaliser que des peuples, qui ont parfois été ennemis et qui se sont même combattus par le passé, peuvent aujourd’hui, et ensemble, bâtir une vision commune et travailler main dans la main à une société prospère et pacifique. Mais cette comparaison comporte le risque de voir appliquer à la Méditerranée uniquement les solutions qui ont « marché » pour l’Europe.

Or, le succès de l’UE tient aussi à la pensée novatrice, visionnaire et avant-gardiste de ses fondateurs, qui, à l’écoute des problèmes de leurs sociétés, ont trouvé les solutions qui, avec le temps, ont été adaptées pour répondre aux besoins.

Il y a, autour du projet méditerranéen, des penseurs, des chercheurs, des visionnaires exceptionnels qui ont les moyens de cette innovation.

3 - Pour un projet économique durable et élargi. - Il est donc indispensable de s’assurer que le projet économique, phase I du développement de l’UPM, fasse partie d’un plan plus général de développement durable. Dans un article publié dans L’Orient-Le Jour, le Dr Fadi Comair insistait, avec raison, sur le concept de « durabilité » du développement, condition du renforcement de la paix, la stabilité et la prospérité.

Au-delà de cet impératif, l’UPM doit dès maintenant étendre son champ d’action et ne pas se limiter à un simple « projet » économique.

Certes, c’est une bonne idée de départ, qui a fait ses preuves en Europe par le passé, puisque l’implantation concrète de projets économiques permet de dégager un intérêt commun de coopération au-delà des différences et que les résultats sont « chiffrables ». Mais c’est loin d’être suffisant.

4 - Pour le développement de projets culturels, éducatifs et coopératifs visionnaires. - Il est donc urgent d’encourager en parallèle des projets culturels, éducatifs et coopératifs (santé et développement) d’envergure, des
projets visionnaires, qui à long terme peuvent profondément changer la manière de voir les choses en permettant la réduction des disparités et le développement d’un langage commun, par l’éducation et l’implantation de programmes de formation dans les écoles, les universités, pour les professionnels et par des projets culturels d’envergure. (ndlr : voir sur ces thèmes les textes de nos entreveues avec Mme le Recteur Michèle Gendreau-Massaloux et Philippe Castro)

Il est important aussi de mettre à la disposition de ceux qui sont en position de leadership des outils concrets pour leur donner les moyens du changement, comme par exemple des formations en négociation et résolution des conflits. Évidemment, la rentabilité de ces initiatives ne peut se calculer immédiatement, mais c’est autour de projets de cette nature que se bâtira la Méditerranée de demain.

La vision méditerranéenne de demain a besoin d’un outil pour s’exprimer et se développer. C’est pourquoi, l’UPM doit éviter le risque de s’asphyxier elle-même et étendre son projet en travaillant à trouver des solutions novatrices et adaptées aux situations de blocage. Ce travail vaut la peine d’être fait, car il permettra, aujourd’hui, de garder vivante la flamme dans le cœur et l’esprit de ceux qui croient à une société pacifiée et prospère en Méditerranée en leur permettant de s’exprimer et d’agir concrètement et, demain, de voir émerger une génération méditerranéenne porteuse d’espoirs et de valeurs nouvelles.

Maître Angéline Fournier
Avocate et médiatrice en droit international
Paris - Montréal


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