L’Académicien Denis DESCHAMPS (Asom) : « Nous devons contribuer au développement inclusif dans les pays de départ de la migration, pays vulnérabilisés par le changement climatique »
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Une contribution de Denis DESCHAMPS,
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer,
Fondateur de DJulius Conseil (Paris)
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La migration climatique peut être perçue comme un sujet polémique, parce que l’absence de données structurées rend vains les débats entre des politiques qui ne parlent que d’immigration économique et des humanitaires qui se focalisent sur les aspects juridiques de cette migration, en même temps qu’ils font valoir la juste compassion face à des situations souvent tragiques.
Pourtant, ce sujet de la migration climatique est d’une importance cruciale, sinon une véritable cause qui justifie que l’Europe se mobilise massivement pour organiser, en lien avec les autorités des pays de départ – particulièrement ceux d’Afrique sub-saharienne – la mise ne place de mesures d’adaptation au changement climatique permettant d’assurer la sécurité économique des populations poussées à la migration.
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Les populations les plus pauvres
sont les plus impactées
Les populations les plus pauvres
sont les plus impactées
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La migration internationale venant d’Afrique trouve son origine dans diverses causes, dont le dérèglement climatique (conséquence de la concentration en gaz à effets de serre dans l’atmosphère) avec des chocs environnementaux majeurs, qui ont un impact certain sur les populations locales (et également la biodiversité), en particulier : hausses importantes des températures, augmentation des sécheresses et désertification ; élévation du niveau de la mer et érosion côtière ; ou bien des conditions météorologiques défavorables : intensité accrue des cyclones, ouragans, pluies diluviennes et inondations ; vagues de chaleur et feux de forêt entraînant des pénuries de pâturages.
Ces populations, généralement les plus pauvres (compte tenu de la baisse des rendements agricoles, la perte de revenus et la destruction des habitats), se déplacent ainsi en raison du climat (c’est-à-dire du fait d’une insécurité générale consécutive à la dégradation de l’écosystème local) et également pour d’autres causes (compte tenu du contexte socioéconomique et politique local : pression démographique entraînant une trop forte densité de population ; faible niveau de développement économique en raison d’un manque de politique adaptée, et aussi d’une mauvaise gouvernance).
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À noter cependant que cette mobilité humaine forcée par le climat suppose que les personnes qui en sont les victimes directes disposent d’un minimum d’éducation et de ressources pour pouvoir envisager de bouger et de le faire. Autrement dit, tous ceux qui se situent au plus bas de l’échelle sociale en termes de ressources et d’éducation risquent d’être fortement contraints à l’immobilité.
Des solutions adaptées doivent donc être trouvées et mises en œuvre au plus vite pour maintenir les gens sur place, dans de bonnes conditions économiques et sociales permettant aussi de faire face au changement climatique. Rappelons à cet égard que la mobilité humaine causée en Afrique par le climat peut conduire à des risques incommensurables pendant le voyage et, au terme d’une longue migration, à des situations difficiles dans une Europe qui est devenue moins accueillante qu’auparavant.
Soulignons à cet égard que la plupart des migrants venant d’Afrique sub-saharienne n’envisagent pas en première option de se rendre en Europe, car ils préfèrent généralement rester au plus près de leur communauté d’origine, ou bien se diriger vers d’autres régions du pays – qu’il s’agisse de migrations intérieures des campagnes vers les zones urbaines, ou des régions arides vers les côtes – ou encore dans des pays limitrophes dans la sous-région.
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Nécessité et vertu du respect des normes
environnementales et sociales (RSE)
Nécessité et vertu du respect des normes
environnementales et sociales (RSE)
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C’est pourquoi, même si l’Afrique n’est pas historiquement responsable du dérèglement climatique, les différents acteurs économiques présents sur le continent doivent nécessairement s’engager aujourd’hui à jouer un rôle plus positif par rapport à l’environnement, quand bien même ils doivent aussi veiller à la transformation de leurs économies pour prétendre à pouvoir garantir leur souveraineté. De ce point de vue, l’extraction minière et l’exploitation d’autres ressources de rente comme le gaz et le pétrole doivent, certes, permettre de soutenir la dynamique de croissance des pays africains concernés mais, en même temps et comme le demande la Banque africaine de développement (BAD), aussi se conformer au respect des normes environnementales et sociales.
Or, depuis au moins les indépendances, ces acteurs publics et privés ont le plus souvent des politiques divergentes par rapport à ces normes, comme on peut le constater en matière de résolution de conflits ou de responsabilité environnementale et sociale (RSE).
Derrière des pratiques centrales parfois opaques et le plus généralement peu équitables – comme cette forme néfaste de troc entre des minerais et des infrastructures ou des terres agricoles – on trouve ainsi des stratégies d’influence concurrentielles des pays d’origine des sociétés extractives, qui se confrontent désormais à celles des bailleurs internationaux de fonds – comme la Société financière internationale (SFI) de la Banque mondiale – qui veulent que l’on applique leurs principes en matière de RSE (cf. Les huit standards de performances définis par la SFI).
Pour autant, cela paraît possible d’y procéder, comme le démontre d’ailleurs en Mauritanie le passage annoncé à des processus extractifs moins intensifs en carbone et plus efficaces en énergie, avec moins de production de déchets : on évoque ainsi dans ce pays la production d’un acier « vert », grâce au recours au solaire et à l’hydrogène vert…
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L’ambivalence du « contenu local »
L’ambivalence du « contenu local »
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Aussi, sur le plan local, ces pratiques négatives peuvent mener à des conflits ouverts avec les populations et également entre communautés de chefferies locales, dans un cadre rural d’habitat dispersé et déscolarisé, qui est caractérisé notamment par la dégradation des terres, la pollution des eaux, la perte des récoltes et de revenus (déclin des activités traditionnelles) et la montée de la violence consécutive à la disparition des emplois.
En contrepartie de cela, rien de vraiment durable n’est fait pour les populations locales, même si elles ont pu un temps bénéficier de la construction d’équipements scolaires ou de complexes sportifs, mais bien vite abandonnés parce que mal entretenus par manque de moyens. Aussi, ce « contenu local » peut-être largement dévoyé, lorsqu’il favorise uniquement des personnalités locales entièrement dépendantes du pouvoir central et / ou strictement conformes aux intérêts de l’entreprise qui est censée avoir intégré la RSE dans son activité et sa stratégie.
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Un dérèglement climatique local
Un dérèglement climatique local
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Tout cela nous mène finalement à la migration, parce que, parmi d’autres causes, la politique volontaire d’extraction de minerais et d’autres ressources, qui devait conduire l’Afrique à son développement, a souvent généré un véritable dérèglement climatique local : les populations africaines qui n’ont pas profité de la manne économique correspondant à l’extraction, en subissent ainsi directement les conséquences environnementales et climatiques, qui les conduisent à prendre le chemin de la migration sur des routes qui sont souvent mortelles, selon les termes utilisés par l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Comme le rappelle également le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), on parle ainsi de milliers de morts chaque année sur les routes terrestres qui mènent les migrants du Sahara aux rives nord-africaines de la Méditerranée, même si on ne dispose en fait pas vraiment de données statistiques fiables concernant ces routes, en dehors de quelques travaux de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Centre mixte des migrations.
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Les statistiques migratoires
ignorent le facteur climat
Les statistiques migratoires
ignorent le facteur climat
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Vue essentiellement sous l’angle des effets réels de l’immigration dans les pays receveurs de migrants, la migration climatique semble être en réalité encore mal appréciée du côté nord de la Méditerranée. Ainsi, selon « France terre d’asile » et le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), la France serait dans la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec près de 13 % de personnes qui ne sont pas nées en France (8,7 millions, dont 400 000 étudiants étrangers sur les 3 millions d’étudiants en France) : en termes de flux migratoire, on compte en France 30 % d’étudiants, 30 % liés au regroupement familial, 20 % de migrants économiques et 20% migrants humanitaires.
Rien donc qui porte spécifiquement sur le Climat, alors que si l’on veut remédier à des migrations de populations poussées par des dérèglements majeurs à un déracinement par rapport à leur environnement social, culturel et spirituel, il faut impérativement intervenir pour assurer leur sécurité économique, moyennant une politique d’assistance adaptée à l’obligation de solidarité climatique.
De même que cela a été fait par la Commission européenne avec le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière en Afrique (ce fonds dit de « La Valette », lancé en 2015, a notamment permis la mise en place du programme européen Archipelago entre 2019 et 2023), nous devons en effet contribuer au développement inclusif et durable dans les pays de départ de la migration, où les populations doivent être maintenues ou réinstallées, afin aussi de pouvoir remédier, d’une part, à la fuite des cerveaux et, d’autre part, à la baisse de la productivité locale.
Des programmes d’action doivent donc être mis en œuvre pour remédier localement à la vulnérabilité économique accentuée par le changement climatique. Vu ainsi sous un angle économique, il doit s’agir, au principal, d’assurer la diversification des économies et le renforcement des capacités locales de production, en particulier dans les chaînes de valeur agricole, afin de conduire à l’augmentation de la valeur ajoutée des biens exportables. Du point de vue climatique, il convient alors d’élaborer et de mener des politiques de développement permettant la lutte contre les situations de vulnérabilité dans les pays et zones concernés.
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Pour des actions coordonnées
entre pays de départ et bailleurs
Pour des actions coordonnées
entre pays de départ et bailleurs
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Comme le souligne l’édition 2024 de l’Économie africaine (Editions La Découverte) coordonnée par l’Agence française de développement (AFD), 17 des 20 pays les plus vulnérables au changement climatique dans le monde se trouvent en Afrique, avec un nombre très important de personnes déplacées en raison de catastrophes climatiques en Afrique subsaharienne.
Sur la base d’autres études sur la migration climatique, qu’il conviendra impérativement de réaliser pour pouvoir mieux anticiper les mouvements de populations, il faudrait ainsi prévoir, en lien avec les autorités locales/nationales des pays de départ de la migration, des actions coordonnées visant à la réduction des risques liés aux catastrophes et pouvant conduire à la résilience climatique.
Sur le plan économique, des solutions pratiques ayant pour objectifs d’assurer la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté pour maintenir sur place des populations pouvant être tentées par le départ, doivent être ainsi mises en œuvre avec le soutien des bailleurs (Commission européenne, AFD…).
Ces actions concernent :
– d’une part, la formation des jeunes et aussi, plus largement, la sensibilisation des populations, collectivités et autorités locales sur la nécessaire adaptation au changement climatique ;
– d’autre part, le développement de dispositifs et structures de soutien à l’entrepreneuriat local porteur de projets durables et à impact, permettant plus particulièrement le renforcement des capacités des communautés locales par rapport à la résilience durable.
Mais, pour tout cela, il convient de renforcer encore et toujours le plaidoyer auprès des pouvoirs publics, pour pouvoir effectivement développer des partenariats constructifs et opérationnels avec les associations et organisations qui agissent au quotidien dans le domaine du développement durable et responsable.
Car c’est possible, on y croit tous, le pire n’est pas toujours certain !
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