L’Académicien Denis DESCHAMPS (Asom) : « Migrations et lutte climatique Europe-Afrique : agir ensemble selon des “normes vertes” est compliqué… mais nous pouvons ! »
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Une contribution de Denis DESCHAMPS,
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer,
Fondateur de DJulius Conseil (Paris)
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On ne saurait nier que les chambardements électoraux en cours auront quelques conséquences et vraisemblablement une part non négligeable de responsabilité dans l’évolution de nos économies, qui, malgré les accords de Paris signés en 2015, sont toujours très largement carbonées.
D’un bord politique comme de l’autre, nous continuerons en effet à échanger des arguments souvent vains sur la validité des projections du dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), alors même qu’elles peuvent constituer une base de référence et de discussions.
Aussi, au-delà de déclarations de principe sans impact, sans doute continuerons-nous encore longtemps à « regarder ailleurs », plutôt que de traiter réellement les problèmes du climat, qui supposent que l’on crée notamment de la circularité, dans le cadre des 17 Objectifs du développement durable (ODD), dont le 10e anniversaire sera fêté en 2025.
Or, il paraît essentiel de pouvoir effectivement agir ensemble, tous autant que nous sommes, de part et d’autre de la Méditerranée, tant en Europe qu’en Afrique, avant que les pays du Sud n’invoquent, sans doute de bon droit, une Justice climatique qui voudrait que les pays du Nord aient, en quelque sorte, une importante dette environnementale à leur égard. Et pour agir efficacement, les structures de base sont vraisemblablement les plus efficaces, parce que mieux adaptées.
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Agir ensemble contre
le dérèglement climatique
Agir ensemble contre
le dérèglement climatique
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À première vue, les intérêts du Nord et du Sud divergent à ce point que les pays africains ne veulent pas nécessairement se voir imposer par l’Europe (et aussi l’Amérique du Nord) des obligations contraignantes, qui correspondent à un phénomène de pollution, dont ils subissent aujourd’hui les conséquences sans avoir jamais vraiment bénéficié des avantages de l’industrialisation du dernier siècle.
Il faut ainsi s’attacher à convaincre les Africains que c’est aussi dans leur intérêt que de réduire les plastiques, de respecter la biodiversité et de recourir massivement à l’énergie solaire ou hydraulique, alors que les sous-sols du continent regorgent de ressources d’énergies fossiles. Pour cela, l’Europe impose désormais ses normes « vertes » à ses partenaires africains, et les grands bailleurs internationaux conditionnent leurs financements au respect de ces normes.
Le rapport entre l’Afrique et l’Europe est donc, du point de vue de ces normes « vertes », à ce point contraint, que les pays africains peuvent être légitimes à considérer cela comme une réelle atteinte à leur souveraineté. Mais, comme cela est rappelé plus haut, il y va aussi de leur intérêt, qui est d’ailleurs aussi celui de la planète, dont l’Afrique est encore, en quelque sorte, le grand réservoir de ressources naturelles.
Alors, sans qu’il y ait véritablement de consensus entre partenaires africains et européens sur ces importantes questions du devenir de la planète, on fait comme si on était d’accord sur des standards écologiques européens et mondiaux, qui ne sont pas toujours bien respectés en Afrique. La menace de l’invocation possible par cette dernière de la « dette climatique » de l’Europe peut sans doute expliquer cette relative mansuétude…
La Commission européenne a aussi organisé son rapport avec l’Afrique autour de cette question de Climat, car elle est bien consciente du danger pour l’Europe des migrations africaines causées par les inondations, cyclones, sécheresses, incendies… qui impactent directement les lieux de vie et les moyens de subsistance des populations locales.
Afin d’essayer de remédier, au moins pour partie, à cette crise migratoire, l’Europe sait donc parfaitement qu’il faut faire en Afrique des investissements solidaires considérables, mais dont la complexité de mise en œuvre peut être un frein plus conséquent encore que l’insuffisance et l’inadaptation des moyens déployés.
Haro donc sur le « Global Gateway » de la Commission européenne, mais on soulignera que cette critique facile (et parfaitement justifiée) n’explique pas tout… car en France aussi, les choses ne sont pas aussi simples qu’on le souhaiterait, surtout quand il s’agit de soutenir la croissance durable et responsable de l’Afrique.
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Agir ensemble pour
le développement de l’Afrique
Agir ensemble pour
le développement de l’Afrique
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Chacun porte en sa mémoire cette évocation du « mur de l’argent » faite en France, par différents hommes politiques (de gauche), en d’autres temps. Depuis lors, beaucoup beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et d’autres murs se sont construits, mentalement tout aussi infranchissables, comme celui qui sépare, dans notre pays, la Recherche de l’Innovation et que toutes les politiques publiques intelligemment mises en œuvre ne sont pas parvenues pas à démanteler.
Aussi, du point de vue de l’Aide au développement, en particulier celle visant l’Afrique, il y a malheureusement un mur entre l’action menée par les acteurs publics (comme l’Agence française de développement et les autres agences et administrations qui portent ce dossier africain) et celle prônée par le secteur privé (les entreprises et les organisations intermédiaires qui les représentent).
Malgré toutes les bonnes volontés, les nombreuses rencontres et les tentatives répétées de rapprochement, secteur privé et secteur public ne se comprennent pas, tant leurs approches paraissent distinctes, alors même que le sujet du développement de l’Afrique est d’une importance majeure pour tous, au regard de questions aussi fondamentales et sensibles que les Migrations et le Climat.
D’un côté, suivant le modèle défini par la Commission européenne pour le partenariat avec l’Afrique à partir du concept développé par le Forum économique mondial, on invoque volontiers le principe du « blended finance » (finance publique – privée), c’est-à-dire le co-investissement de fonds publics et privés, à travers un plan d’investissement commun (en particulier, pour des projets d’infrastructures, d’accès à l’énergie, mais cela tend aussi à couvrir d’autres activités, en rapport avec les Objectifs du développement durable, comme la formation…), où chaque partie doit employer son expertise de manière complémentaire.
De l’autre, les représentants du secteur privé demandent que les financements publics puissent se faire en direction des investissements des entreprises, qui assurent le développement économique du continent africain, parce qu’en générant du profit, celles-ci créent de la richesse, des revenus et de l’emploi qui bénéficient aux populations africaines et aux territoires.
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Chiffres à l’appui, le Président du Cian (Conseil des investisseurs français en Afrique), Étienne Giros, ne cesse de le dire et le redire, sans que son discours soit nécessairement bien entendu par ceux qui considèrent encore, au plan européen comme en France, l’entreprise comme une malfaisance.
C’est pourquoi, au regard de la prégnance du dérèglement climatique, dont les conséquences humaines visibles entre l’Afrique et l’Europe sont les migrations, il convient de dégager des solutions pragmatiques pour qu’une action concertée (« ensemble ! ») se fasse pour le bien commun.
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Agir ensemble, c’est d’abord une affaire
de (bonne) volonté de la base
Agir ensemble, c’est d’abord une affaire
de (bonne) volonté de la base
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À défaut de pouvoir s’accorder ou bien de rapprocher des visions parfois très distinctes, sinon éloignées, il convient de se poser ensemble pour discuter et échanger dans des tiers-lieux ne relevant ni du public, ni du privé.
Cette rencontre peut ainsi se faire au travers de structures associatives comme la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale (SEIN), créée en 1801 et reconnue d’utilité publique depuis 1824, qui peut aisément jouer de sa neutralité bienveillante pour soutenir des projets originaux faisant le lien entre la France, l’Europe, la Francophonie et l’Afrique.
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Ainsi s’agissant du dispositif Franco-Fil, lancé en 2019 pour contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’ODD n°17, au travers de la constitution d’une communauté d’opérateurs francophones, réunis pour la facilitation des échanges et des partenariats entre associations et entreprises.
Connu surtout pour le concours destiné aux jeunes entreprises francophones innovantes et responsables, ce dispositif Franco-Fil doit s’étendre à l’organisation de rencontres, conférences, séminaires, ateliers et formations intéressant des acteurs économiques francophones venant de France, d’Europe, d’Afrique et d’autres continents.
Ainsi, sur des thématiques comme l’industrialisation, on peut imaginer une action Franco-Fil partant de la « Renaissance industrielle » opérée en France par la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (en lien avec la Banque des territoires - Groupe Caisse des dépôts et consignations) pour aboutir à une dynamique africaine de l’« Emergence industrielle » (intégrant obligatoirement les considérations essentielles de responsabilité et de durabilité).
Mais pour cela, encore faut-il pouvoir disposer de moyens que Franco-Fil n’a pas aujourd’hui et que des acteurs publics et privés devraient sans doute lui accorder pour agir positivement en Afrique, y compris au service de l’influence de la France.
Avec les associations comme la Société d’encouragement pour l’industrie nationale et tant d’autres tout aussi admirables dans leurs réalisations, il y a également les collectivités territoriales qui interviennent au titre de la coopération décentralisée, mais dont l’action louable est trop souvent anecdotique et désordonnée pour être véritablement reconnue.
Face aux désordres mondiaux générés par les dérèglements climatiques, comme plus particulièrement les migrations se faisant en France et en Europe à partir du continent africain, ces collectivités territoriales doivent donc elles aussi veiller à organiser une réponse cohérente et adaptée. Leur assise proprement territoriale leur donne en effet une légitimité toute particulière pour agir au bénéfice d’autres territoires, certes lointains, mais dont les communautés et les populations ont un besoin indéniable d’accompagnement par rapport aux changements climatiques, grâce à une action à la fois durable et équitable.
Le soutien au développement de territoires résilients et durables en Afrique, au regard plus particulièrement des 17 ODD de l’ONU, repose enfin sur les diasporas africaines, qui peuvent certainement jouer un rôle essentiel pour assurer la transition responsable et durable du continent, moyennant leur investissement productif dans le renforcement des capacités des organisations locales accompagnant les populations africaines.
À cet égard, la coopération Sud-Sud, soutenue par les associations, les collectivités locales et également les diasporas africaines qui sont en France et en Europe, peut être la bonne voie pour favoriser l’émergence d’un monde plus soutenable et, par conséquent, à même de limiter les migrations climatiques. Ensemble, nous pouvons !
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