COMMENT FINANCER LES ENTREPRENEURS DES DIASPORAS AFRICAINES ?
#FDDA2018 - Karim Allouache, directeur Afrique du Nord et MO de Caceis Bank : « C’est aux banques africaines de venir en Europe, à proximité des diasporas ! »
Modéré par Mohamadou Diallo, journaliste sénégalais fondateur de CIO-Mag et lui-même représentatif de la diaspora entreprenante, le panel de la table ronde sur les outils de financement pour les porters de projets en lien avec l’Afrique rassemblait une dizaine d’experts, chacun d’eux étant à un titre ou un autre un praticien de ce secteur.
Thameur Hemdane, président fondateur de la plateforme de financement participatif Afrikwity – et auquel nous avons consacré un article –, intervint le premier pour constater qu’en effet, en Afrique encore moins qu’ailleurs, les banques ne financent pas les créateurs d’entreprise. De plus, l’Afrique francophone ne bénéficie quasiment pas de fonds d’investissement en capital-risque.
Si l’Afrique anglophone paraît moins dépourvue, il n’en reste pas moins que dans son ensemble le Continent souffre d’un déficit d’infrastructures financières, fait remarquer Karim Allouache, directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord de Caceis Bank. « Mais cela peut aussi constituer un avantage, relève-t-il, car on peut ainsi plus facilement installer du digital ». Surtout, il a insisté sur l’ambition : « La microfinance ne changera pas l’Afrique… Il faut être ambitieux ! Il faut voir grand ! En gestion d’actifs [asset management], 5 à 10 millions de dollars d’investissement, cela reste peu de chose… »
« Si une banque africaine s’installe en France… »
Évoquant la question de la méfiance très répandue parmi les diasporas envers les entités officielles africaines, y compris les banques publiques, Karim Allouache considère que celle-ci pourrait diminuer grandement si les banques africaines ouvraient des succursales en Europe : « Si une banque africaine s’installe en France, elle sera soumise aux-même règles très strictes du droit français. Elle serait donc dans l’obligation de s’aligner sur les standards internationaux, et elle bénéficierait d’un transfert réel de savoir-faire ».
Cela représenterait un avantage compétitif substantiel – d’ailleurs une importante banque du Maghreb est en train de le faire, indiqua l’expert sans la nommer expressément – car la banque se rapproche ainsi de sa clientèle potentielle de la diaspora, et avec les mêmes garanties réglementaires qu’une banque européenne. Sans parler du fait que ses activités échapperaient ainsi à un autre facteur d’incertitude et de défiance, la non-convertibilité des monnaies et le marché parallèle du change, estimé autour de 10 milliards d’euros.
« En s’installant en Europe, par exemple en France, les banques africaines y gagneraient en transfert de compétences et d’expérience qui au final seraient très bénéfiques pour toute l’Afrique. C’est aux banques africaines de venir en Europe, à proximité des diasporas. Reste aussi que pour fonctionner correctement, les banques comme les fonds d’investissement ont besoin d’un environnement légal et réglementaire sûr et complet, ce qui n’est pas toujours le cas en Afrique, tant s’en faut, » conclut Karim Allouache.
Un constat que Thameur Hemdane valide pleinement : « Aujourd’hui, le contexte local est en effet très compliqué en Afrique. Par exemple le cadre légal du fonds de financement à l’africaine fait défaut. Il nous faut le créer, et c’est justement dans cet objectif, auquel nous voulons sensibiliser les autorités, que notre association Financement participatif en Afrique et Méditerranée (https://forum.fpmed.org/) organisera un forum sur le financement participatif, à Dakar, en novembre prochain. »
Les petits financements aussi sont très utiles
Si l’Afrique doit être ambitieuse, il n’empêche que certains financements de quelques milliers d’euros peuvent changer bien des choses, adoucir la vie sinon en infléchir la destinée. C’est le cas par exemple dans les « sociétés en reconstruction » qui essaient de se relever d’un conflit, comme dans le nord du Mali (régions de Gao et de Tombouctou), indique Alpha Bacar Barry, expert de l’Onudi : « Avec Orange Mali, nous développons des produits financiers adaptés » qui, en facilitant des activités artisanales notamment, ont permis d’améliorer la situation de centaines de femmes et de jeunes, ceux-ci étant désormais moins exposés aux risques d’enrôlement dans les groupes armés – même s’il faut reconnaître que cet acquis a besoin d’être consolidé, car il est encore très fragile, exposé à un environnement politique et sécuritaire instable.
Transferts d’épargne et culture du don
La classique question des transferts de fonds de la diaspora a bien sûr été également évoquée. « Il est illusoire de penser que l’on puisse piocher dans les 65 milliards de dollars que les diasporas transfèrent chaque année à leurs familles en Afrique, car c’est aux besoins premiers de la vie que cet argent est affecté. En revanche, les 50 autres milliards d’épargne de la diaspora, voilà un gisement auquel on pourrait essayer de puiser pour le rendre productif en investissement », estime le président fondateur d’Afrikwity, non sans souligner le grand effort de plaidoyer nécessaire à la mise en confiance de cette diaspora qui a un besoin légitime d’être rassurée sur l’utilisation des fonds et la viabilité des projets.
Salle comble pour la table ronde du #FDDA2018 dédiée au financement des projets entrepreneuriaux de la diaspora. De gauche à droite sur la photo : Alpha Bacar Barry, expert de l’Onudi ; Hatoumata Magassa, Responsable des Programmes diasporas et incubations au sein de l’incubateur Bond’innov, à Bondy en banlieue parisienne ; Karim Allouache, directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord de Caceis Bank ; Oury Diallo, président ODK Consulting ; Adrien Aumont, fondateur de KissKissBankBank ; Thameur Hemdane, président fondateur de la plate-forme de financement participatif Afrikwity ; Alioune Gueye, Commissaire général de Next Génération Entrepreneurship (NGE), qui organise Hub AFRICA ; Hamid Bouchiki, professeur à l’Essec, département management, directeur du Centre Impact Entrepreneurship, rapporteur de la table ronde ; Mohamadou Diallo, journaliste sénégalais, fondateur de CIO-Mag. © AM/AfricaPresse.Paris (APPP).
Rarement évoquée en revanche dans ce type de rencontre, la question culturelle du rapport à l’argent a fait l’objet de quelques observations intéressantes.
Relatant les déconvenues de sa tentative ratée d’implantation au Sénégal, Adrien Aumont, fondateur de la plateforme de financement participatif KissKiss BankBank, reconnaît avoir mis plusieurs mois à comprendre son erreur de « proposer une plateforme de prêt dans un pays à la forte culture du don, ce qui amène les gens à penser qu’il est immoral de prêter alors que l’on peut donner ».
De plus, il proposait des transactions via un média électronique, alors que, quoi que l’on dise de l’explosion de la banque mobile à l’africaine, ce qu’il a constaté, pour sa part, « c’est une très forte culture du cash… ». Sans même parler de la prégnance de l’économie parallèle.
Comment concilier cette culture du cash et l’investissement monétique, voilà une question fondamentale à résoudre pour avancer sur les questions du financement, estime encore Adrien Aumont, qui affirme tout de même : « On essaiera à nouveau ! Mais cette fois nous nous associerons avec des locaux ».
Sociologue des migrations et du développement local ainsi que Haut conseiller territorial du Sénégal, Mamadou Deme met lui aussi l’accent sur les aspects culturels, estimant que pour avancer sur la question du financement des diasporas, « il faut s’inspirer de la manière dont celles-ci s’organisent. » Car des milliers de caisses spécifiques, basées sur les appartenances villageoises, existent et assurent la cohésion sociale dans la diaspora, y compris en France. « La diaspora a pris en charge ses besoins, affirme-t-il. Et la volonté de formaliser ses actions existe, reste à créer les conditions de la confiance. Et tout cela pourra s’élargir, se consolider, fructifier », assure-t-il.
Prêts d’honneur, fonds Efficience et « modèle » marocain
Responsable des Programmes diasporas et incubations au sein de l’incubateur Bond’innov, à Bondy en banlieue parisienne, Hatoumata Magassa signale à l’assistance que des prêts d’honneur allant jusqu’à 60 000 euros peuvent être octroyés par son organisme pour démarrer un projet. Plus important encore, en l’absence regrettée de représentant du Club Efficience, elle annonce qu’un fonds initié par ce club, Efficience Africa Fund, destiné au financement de la diaspora, est en cours de finalisation – et sera disponible à l’automne, ainsi que le président Élie N’Kamgueu l’a déclaré à AfricaPresse.Paris.
Un dernier exemple d’une réponse positive apportée au besoin de financement du désir d’entreprendre de la diaspora est fourni par Hicham Zanati Serghini, directeur général de la Caisse Centrale de Garantie du Maroc (CCG) : « Notre fonds MDM Invest est un outil de cofinancement entre une banque et la CCG au profit des MRE [Marocains résidant à l’étranger, ndlr] souhaitant investir au Maroc. Ce fonds ouvre aussi les portes à plusieurs avantages, comme la prime à l’investissement, qui atteint 10 % du montant de l’investissement. »
Le fonds investit jusqu’à 2 millions d’euros dans un projet – « nous venons de placer 2 millions dans une start-up dentaire » – mais les « petits » projets ne sont pas dédaignés : « Il faut avoir une vision mondiale, certes, mais les petits projets aussi sont importants par leur impact sur l’emploi local », commente Hicham Zanati Seghini.
En tout cas, bien des pays pourront s’inspirer de ce fonds MDM que le Maroc réserve à sa diaspora.
Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris
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Retrouver tous les articles de NOTRE DOSSIER SUR LE FORUM DES DIASPORAS DE PARIS DU 22 JUIN 2018 (#FDDA2018) :
https://www.africapresse.paris/-FDDA2018-
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