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Kabiné KOMARA, ex-Premier ministre de Guinée : « Il nous faut préparer un plan stratégique à long terme pour sauver notre biodiversité »

22 octobre 2025
Kabiné KOMARA, ex-Premier ministre de Guinée : « Il nous faut préparer un plan stratégique à long terme pour sauver notre biodiversité »
S.E. Kabiné Komara, ex-Premier ministre de Guinée, vient de publier son ouvrage « Notre biodiversité en danger ». Photo © DR - CLIQUER SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.
Grand spécialiste reconnu en hydro-diplomatie, Kabiné KOMARA, qui fut Premier ministre en Guinée de 2008 à 2010, vient de publier l’ouvrage « Notre biodiversité en danger » (*) pour alerter le monde sur les dommages irréversibles faits à l’environnement en Afrique. Entretien exclusif.

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Propos recueillis par Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse

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APP - Monsieur le Premier ministre, pourquoi ce livre ? C’est un cri d’alarme ?

Kabiné KOMARA – C’est effectivement un véritable cri d’alarme. Comme bien d’autres pays, la Guinée est victime de grandes et graves agressions dans le domaine de l’environnement et de la biodiversité. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et regarder de manière passive ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Il nous fallait lancer un appel au réveil des consciences.

Comme l’a souligné Anne-Cécile Bras, rédactrice-en-chef adjointe de RFI, le 6 octobre dernier lors de sa présentation à Paris, ce livre « ne cherche pas à plaire mais à secouer les esprits » car il faut « faire prendre conscience que la perte de notre patrimoine naturel n’est pas une fatalité, mais une conséquence de nos choix à tous ».
Cela vaut pour la planète, mais particulièrement pour la Guinée qui est un havre de biodiversité en Afrique de l’Ouest. Par exemple, rien qu’en ressources forestières, la Guinée a perdu 90 % de ses forêts primaires au cours des quarante dernières années.

APP - Rémy Rioux, DG de l’AFD, vous a gratifié d’une préface. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre engagement commun ?

Kabiné KOMARA – Je suis très heureux que Rémy Rioux ait accepté d’écrire la préface de ce livre. Notre rencontre remonte à 2014. À l’époque j’étais Haut-Commissaire de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal, basée à Dakar, et Mme Ségolène Royal, qui était alors ministre chargée du Développement durable en France, a effectué une visite au Sénégal, en sa compagnie.

J’étais désireux de contacter la partie française pour demander à la France un appui pour nous aider à défendre les écosystèmes et protéger l’environnement.
Rémy Rioux a été extrêmement sensibilisé par notre plaidoyer et, par la suite, nous avons développé une relation de complicité. Comme j’étais un banquier comme lui, nous nous sommes rapidement compris et nous ne nous sommes plus quittés. Lui-même a mis en place tout un système pour encourager les collectivités françaises à se marier avec des collectivités africaines et qu’elles participent ensemble à des projets concrets de développement durable. A la tête du groupe AFD, Rémy Rioux est devenu un champion en ce domaine. C’est donc, pour nous, un appui de taille.

La Guinée est considérée depuis longtemps comme le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. C’est donc un pays « béni des dieux » ?

Kabiné KOMARA – C’est effectivement un pays béni des dieux, mais ma grande inquiétude est que cette bénédiction se transforme en malédiction si nous ne prenons pas conscience du danger qui nous guette. La Guinée est un pays de 245 857 km2, bordée par six pays et l’océan Atlantique et, sur ce petit territoire, nous n’avons pas moins de 1 200 cours d’eau ! Vous ne pouvez pas faire 10 km en Guinée sans franchir une rivière.
Ces 1 200 cours d’eau sont répartis en 23 bassins fluviaux dont 14 sont internationaux. Ces fleuves transnationaux qui prennent leur source en Guinée dans les Massifs du Fouta-Djalon, charrient annuellement vers les pays voisins un volume d’eau d’environ 75 à 80 milliards de mètre cubes. C’est extraordinaire !

Toutefois, à cause de la déforestation, des mauvaises pratiques agricoles, de l’attaque des têtes de sources, de la sédimentation, du réchauffement climatique, des activités minières incontrôlées, etc., ces cours d’eau commencent soit à diminuer en débit, soit même à tarir, ce qui risque de mettre en danger la vie de quelque 150 à 200 millions d’habitants en Afrique de l’Ouest.

C’est pourquoi ce « château d’eau » mérite la plus grande attention et il faut avoir conscience du danger qui le guette. Car tous les grands fleuves (comme le Sénégal, le fleuve Gambie, le Niger, etc.) qui irriguent tous les pays de la région trouvent leurs sources en Guinée.

L’ancien PM Kabiné Komara présente son dernier livre en présence de son épouse (à droite) et de S.E.M. Senkoum Sylla, ambassadeur de Guinée en France. Photo © DR – CLIQUER SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.

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APP - On dit couramment aussi que la Guinée est un « scandale géologique », en raison de ses richesses minières : bauxite, fer, or, diamants, nickel, cobalt...

Kabiné KOMARA – C’est exact. Mais ayant longtemps travaillé dans le secteur minier, je suis bien placé pour savoir que l’exploitation minière peut parfois avoir des conséquences plus que néfastes pour l’environnement.

Un bref inventaire des richesses minières dont regorge notre pays vous indique toute l’étendue de ces richesses. Avec 20 milliards de tonnes, la Guinée dispose de 40 % des réserves mondiales de bauxite. Mais vous avez aussi de l’or sur 60 % du territoire guinéen, vous imaginez ! En termes de diamants, nous avons 25 à 30 millions de carats. Et pour le fer, nous avons mis en évidence aujourd’hui quelque 10 milliards de tonnes de fer de haute teneur, à tel point que nous surnommons « caviar » le fer guinéen, c’est l’acier vert, car il permet de consommer moins d’énergie pour le transformer en acier. Mais les exportations de bauxite (80 à 100 millions de tonnes par an) ont provoqué d’énormes dommages sur l’environnement, particulièrement dans le nord-ouest du pays.

Dans le domaine de l’extraction artisanale et clandestine de l’or, la situation est encore pire. Car cette exploitation utilise des produits extrêmement toxiques, comme le mercure et le cyanure, qui finissent dans les sols, les nappes souterraines et les cours d’eau entraînant la mort des poissons et mettant en danger la santé des populations riveraines qui boivent les eaux des cours d’eau pollués.

APP - Quelles seraient vos priorités pour préserver cette biodiversité ? Pouvez-vous citer quelques exemples concrets ?

Kabiné KOMARA – Sans sa riche biodiversité, je le répète, la Guinée n’existerait simplement pas. Il était donc urgent de réagir. Je suis heureux que le gouvernement ait pris récemment des mesures pour annuler au moins 150 permis miniers dont les détenteurs ne pratiquaient pas cette exploitation de manière orthodoxe. Il en va de même dans le domaine de l’exploitation artisanale de l’or et de la coupe du bois, où un moratoire a été imposé.
Il y a donc un réveil, mais l’ampleur des dégâts causés est déjà considérable. Il nous faut préparer un plan stratégique pour une action à long terme. C’est fondamental car la protection de la nature et de la biodiversité, c’est un travail transversal qui doit impliquer en synergie vertueuse plusieurs secteurs comme, le Ministère de l’Environnement et du Développement durable, les Mines, l’agriculture, l’urbanisme, l’habitat, les infrastructures, la pêche, l ’éducation, la recherche, les services de prévention et d’alerte comme la Météo, les Finances, etc.

Il faut mettre à jour la législation pour défendre l’environnement et appliquer ces nouvelles normes secteur par secteur pour protéger toutes les zones et espèces menacées, de la flore comme de la faune. Il nous faut renforcer nos capacités et dégager des moyens. Il nous faut surtout impliquer les élus locaux, sensibiliser les femmes et la jeunesse pour que surtout cette frange de la population s’approprie la nécessité du combat.

APP - L’académicien Erik Orsenna, qui était présent lors de la récente présentation de votre livre à Paris, a annoncé qu’il allait revenir en Guinée pour une nouvelle mission. De quoi s’agit-il ?

Kabiné KOMARA – Mon ami Erik Orsenna et moi, sommes en effet membres de l’IAGF (Initiative pour l’Avenir des Grands Fleuves), une association à portée mondiale qui nous permet de nous réunir régulièrement autour de la vie de différents grands fleuves du monde en consultant aussi bien les experts, les industriels que les riverains et en proposant des mesures concrètes de sauvegarde que nous soumettons aux décideurs.

Un tel travail a eu lieu autour du fleuve Sénégal. Ce travail à confirmé l’urgence de protéger les sources du fleuve Sénégal qui est lui-même constitué de trois fleuves différents provenant du massif du Fouta-Djallon. Par ricochet, l’Association a décidé de se joindre aux efforts des organismes de bassins et surtout du gouvernement guinéen pour lancer une action concertée pour sensibiliser à la protection de ce massif stratégique. L’Unesco a déjà été saisi par la Guinée en mai dernier.

La venue de mon ami Erik Orsenna, grand ami des fleuves et de la nature, aidera à amplifier le plaidoyer pour trouver davantage de soutiens et de moyens

L’ancien PM de Guinée, Kabiné Komara, avec notre Grand Reporter Bruno Fanucchi. Photo © DR - CLIQUER SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.

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APP - L’épidémie Ebola, que j’ai connue en étant l’un des rares journalistes étrangers à me rendre en Guinée au printemps 2014, a fait beaucoup de mal à votre pays... La bonne santé de vos compatriotes, n’est-ce pas aussi un de vos soucis majeurs ?

Kabiné KOMARA – Voilà un point extrêmement sensible. Vous savez que, dans notre pays, une bonne partie des maladies et pandémies (comme le paludisme, les fièvres typhoïdes, les diarrhées, le shistomiaze, la bilharziose, etc.) sont – hélas – des maladies d’origine hydrique. Pour l’ensemble de ces pathologies, on a ainsi dénombré rien qu’en 2017 plus de 310 000 patients affectés par ces maladies. C’est donc très important.

Depuis Ebola, il y a une plus grande prise de conscience que les dévastations de l’habitat naturel de nos voisins que sont les animaux sauvages ne sont pas sans conséquences sur notre santé car cela déloge et démultiplie les virus cachés. Nous devons donc garantir la vie de la faune sauvage.

Les projections scientifiques en termes d’apparition de nouvelles épidémies voire de pandémies dans le futur sont hélas très alarmantes !!!

APP - Le projet « Simandou 2040 », désormais sur les rails, peut-il faire de votre pays sa locomotive en Afrique de l’Ouest ?

Kabiné KOMARA –q Cela va assurément améliorer la vie de la Guinée. La campagne de mobilisation lancée à ce sujet a déjà eu un effet positif sur les jeunes et les femmes qui se sont emparés du Programme Simandou 2040 bâti autour de ce projet qui aura des retombées sur l’ensemble de l’économie guinéenne en accentuant le renforcement des capacités et les centaines d’emplois dans de nombreux secteurs ainsi que les investissements sociaux.

Le gouvernement a lancé dans la foulée deux initiatives bienvenues, à savoir la création d’un Fonds Souverain et le principe de la Notation périodique du pays. La première permet au pays de réunir des ressources qui attirent des investisseurs internationaux pour mettre en œuvre des objectifs de développement plus ambitieux. La deuxième, à savoir la notation continue dont le premier essai concluant a permis d’avoir la note B+ par S&P, facilitera l’accès à des financements non concessionnels car, en termes bancaires elle améliore le « dérisquage » !

APP - Quel regard l’ancien Premier ministre que vous êtes porte-t-il sur la situation actuelle en Guinée ? Le pays est-il bien sur la voie des bonnes réformes économiques ?

Kabiné KOMARA – Globalement, le pays évolue dans une bonne voie, surtout en matière de réformes courageuses et essentielles dans la plupart des secteurs et l’amélioration des infrastructures.
Le taux de croissance du pays pour 2025 est de 7,2 % et est projeté pour 10,5 % en 2026 selon le FMI, la positionnant en seconde position du continent.
Nous prions pour que la Guinée connaisse une stabilité politique et économique. Nous avons bon espoir qu’après l’adoption de la nouvelle Constitution, la Guinée est en train de retrouver une certaine normalité. Et j’espère que l’élection présidentielle qui se tiendra le 28 décembre prochain, se passera dans des conditions pacifiques et que nous pourrons connaître une paix durable, gage de développement économique inclusif et de bon vivre ensemble.

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(*) « Notre biodiversité en danger » de Kabiné Komara (Le Cherche Midi), 384 pages, 22 €.

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