Jérémie TAÏEB : « Le rôle stratégique de la France en Afrique : sécuriser des routes maritimes alternatives à celles de la Chine » (2/2)
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Une contribution de Jérémie TAÏEB
Directeur de TIKVA Partners
(Volet 2/2)
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VI - L’enjeu des voies maritimes et la Chine
comme « porte-fer » géopolitique
La Chine, avec sa feuille de route maritime de plus en plus affirmée, notamment à travers l’initiative de la Route de la Soie maritime, détient un contrôle sur des « chokepoints » essentiels tels que le détroit de Malacca, le détroit de Bab-el-Mandeb, et les passages clés dans le Pacifique.
Ces routes sont essentielles pour les approvisionnements mondiaux, y compris ceux venant d’Australie vers l’Europe. En cas de conflit avec Taïwan, si les puissances occidentales soutenaient Taiwan, la Chine pourrait envisager de perturber ces routes, non seulement pour exercer une pression militaire, mais aussi pour affirmer son pouvoir économique et tactique.
L’Australie joue un rôle crucial dans le commerce global, particulièrement en matière de matières premières telles que le minerai de fer, le charbon, et d’autres ressources stratégiques. Une interruption de ces approvisionnements, via des mécanismes tels que le blocage de routes maritimes, les contrôles douaniers ou l’utilisation de la guerre économique, représenterait une crise immédiate pour l’Europe, la France en particulier, qui dépend de ces importations pour sa production industrielle.
Si la Chine était en conflit avec Taïwan et que la France, aux côtés des États-Unis et de leurs alliés, décidait de contrer Pékin, cela aurait des conséquences majeures sur la sécurité maritime, notamment pour l’approvisionnement en matières premières en provenance de l’Australie, cruciales pour la sécurité énergétique européenne.
L’Australie est un exportateur majeur de GNL. Bien que l’Europe s’approvisionne principalement en GNL américain, qatari et norvégien, des perturbations dans la région pourraient forcer un rééquilibrage mondial des flux.
L’Australie est l’un des principaux fournisseurs mondiaux de minerais critiques, comme le lithium, le cobalt et le nickel, essentiels pour les batteries et la transition énergétique européenne.
La plupart des exportations australiennes transitent par la mer de Chine méridionale ou le détroit de Malacca, deux zones susceptibles de devenir des théâtres de conflit en cas de guerre entre la Chine et une coalition occidentale.
Ces routes sont vulnérables à :
- Blocus maritime par la Chine, qui dispose d’une flotte puissante capable de restreindre le passage des navires marchands.
- Risques d’interdiction commerciale imposés par Pékin sur les exportations et importations essentielles.
Les exportateurs australiens pourraient contourner la mer de Chine méridionale en passant par le détroit de Lombok ou le détroit de Sunda, mais ces itinéraires allongeraient le temps et le coût des transports.
Cela entraînerait des frais logistiques élevés pour les importateurs européens.
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VII - Impact sur la sécurité
énergétique européenne
- Hausse des prix de l’énergie - Une réduction ou un ralentissement des livraisons de GNL australien obligerait l’Europe à concurrencer d’autres régions pour les approvisionnements alternatifs (Moyen-Orient, États-Unis).
- Retard dans la transition énergétique - Les interruptions dans l’approvisionnement en lithium, nickel et cobalt perturberaient la production de batteries et d’équipements nécessaires aux énergies renouvelables.
- Renforcement de la dépendance au gaz russe ou qatari - En cas de rupture des flux australiens, certains pays européens pourraient être contraints de maintenir des importations russes, malgré les sanctions.
Les tensions croissantes entre la Chine et Taïwan, dans un contexte géopolitique mondial en pleine transformation, représentent un défi majeur pour la France, notamment en ce qui concerne la sécurité maritime et l’approvisionnement en matières premières essentielles pour son économie.
Face à cette nouvelle donne, il est impératif que la France réévalue sa stratégie navale et ses relations commerciales, notamment avec des régions comme l’Afrique, pour garantir la résilience de ses approvisionnements en matières premières.
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VIII - Les enjeux géopolitiques
et la sécurité maritime mondiale
1 - L’impact d’une escalade entre la Chine et Taïwan
– Risques pour les routes maritimes - Une guerre entre la Chine et Taïwan affecterait directement la sécurité des voies maritimes, notamment dans la région de l’Indo-Pacifique, où transite une grande partie du commerce mondial. La Chine, avec sa puissance navale croissante, pourrait chercher à contrôler des passages clés, perturbant ainsi les flux commerciaux vitaux pour l’Europe.
La sécurisation des approvisionnements en matières premières - L’Australie, un fournisseur majeur pour l’Europe, pourrait se retrouver isolée en cas de conflit, perturbant l’approvisionnement en ressources stratégiques, telles que le lithium, le cobalt et l’uranium, essentiels pour la transition énergétique.
2 - La montée en puissance des puissances maritimes concurrentes
La Chine et la Russie - Ces pays ont adopté des stratégies maritimes offensives pour sécuriser leurs intérêts économiques et militaires, notamment en militarisant des points critiques, comme les détroits et les mers régionales. La France, et plus
largement l’Europe, doivent se préparer à contrer ces schémas maritimes qui visent à perturber les routes commerciales mondiales.
La posture des États-Unis - Avec leur stratégie de “denial” en mer de Chine méridionale, les États-Unis cherchent à empêcher la Chine de dominer cette zone clé. La France doit s’inspirer de ces modèles pour renforcer sa propre sécurité maritime, en particulier dans la région Indo-Pacifique.
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IX - Le rôle stratégique de la France
en Afrique : sécuriser des routes alternatives
1 - L’Afrique : un partenaire capital dans la diversification des approvisionnements
Ressources naturelles abondantes - L’Afrique représente une alternative vitale pour la France en termes de matières premières, notamment les métaux rares et les hydrocarbures. Des pays comme le Gabon, l’Angola, le Niger, le Burkina Faso ou l’Afrique du Sud sont essentiels pour diversifier les sources d’approvisionnement, notamment en cas de perturbation des routes maritimes traditionnelles via l’Asie.
Une sécurisation des routes maritimes africaines - La France doit renforcer sa présence navale et ses infrastructures logistiques en Afrique pour garantir l’accès à ces ressources, tout en sécurisant les voies maritimes reliant l’Afrique à l’Europe. Des ports comme Dakar ou ceux du Ghana pourraient devenir des hubs stratégiques pour l’approvisionnement européen.
2 - La présence militaire et logistique de la France en Afrique
Bases navales et accords de défense - La France dispose de bases militaires, comme celles de Djibouti, et d’accords de défense avec plusieurs nations africaines, ce qui lui confère un avantage géopolitique important pour protéger ses routes commerciales. Cette présence permettrait de soutenir l’interdiction des actions hostiles, en cas de conflit majeur.
Renforcement des partenariats africains - La France doit investir dans des infrastructures logistiques, comme des hubs portuaires sécurisés, pour pallier toute crise d’approvisionnement venant d’Asie-Pacifique.
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X - La nécessité d’une stratégie navale
offensive face aux menaces croissantes
1 - Une posture militaire inadaptée aux nouveaux défis
– Le modèle actuel : réactif mais insuffisant - La France reste en grande partie dans une logique de gestion des crises de type “temps de paix”, avec des capacités militaires adaptées aux conflits asymétriques, comme ceux du Sahel. Toutefois, face à des enjeux géopolitiques majeurs (Chine, Russie), ses forces navales restent insuffisantes pour faire face à une guerre économique et maritime à grande échelle.
Le besoin d’une réponse proactive - La France doit investir dans une politique navale offensive pour contrer les blocages commerciaux en cas de guerre, tout en renforçant sa présence dans les zones sensibles, telles que l’Indo-Pacifique, et en sécurisant les routes maritimes africaines.
2 - L’importance d’alliances stratégiques et de partenariats renforcés
Coopération avec des puissances maritimes - Pour garantir sa sécurité maritime, la France doit renforcer ses alliances avec des acteurs clés afin de maintenir l’équilibre des forces dans des zones stratégiques.
Diversification des sources d’approvisionnement en matières premières - La France doit diversifier ses routes commerciales en intégrant plus profondément l’Afrique à ses chaînes d’approvisionnement, tout en renforçant sa résilience face aux ruptures potentielles.
Face à l’ascension de la Chine et à l’intensification des rivalités mondiales, il est impératif que la France réévalue sa stratégie navale et géopolitique. Elle doit passer d’une logique de « temps de paix » à une posture proactive, capable de répondre aux défis économiques et sécuritaires mondiaux.
Cela inclut la sécurisation des routes maritimes africaines, le renforcement des partenariats clés, et l’investissement dans des capacités navales offensives. Si la France ne prend pas des mesures décisives, elle pourrait se retrouver vulnérable à des perturbations majeures dans ses chaînes d’approvisionnement, impactant ainsi sa sécurité énergétique et économique à long terme.
Mais la France ne devrait pas voir la Chine comme un ennemi mais comme un partenaire, en créant des consortium franco-chinois en Afrique. C’est aujourd’hui le seul moyen pour la France de revenir en Afrique. Si la guerre de l’opium a été un tournant décisif pour la Chine, lui enseignant la leçon fondamentale que la domination des mers est synonyme de puissance mondiale. L’Europe ne doit pas oublier que l’économie est de l’énergie transformée, et si l’on sécurise son coût d’accès à l’énergie primaire alors on domine le monde.
À l’instar de l’Empire britannique, qui avait compris l’importance des océans, la Chine a, à partir de ce moment, orienté sa politique vers la sécurisation de ses voies maritimes. Ces nouvelles frontières géopolitiques maritimes redéfinissent l’équilibre mondial et l’ordre géopolitique du XXIe siècle, où l’Empire du Milieu se positionne comme un acteur clé dans la compétition pour le contrôle des océans.
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