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UPM – Tribune Libre

Jean-Louis Guigou et Radhi Meddeb (IPEMED) :
« La sortie de crise passe par la Méditerranée ! »

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 26 octobre 2009
Jean-Louis Guigou et Radhi Meddeb (IPEMED) : « La sortie de crise passe par la Méditerranée ! »
Paris - Au moment où le monde multipolaire et la sortie de crise s’organisent, Jean-Louis Guigou [photo] et Radhi Meddeb, respectivement Délégué général et Directeur général de l’IPEMED, considèrent plus que jamais qu’une opportunité historique se présente aux Européens et aux pays des rives Sud et Est de la Méditerranée : construire un espace méditerranéen de croissance collective.

La sortie de crise passe par la Méditerranée

par Jean-Louis GUIGOU* et Radhi MEDDEB* (IPEMED*)

Crise financière, chômage, déséquilibre des finances publiques. Comment en sortir ? Ne rien changer et reproduire les mêmes erreurs ? Poursuivre sur la voie du court termisme, de la spéculation sur les matières premières agricoles ou énergétiques ? Laisser se propager le cancer du capitalisme financier qui détruit le tissu sain de l’industrie, du commerce, de la recherche ? Ce serait très vite une impasse.

Une opportunité historique se présente aux Européens et aux pays des rives sud et est de la Méditerranée : construire un espace méditerranéen de croissance collective. Est-ce un projet politique et économique ? Oui, certainement. Une anticipation et une opportunité ? Sans aucun doute. Une utopie ? Non. Car le recollement des deux rives de la Méditerranée a commencé, à bas bruit. Plus tard et moins vite que ne le firent les Etats-Unis et le Mexique dans l’Alena, ou les Japonais avec les pays émergents de leur région (« Asean + 3 »). Mais le rapprochement des deux rives de la Méditerranée par l’économie est engagé ; c’est une réalité en évolution lente, qu’il faut accélérer pour sortir l’Europe de la crise.

Pourquoi construire un espace régional intégré ?
Et pourquoi la crise est-elle une opportunité ?

Le monde multipolaire est en cours d’organisation. La sortie de crise accélère ses recompositions. L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud se rapprochent. Le bloc asiatique se structure avec la perspective de créer un fonds monétaire international asiatique.

À l’évidence le rapprochement économique (et non politique) des deux rives de la Méditerranée est une perspective qui devient de plus en plus une réalité :

  Des pays arabes, qui n’avaient pas un système bancaire et des places financières interconnectées à la grande spéculation et aux produits toxiques mondialisés, sont entrés tardivement dans la crise et vont en sortir plus rapidement que les pays européens. L’ « actif « le plus pollué au Sud c’est l’immobilisme.

  Malgré la baisse du tourisme, des Investissements Directs Etrangers, la baisse des exportations vers l’Europe en crise et la réduction des remises d’émigrants (- 12 %), ces pays gardent en 2009 des taux de croissance de 4 % ou 5 %, tandis que les pays de la rive nord se traînent avec -1,5 à -4%.

  Ces pays du Sud, contrairement à ce qu’on pense souvent, ont de l’argent en abondance, mais encore trop peu d’opportunités d’investissement sur place, faute d’une gouvernance claire et moderne que l’Europe peut contribuer à leur apporter.

  Les études récentes montrent que l’attractivité des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée l’emporte très largement sur l’attractivité des pays de l’Europe de l’Est.

  La complémentarité Nord-Sud est évidente (climat, niveau de développement, énergie, marchés…).

  Considérant la nécessité d’une vraie régulation internationale, les régulations régionales pour l’eau, l’énergie, l’agriculture, les mobilités... s’imposent comme complément à des régulations mondiales difficiles à concevoir et à mettre en œuvre à la vaste échelle du globe.

  Peut-être un jour faudra-t-il se protéger, pas tant contre les produits chinois, asiatiques ou brésiliens (agriculture), que contre une certaine conception de la mondialisation, sans limites ni valeurs.

La Méditerranée peut devenir
un modèle de “région Nord-Sud”

Associant des économies complémentaires, forte de 500 millions d’Européens et 450 millions d’hommes et de femmes du Sud et de l’Est d’ici quelques décennies, la Méditerranée peut devenir un modèle de « région Nord-Sud », un espace de développement durable commun et d’échanges régulés – version moderne des « économies-monde » décrites par Fernand Braudel.

Ce diagnostic de la complémentarité des deux rives de la Méditerranée est partagé par les meilleurs experts d’Algérie, du Liban, du Maroc, de la Tunisie, etc… réunis à Marseille le 10 octobre 2009, au rendez-vous de la Méditerranée : ce qui manque aux pays du Sud c’est un moteur de croissance à moyen et long terme.

Comment construire sur la durée cet espace méditerranéen de croissance collective ?

Cette réponse doit être proposée par les pays méditerranéen eux-mêmes. C’est une réponse endogène.

En premier lieu par la voie privée de l’industrie, celle du redéploiement de l’appareil productif sur l’ensemble des pays du monde méditerranéen.

Dans les années 1950 et 1960, le Japon a redéployé son appareil de production et a créé les Dragons du Sud-Est asiatique. Cela lui fut largement profitable en retour.

Dans les années 1990, l’Allemagne a, elle aussi, redéployé son appareil de production dans les pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Non seulement elle a aidé ces pays à se développer, mais en externalisant des segments importants de valeur ajoutée, l’Allemagne est restée néanmoins le premier exportateur mondial de machines-outils.

C’est maintenant au tour des pays de la Méditerranée ! Dans leur intérêt et dans l’intérêt des pays européens, il faut redéployer nos activités, non pas dans l’idée d’exploiter des bas coûts de main d’œuvre, mais de partager la chaîne de valeur.

À l’heure d’une économie fondée sur la qualité, la technologie et les services, on ne peut plus considérer les pays de la rive sud comme des pays de consommation, d’extraction de matières premières ou de productions à faible valeur ajoutée, mais bien comme des pays pouvant posséder des champions et des pôles d’excellence.

Comme l’Inde, ils doivent, avec l’aide de l’Europe et dans son intérêt bien compris, faire revenir leurs élites expatriées. Ces pays peuvent devenir, en dix ou vingt ans, des « Dragons » et tirer la croissance européenne. Déjà les bases de ce modèle se dessinent.

Les récentes études d’IPEMED montrent comment des entreprises grandes, mais aussi petites, dans l’industrie, les services ou l’agriculture, tirent parti de la complémentarité Nord-Sud ; les entrepreneurs européens qui investissent dans un partenariat durable avec la rive sud non seulement développent leur activité mais conservent voire développent l’emploi sur la rive nord.

En second lieu par la voie publique, celle de la mise en place de politiques euro-méditerranéennes communes, qui s’esquissent : politique commune de l’eau, politique commune agricole, construction d’une institution commune pour créer un espace financier régional, politique commune du médicament, politique commune de protection civile… Celle aussi de la coopération entre administrations publiques, entre collectivités locales, entre hôpitaux ou universités des deux rives, qu’il faut intensifier.

Prenons garde : si les Européens ne font pas rapidement le choix de la Méditerranée, les Chinois ou d’autres le feront. Toute attitude postcoloniale – facilement détectable – conduirait à l’échec. Toute attitude tactique – également détectable ! – qui viserait à faire de l’Union pour la Méditerranée un moyen politique d’éviter la poursuite du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE ou d’éviter le règlement du conflit israélo-palestinien, altérerait le mouvement de fond de ce rapprochement historique des deux rives.

Ne nous trompons donc ni de combat ni de priorité. Les pays de la Méditerranée, le monde arabo-musulman, Iran et Irak compris, veulent leur place sur la scène internationale. C’est normal et souhaitable. Nous avons un destin commun à construire ensemble. La crise actuelle ne fait que rendre cette nécessité plus évidente et urgente.

Tous les cycles de croissance reposent sur une innovation. Le nouveau cycle (2010-2040 ?) reposera sur l’innovation que constitue la mise en relation confiante des pays riverains de la Méditerranée. Comme toujours, le progrès n’est pas d’abord technologique, mais culturel.

Le moteur de croissance à long terme qui manque tant aux pays du Nord que du Sud de la Méditerranée ; c’est d’affirmer clairement qu’ils ont un avenir commun et qu’ils ont pour ambition d’humaniser en profondeur le système de l’économie de marché.

Paris, le 10 octobre 2009
::: :

Les auteurs :

Jean-Louis GUIGOU, Délégué Général de l’IPEMED

Jean-Louis Guigou © DR

Professeur des Universités, Haut-Fonctionnaire, Jean-Louis Guigou est, depuis 2006, Délégué général de l’Institut de Prospective Économique du Monde méditerranéen, IPEMED.

Jean-Louis Guigou est ingénieur agronome et docteur d’État es sciences économiques, professeur agrégé des universités. Il a été directeur puis délégué (1997-2002) à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). Outre la réforme du découpage politico-institutionnel du territoire français, il y a relancé les travaux de prospective sur les incidences spatiales des grandes transformations sociales, économiques et environnementales des sociétés. De 2002 à 2004, il a également présidé l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement du territoire (Ihedat). Chargé en 2002 par le ministre français des Affaires étrangères d’une mission d’identification et valorisation des scientifiques travaillant sur la Méditerranée, il a ensuite créé l’Institut de prospective économique du Monde méditerranéen (IPEMED), dont il est le délégué général.

Jean-Louis Guigou est l’auteur de plusieurs ouvrages dont notamment :

Une ambition pour le territoire, Edition de l’Aube (1995).
France 2020, mettre les territoires en mouvement, La Documentation Française (2000).

Radhi MEDDEB, Directeur Général de l’IPEMED

Radhi Meddeb
© DR

Ingénieur diplômé de l’Ecole Polytechnique de Paris (promotion 1973) et de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris (promotion 1975), Radhi Meddeb est Directeur général d’IPEMED.
Biographie ...

Après un début de carrière à la Compagnie des phosphates de Gafsa (1977-1982), ensuite à la Société Tuniso saoudienne d’Investissement et de développement (1982-1987), il crée en 1987, COMETE Engineering, dont il est le PDG. Il est également PDG fondateur de COMETE International, COMETE Immobilière, COMETE Engineering Algérie et COMETE Engineering Libye.

Il a également été fondateur et directeur général de Arab Leasing International Finance (Arabie Saoudite) de 1987 à 2006 et de Algerian Saudi Leasing (Luxembourg) de 1990 à 2006.

Il est enfin administrateur de la Banque Tuniso-Koweitienne (BTK) en Tunisie pour le compte de la Financière OCEOR Groupe des Caisses d’Epargne (France), membre de son Comité d’Audit permanent, membre du Comité d’investissement du Fonds d’Investissement, Altermed Capital, et membre du Conseil Supérieur de la Statistique(Tunisie).

À propos de L’Institut de Prospective Économique
du monde Méditerranéen (IPEMED)

L’Institut de Prospective Economique du monde Méditerranéen (IPEMED) est un groupe de réflexion euroméditerranéen.
Constitué en association loi 1901 depuis sa création en 2006, il préfigure à moyen terme la création d’une fondation.
Fervent défenseur de la construction de la région méditerranéenne dans son ensemble, IPEMED est convaincu du rôle déterminant de l’économie dans ce domaine.

Sa mission,statutaire et reconnue d’intérêt général, consiste à rapproch r, par l’économie, les pays des deux rives de la Méditerranée et ainsi oeuvrer à la prise de conscience d’un avenir commun et d’une convergence d’intérêts entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée.

Financé par des entreprises méditerranéennes, membres fondatrices d’IPEMED, et des personnes physiques qui partagent ses valeurs, il est indépendant des pouvoirs politiques dont il ne reçoit aucun financement.
Il a pour principes l’indépendance politique et la parité Nord-Sud dans sa gouvernance, comme dans l’organisation de ses travaux. Il donne la priorité à l’économie et privilégie une approche opérationnelle des projets. Il travaille dans la durée.

Par son positionnement proche des mondes des entreprises, des experts et des politiques (Etats, collectivités territoriales, institutions multilatérales), IPEMED favorise l’échange et le décloisonnement et permet l’émergence de projets opérationnels.

Quatre types d’approches

 prospective, pour constru i re une vision commune de la région et de son devenir, ne pas accepter la fatalité des scénarios tendanciels, et faire naître des collaborations sur le long terme ;
 par les réseaux professionnels, pour re n f o rcer les synergies entre les réseaux transméditerranéens existants et émergents ;
 sectorielle, pour traiter les thèmes indispensables à la création d’emplois, à la croissance durable et solidaire de la région (eau, énergie, transport, santé, agriculture, finance...) ;
 territoriale, pour une plus grande coopération décentralisée entre régions du pourtour méditerranéen, pour la promotion de l’aménagement du terr i t o i re et du développement rural.

Trois fonctions principales

 le brassage des élites méditerranéennes et en particulier des élites émergentes, afin de les mettre en réseau, de leur permettre de travailler en confiance à des projets communs et de bâtir des politiques communes ;
 la production d’idées nouvelles à partir de diagnostics partagés et de réponses communes aux défis de la région ;
 la promotion et la diffusion des idées et des projets auprès des décideurs économiques et politiques de la région, mais également auprès d’un large public.

En savoir plus : IPEMED

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