Jean-Louis GUIGOU, Fondateur de l’IPEMED :
« Vive le nouveau partenariat stratégique
entre le Maroc et la France ! »
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Propos recueillis par Alfred MIGNOT, Directeur de AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse
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AfricaPresse.paris (APP) – Vous avez eu le privilège d’être invité parmi les personnalités qui ont accompagné le président Macron lors de sa récente visite d’État au Maroc. Quelle était l’ambiance ?
Jean-Louis GUIGOU – Beaucoup de joie et de soulagement !… Parce que la crise qui a duré trois ans était profonde, mettant en scène directement deux chefs d’État, Sa Majesté le Roi du Maroc et le Président de la République française.
Un ambassadeur expérimenté, Christophe Lecourtier, a été nommé en 2022, avec pour mission d’œuvrer à cette réconciliation dont le résultat est à la hauteur des enjeux et du traumatisme passé.
APP – Quelles sont les caractéristiques uniques de cette réconciliation qui se veut une refondation ambitieuse de la relation entre la France et le Maroc ?
Jean-Louis GUIGOU – Les engagements du Maroc et de la France sont très solides et irréversibles. Le Président Macron l’a répété plusieurs fois, devant la communauté française, devant les chefs d’entreprise, à l’université, devant les parlementaires marocains : le Maroc et la France sont maintenant engagés dans un processus stratégique qui devrait entraîner l’Europe et l’Afrique. C’est ce défi mutuel que se lancent les deux partenaires.
Mais, sommes-nous capables d’entraîner à la fois l’Europe et l’Afrique ?
Parce que l’Europe est impliquée dans la gestion de la guerre en Ukraine ; dans le conflit Israël-Palestine qui divise nos sociétés, et dans les conséquences géopolitiques et économiques de l’élection de Trump... Mais parce que le projet entre le Maroc et la France est ambitieux, il se doit d’entraîner l’ensemble des autres partenaires européens et africains.
Une deuxième phrase est revenue plusieurs fois dans le propos présidentiel : le partenariat stratégique entre le Maroc et la France est le seul d’une telle densité à être mis en œuvre par la France avec un pays qui n’est pas dans l’Union européenne. Et aucun autre pays au monde n’a un partenariat comparable à celui entre la France et le Maroc. Ce partenariat est caractérisé par trois ambitions stratégiques.
APP – Tout d’abord, en quoi partageons-nous la même vision intercontinentale ?
Jean-Louis GUIGOU – L’Initiative atlantique promue depuis août 2022 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI s’inscrit tout à fait dans l’intégration régionale Afrique-Méditerranée-Europe, à partir de deux initiatives de 2017, l’une du Maroc et l’autre de la France.
Cela a commencé en janvier 2017, lorsque le Maroc a intégré l’Union africaine. C’est pour moi une date charnière de l’évolution du Maroc, qui considère alors que l’Euro-Méditerranée – dans laquelle l’Union européenne continuait à s’enfermer, n’était pas le bon cadre. Il faut passer d’une Méditerranée marginale, « cul de sac » de l’Europe à une Méditerranée centrale, pivot entre l’Europe et l’Afrique. La Verticale Afrique-Méditerranée-Europe va remplacer progressivement la politique euro-méditerranéenne qui faisait de la Méditerranée la frontière sud de l’Europe.
Ainsi, en réintégrant l’Union africaine, le Maroc ouvre les portes de l’africanité. Pour lui-même et aussi pour l’Europe. C’est une vision claire et stratégique.
Et 2017, c’est aussi l’année où le Président Emmanuel Macron, nouvellement élu, déclare vouloir faire la grande région Afrique-Méditerranée- Europe.
Et donc ce qui advient aujourd’hui, c’est la convergence affirmée politiquement d’une même vision.
Alors que l’Amérique va s’enfermer sur elle-même, avec pour seul objectif de garder son avance sur la Chine, et que la Chine n’a aussi qu’un seul objectif, talonner l’Amérique et trouver suffisamment d’alliés pour renverser l’ordre mondial, le Maroc et la France vont œuvrer ensemble pour rapprocher non seulement leur économie mais aussi celle de l’Europe et l’Afrique.
APP – Nous partageons non seulement la même vision, nous partageons également le même objectif : comment participer et accélérer le développement industriel de l’Afrique, et cela grâce à la coproduction et la colocalisation qui sont des concepts stratégiques…
Jean-Louis GUIGOU – Oui, le moment est venu pour l’Afrique de s’industrialiser, comme le Maroc a d’ailleurs commencé de le faire, il y a une quinzaine d’années, avec le Ministre de l’Industrie Moulay Hafid Elalamy. Je pense notamment aux succès des secteurs automobile et aéronautique, à la filière logistique avec Tanger Med et la LGV qui sera prolongée jusqu’à Marrakech, aux énergies renouvelables avec la centrale Nour et déjà l’hydrogène vert, etc.
Les 22 contrats signés à l’occasion de la visite d’État – pour 10 milliards d’euros – témoignent de la diversité de l’économie marocaine. Aussi, on observe assez clairement une convergence sur l’idée qui me tient beaucoup à cœur : désormais, c’est au capital du Nord de « descendre » vers les populations du Sud, et non pas aux populations du Sud de « monter » vers le capital du Nord, comme c’était le cas depuis les années 1970 sous la présidence de Giscard d’Estaing.
Il ne s’agit pas de faire des délocalisations, mais de participer à des actions de développement, de coproduction avec les industries locales, marocaines, maghrébines, puis africaines. Les industries domestiques, par exemple les productions de machines à laver, de vélos, de mobilier… autant de productions qui peuvent être fabriquées localement sans avoir nécessairement recours à des importations.
APP – Le troisième élément, décisif, est la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental…
Jean-Louis GUIGOU – On comprend bien que la vision partagée vers l’Afrique et l’objectif commun d’industrialisation du Sud étaient difficilement réalisables sans une conclusion positive à la définition des frontières du Maroc et de sa souveraineté. Il fallait en finir.
Pour la France, cela a été long, du fait des relations difficiles avec l’Algérie, comme chacun sait. Mais finalement le Président de la République Emmanuel Macron, dans sa lettre du 30 juillet 2024 à Sa Majesté le roi Mohammed VI, et comme il l’a réaffirmé devant le Parlement marocain, a clairement et fermement déclaré que la France est aux côtés du Maroc et va engager des démarches politiques vis-à-vis de la Commission européenne pour faire évoluer sa position, ainsi que vis-à-vis de l’ONU pour accélérer la reconnaissance internationale de la souveraineté marocaine sur le Sahara.
Il n’y a aucun doute, nous sommes dans un moment historique fort.
APP – Au-delà du discours du Président Macron devant les parlementaires marocains, quel autre temps fort retenez-vous de ce voyage ?
Jean-Louis GUIGOU – Une très belle séquence s’est produite le mercredi 30 octobre matin à l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates, avec son PDG Monsieur Mustapha Terab et en présence du Président Emmanuel Macron et de la Ministre de l’Agriculture Annie Genevard.
Le thème en était l’agriculture durable. Tous les participants ont pu apprécier l’évolution de cette entreprise originellement d’extraction minière qui est passée progressivement à la promotion de services au profit du monde agricole, au plus proche des producteurs.
Grâce aux satellites, les services compétents de l’OCP sont capables d’analyser les sols d’une façon parfaite, parcelle par parcelle, de savoir ce qu’il faut mettre comme engrais, à quel moment, comment économiser l’eau, ne pas mettre la potasse avant le phosphore, et ne pas mettre l’azote entre les deux…
Bref, cette expertise de l’OCP est absolument remarquable pour assurer le développement d’une agriculture durable économe en eau, économe en engrais et économe en surface agricole utile.
APP – À quoi faut-il s’attendre avec l’Algérie, qui ne décolère pas de ce rapprochement France-Maroc ?
Jean-Louis GUIGOU – J’étais peut-être bien le seul de la délégation à ressentir non pas un peu de tristesse, mais peut-être à avoir un peu de nostalgie et de regret, parce que je pensais à nos amis Algériens.
Avec le Maroc, on parle d’avenir et de modernité. Avec l’Algérie, on parle du passé et de la mémoire. Pour moi, c’est une erreur. On s’enferme des deux côtés dans le ressentiment. C’est comme un couple qui se sépare. Les deux ont des raisons et des torts partagés.
Ma tristesse vient de ce qu’il y a peut-être un lien entre l’entretien de la rente mémorielle et le maintien de la rente pétrolière. En entretenant cette haine de la France et de l’Occident, en jouant le jeu de Poutine, le jeu des dictateurs, on entretient une animosité profonde qui permet à la classe dirigeante algérienne de se maintenir et de profiter de la rente pétrolière.
APP – Que faudrait-il proposer à l’Algérie ?
Jean-Louis GUIGOU – À la fois très modestement et avec beaucoup d’ambition, IPEMED a proposé en 2014 de faire de l’Algérie la « pile électrique » de l’Europe, en s’inspirant des travaux de l’économiste algérien, Mourad Preure. Nous l’avons proposé à Monsieur Abdelmalek Sellal, alors premier Ministre de l’Algérie, et qui nous demandait un « projet ambitieux »… Nous proposions de créer ensemble une grande compagnie d’énergies renouvelables dans le monde. « Vous avez la Sonatrach, nous avons Engie, c’est faisable… », avons-nous avancé..
Aujourd’hui, IPEMED plaide toujours pour la création d’une Communauté Méditerranéenne de l’Energie (CME), en s’inspirant de la CECA qui a si bien contribué à la réconciliation de l’Allemagne et de la France.
APP – Un mot de conclusion ?
Jean-Louis GUIGOU – Ce moment historique du discours du Président français devant les parlementaires marocains a été formidable ! Fait unique en ce lieu, il a été longuement applaudi debout lorsque le Président a réaffirmé, comme dans sa lettre du 30 juillet dernier à Sa Majesté Mohammed VI, que « Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ».
Ce fut comme une délivrance, comme une renaissance. Il y avait de la joie des deux côtés. Tout le monde était heureux. Et plus on applaudissait, plus les gens s’embrassaient.
Le nouveau partenariat stratégique entre le Maroc et la France est bien engagé.
Je formule le souhait que demain, c’est-à-dire, dans peu d’années, nous puissions avoir une visite d’État en Algérie pour signer un partenariat stratégique avec ce grand pays, si proche de la France et plein d’avenir.
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*IPEMED : Jean-Louis Guigou, professeur des universités et haut fonctionnaire à la retraite, a fondé l’Institut de Prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED) en 2006 et l’a présidé jusqu’en février 2020. Date à partir de laquelle, il a essayé avec Jean-Claude Juncker et de nombreux soutiens internationaux, de lancer la Fondation la Verticale Afrique-Méditerranée-Europe (AME), qui a eu une vie éphémère, car mise en sommeil dès 2022… mais qui pourrait renaître à partir de l’Afrique.
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