Jawad Kerdoudi, Président IMRI : « Quelles perspectives pour la nouvelle Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) ? »
Une Tribune libre de Jawad KERDOUDI,
Président de l’IMRI
(Institut Marocain des Relations Internationales)
Lors du Sommet extraordinaire de l’Union africaine qui s’est tenu à Kigali le 21 Mars 2018, a été signée la ZLECA (Zone de libre-échange continentale africaine). Les négociations de cette zone de libre-échange ont duré deux années sous la direction du Président du Niger, Mahamadou Issoufou. La ZLECA répond aux aspirations de l’Agenda 2063 pour l’Afrique, qui prévoit un continent intégré et prospère, fondé sur la croissance inclusive et le développement durable.
Cette zone de libre-échange va concerner une population de 1,2 milliard de personnes avec un PIB cumulé de 2 500 milliards de dollars. Il est prévu que la population de l’Afrique atteindra 2,5 milliards en 2050, et représentera 26 % de la population mondiale en âge de travailler. Cependant, il faut d’ores et déjà noter que seuls 44 pays ont signé la ZLECA le 21 Mars 2018, et qu’il faudra la ratification d’au moins 22 pays pour que l’Accord entre en vigueur.
Supprimer les 84 000 kilomètres de frontières africaines
Parmi les non signataires, deux poids lourds de l’Afrique : l’Afrique du Sud et le Nigeria, dont le Président était absent du Sommet. Un autre décision n’a pas été prise à Kigali : où se situera le siège du Secrétariat de la ZLECA ? Alors que certains pays ont proposé Addis Abeba, d’autres ont préféré un autre lieu pour l’éloigner des lourdeurs administratives des institutions de l’Union africaine.
L’objectif de la ZLECA est de créer une zone de libre échange commerciale africaine, où 90 % des échanges de biens seraient exonérés des droits de douane. L’objectif final serait de regrouper les zones de libre-échange régionales actuelles en un vaste ensemble intégré.
Le but est de supprimer les 84 000 kilomètres de frontières qui existent actuellement en Afrique, et d’élargir le commerce inter-africain qui n’est que de 16%, contre 50% en Asie et 70% en Europe. Il s’agit également à moyen et long terme non seulement de supprimer les obstacles tarifaires, mais également les obstacles non tarifaires par l’établissement de normes communes.
Une étude a montré que les échanges commerciaux intra-africains augmenteraient de 52 % d’ici à 2021, et qu’ils doubleraient si les obstacles non-tarifaires sont également supprimés. En effet, les entreprises africaines sont actuellement confrontées à des droits de douane plus élevés lorsqu’elles exportent en Afrique qu’en dehors du Continent.
Le but recherché par la ZLECA est de promouvoir l’industrialisation de l’Afrique pour réduire l’importance relative des matières premières qui représentent la majeure partie des exportations africaines. En effet, actuellement 76 % des exportations africaines proviennent des ressources extractives.
Au niveau du commerce intra-africain, seuls 39 % des exportations proviennent des ressources extractives. Le grand risque associé au commerce des matières premières est la grande volatilité des prix, qui lorsqu’ils baissent pèsent sur les budgets des pays africains. Un autre avantage des produits industriels est qu’ils créent plus d’emplois et de valeur ajoutée que l’exportation de matières premières.
Les PME, qui constituent 80 % des entreprises africaines, seront encouragées par la ZLECA, dans la mesure où elles pourraient fournir des intrants pour les grandes entreprises industrielles. La zone de libre-échange africaine favorisera le travail des femmes qui travaillent dans le commerce informel transfrontalier du fait de la suppression des droits de douane.
L’indispensable mobilisation du secteur privé
L’Afrique est constituée d’une mosaïque de pays, allant des grands pays développés aux petits pays moins développés. Pour que la ZLECA ne profite pas seulement aux grands pays, il faudra mettre en œuvre des programmes de développement industriel accéléré pour les petits pays, et leur accorder des délais supplémentaires pour se mettre en conformité avec les règles de la zone de libre-échange.
Une condition essentielle pour la réussite de la ZLECA est la mobilisation du secteur privé qui est l’instrument principal du développement économique et de la création d’emplois. Il faudra aussi sensibiliser les citoyens des différents pays africains pour qu’ils soient informés, et qu’ils s’approprient ce grand projet historique.
En conclusion, on ne peut que se féliciter de la création de cette zone de libre-échange africaine qui va rendre les entreprises du Continent plus compétitives, satisfaire la consommation interne, promouvoir la classe moyenne, rendre le Continent plus attrayant, et lui permettre de négocier en force les accords internationaux.
Cependant, il ne faut pas mésestimer les obstacles à la réussite de ce projet. Deux grands pays, l’Afrique du Sud et le Nigeria, n’ont pas signé l’accord, et il semble difficile qu’il soit mis en œuvre dès le mois de janvier 2019, comme le souhaiteraient certains chefs d’État. Il reste de grands chapitres qui n’ont pas encore été fixés : la liste des produits par pays pour l’exonération des droits de douane, l’Organe de règlement des différents, la fixation des critères du certificat d’origine.
Le Maroc a signé l’Accord et doit se préparer pour le mettre en œuvre. Dans le cadre de la ZLECA et du fait d’une économie diversifiée, il pourra augmenter ses exportations et ses investissements dans d’autres régions que l’Afrique de Ouest. Enfin la zone de libre échange n’est pas une panacée, et il faut d’autres mesures, notamment l’éducation et la formation, pour garantir un véritable développement de l’Afrique.
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