J.-L. Guigou, DG IPEMED : « Aujourd’hui l’UPM se situe entre la peur et l’espoir. J’ai choisi l’espoir »
Intervenant en ouverture de la conférence dédiée à l’UPM qui se déroulait mardi 29 mars aux facultés Saint Louis de Bruxelles, Jean-Louis Guigou, Délégué général de l’IPEMED (co-organisateur de la journée), a livré son analyse sur l’état et le devenir des relations euroméditerranéennes. Avec, en ligne d’horizon, l’une des interrogations majeures du moment : comment relancer l’UPM ?
Photo ci-dessus : Jean-Louis Guigou, Délégué général de l’IPEMED, durant son intervention à la journée de conférences sur l’UPM, mardi 29 mars 2011, dans les locaux des facultés Saint-Louis de Bruxelles.© LeJMED.fr - mars 2011
Parmi les peurs agitées par certains, estime Jean-Louis Guigou, celle des cohortes de migrations massives qui débarqueraient pour envahir l’Europe paraît assez dérisoire, puisqu’à ce jour ce ne sont que « quelques chaloupes » qui ont amarré dans le sud européen… En revanche, la peur de voir peut-être les révolutions arabes « mal tourner, si les intégristes revenaient », n’est pas à négliger, car les révolutions démocratiques du sud méditerranéen sont confrontées à des forces mises en place depuis des décennies, et qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain.
Évoquant l’Union pour la Méditerranée (UPM) Jean-Louis Guigou s’est déclaré « déçu que derrière ce magnifique concept, on mette un débat sur l’islam, les visas, les immigrés… J’ai peur, a-t-il poursuivi, de cette Europe qui s’enlise dans l’absence de prise de décision. J’ai peur de voir l’Europe incapable de se repenser elle-même dans un monde multipolaire, alors qu’elle fut au centre du monde durant cinq siècles. ».
Malgré tout cela, « Je choisis mon camp, celui de l’espoir », a affirmé le Délégué général de l’IPEMED. Pour Jean-Louis Guigou, cet espoir est raisonné, et réaliste au regard des motivations des uns et des autres : c’est l’espoir que, par intérêt, les financiers et les chefs d’entreprise, et les politiques à leur suite, se rendent compte de l’immense opportunité que représente la coopération entre l’Europe et le monde arabe méditerranéen. Mais, cet espoir – qui peut sembler illusoire au moment où certains se plaisent à déclarer que L’UPM est morte – s’appuie aussi sur la nouvelle donne issue des révolutions démocratiques, avec l’émergence des nouvelles élites, des ministres compétents « qui seront des négociateurs difficiles, mais qui s’intéresseront au sujet. Nous le voyons déjà en Tunisie. »
« Mon espoir, a encore déclaré Jean-Louis Guigou, c’est que, à cause ou plutôt grâce à ces crises, à ces révolutions, la relation nord-sud méditerranéenne devienne de plus en plus évidente. Car l’avenir de l’Europe, c’est la Méditerranée, et réciproquement. »
Le rapprochement à l’œuvre entre la Commission et l’UPM
Sur cette base, la seule question qui vaille est donc bien celle du comment relancer le partenariat euroméditerranéen, dès que possible. Dans cette perspective, Jean-Louis Guigou a proposé deux pistes de réflexion.
D’une part, l’idée de concevoir des relations « top down » entre l’UPM et la Commission européenne, tandis que le Secrétariat général analyserait et validerait les propositions « botton up » qui remonteraient « du terrain ».
D’autre part, a considéré Jean-Louis Guigou, ne serait-il pas pertinent de mettre le focus sur les pays qui ont fait leur révolution ? Par exemple avec la Tunisie, avec laquelle on développerait un Plan Marshall, sur dix à quinze ans ?
Interrogation « provocatrice », enfin : « Faut-il supprimer les aides financières ? Ces dons dont l’Europe était si fière… Mais ces dons n’ont-ils pas permis la corruption, la prévarication, le maintien de gouvernements peu ou pas légitimes ? Ce que nous disent aujourd’hui les jeunesses du sud, c’est qu’ils ont aussi besoin d’autre chose que de l’argent », a déclaré Jean-Louis Guigou.
Intervenant à nouveau en conclusion des conférences qui s’étaient déroulées tout au long de la journée, Jean-Louis Guigou mit en exergue les fortes convergences qui avaient émergé des débats. Tout d’abord, il apparaît clairement que « l’eau, l’énergie, l’agriculture et la finance » représentent les premiers besoins qu’il faut satisfaire pour les pays du sud.
Concernant l’UPM, le Délégué général de l’IPEMED a affirmé sa satisfaction de constater qu’après deux années de tension très forte entre tenants de la démarche fédéraliste d’un côté, et de l’approche intergouvernementale de l’autre, le conflit s’est apaisé : de son côté la Commission admet que certains apports de l’UPM sont à maintenir, tandis que les tenants de la démarche intergouvernementale considèrent désormais que l’on a aussi besoin de la Commission pour avancer en Méditerranée. Ainsi, on s’achemine vers des postures de synthèse, que l’on peut espérer plus opérationnelles.
Jean-Louis Guigou a également invité l’assemblée des participants à constater que lors des révolutions dans les pays arabes, il n’y a jamais eu de manifestions anti-occidentales. « Les Occidentaux peuvent trouver là de quoi se réjouir, car ces révolutions ne se sont pas faites contre eux, mais pour des valeurs universelles », a-t-il estimé.
Évoquant la question du financement des projets – les projets concrets étant la signature de l’UPM –, Jean-Louis Guigou a estimé qu’il ne fallait certes plus trop compter sur des fonds publics, et donc faire appel au privé, « mais pour cela, un traité de sécurisation des investissements est absolument nécessaire ».
Sur la question des délocalisations – que l’on pourrait peut-être plus pertinemment appeler multilocalisations, ou colocalisations – le Délégué général de l’IPEMED a mis en exergue « l’intelligente politique allemande de redistribution de sa capacité de production », avec les pays d’Europe centrale, après la chute du mur de Berlin… « Beaucoup d’entreprises ont externalisé une partie de leur production. Ce pari s’est avéré gagnant, car aujourd’hui l’Allemagne travaille à l’échelle d’un marché de 120 millions d’habitants, et 86 % de l’export allemand est importé d’un pays voisin. Ce que l’Allemagne a fait avec les pays de l’Est, nous devons le faire avec ceux du Sud, et avec ampleur. »
À propos l’hypothèse désormais régulièrement avancée de la pertinence d’un Plan Marshall pour le sud-Med, Jean-Louis Guigou s’est prononcé favorablement, estimant que cette « masse exigerait une gestion collective, et certaines conditionnalités, par exemple l’ouverture des frontières entre l’Algérie et le Maroc ».
Enfin, concernant la réforme prochaine de la politique agricole commune, Jean-Louis Guigou a posé le problème de son échelle : faut-il réfléchir à cette réforme au regard de 500 millions d’Européens, ou l’élargir aussi aux 500 millions d’habitants du sud méditerranéen, nos voisins, nos partenaires ?
La réponse semblait aller de soi…
© Alfred Mignot pour LeJMED.fr
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