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J.-F. Coustillière : « Le 5+5 est un processus expérimental plein de promesses »

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 28 avril 2012 | src.leJMed.fr
J.-F. Coustillière : « Le 5+5 est un processus expérimental plein de promesses »
Toulon -

Jean-François Coustillière, Consultant sur les questions euro-méditerranéennes, est un fervent défenseur de la réactivation et du renforcement du processus dit du « 5+5 », auquel participent cinq pays de la vie nord et cinq pays de la rive sud de la Méditerranée. Dans cet entretien avec la journaliste Agnès Levallois, spécialiste du monde arabe, l’ancien contre-amiral développe ses arguments en faveur de ce « processus expérimental plein de promesses mais fragile ».

Photo ci-dessus : Jean-François Coustillière, consultant international sur les questions euro-méditerranéennes. © Alfred Mignot - mai 2011



 Pourquoi cet intérêt pour le 5+5 aujourd’hui ?
 J.-F.C. - Aujourd’hui, l’Union européenne dispose de trois outils différents, qu’elle a elle-même proposés, pour organiser la coopération en Méditerranée : le Processus de Barcelone né en 1995 ; la politique européenne de voisinage (PEV) née en 2003 ; l’Union pour la Méditerranée (UpM) créée en 2008.

L’objectif final de ces entités est globalement le même, ne serait-ce que par la filiation qui existe entre elles : « transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité » (1). Mais, ces trois outils n’ont pas été en mesure d’atteindre les objectifs fixés et font aujourd’hui l’objet de défiance, au moins de la part des pays du Sud, quand ce n’est pas de tous, pour des raisons parfois contradictoires.

Si l’UpM est globalement rejetée et finalement en panne, et si la PEV peine à convaincre, le Processus de Barcelone, ou Partenariat Euromed, représente la démarche la moins critiquée, ainsi que le révélait la déclaration de conclusion de la Conférence des ministres des Affaires étrangères à Lisbonne, le 6 novembre 2007, qui confirmait l’attachement des partenaires au Processus. Cet attachement (2) au Processus y est solennellement rappelé, après que les signataires ont « pris note d’une présentation sur l’Union méditerranéenne », par les ministres qui effectuent un bilan très riche des actions entreprises dans le cadre du Processus de Barcelone.

Dans ce contexte assez peu favorable au développement des relations euro-méditerranéennes, encore accentué par la dégradation du dossier israélo-palestinien et les hésitations des Européens face à la succession des révoltes arabes, la démarche « 5+5 » qui se déploie loin du Proche-Orient et en pleine transparence avec l’UE, constitue une sorte de laboratoire au profit du Processus de Barcelone. Elle est susceptible de créer de la confiance et de contribuer à évaluer des pistes de coopération, certes dans un espace plus restreint que celui de la Méditerranée dans sa totalité, mais à l’abri des turbulences les plus fortes qui nuisent aux démarches globalisantes.



 Quels sont les atouts de cette enceinte, peut-on la qualifier d’informelle ?
 J.-F.C. -La démarche « 5+5 » est modeste et pragmatique. Elle concerne dix pays : Algérie, Espagne, France, Italie, Libye, Malte, Maroc, Mauritanie, Portugal et Tunisie.
Les membres du « 5+5 » partagent, du fait de leur proximité géographique mais aussi humaine, nombre de préoccupations qui souvent sont autant de défis. Faisant volontairement le choix de relations informelles, discrètes, pratiques, plus techniques que politiques et surtout réellement partenariales, la démarche recueille l’adhésion de chacun dans l’exigence de l’équité et réduit le soupçon d’agendas cachés.

Le « 5+5 » s’appuie sur une initiative diplomatique rassemblant les ministres des Affaires étrangères qui ont décidé en 1990 de se rencontrer pour entretenir une concertation ambitieuse qui va au-delà d’un simple dialogue et vise à développer une coopération à la fois politique et économique dans un cadre informel et non contraignant.
Dès 1995, cette démarche donne naissance à un premier « dossier technique » qui rassemble les ministres de l’Intérieur sur des questions de leur domaine d’intérêt. Par la suite, les autres ministères créeront leurs propres dossiers : Affaires sociales, Défense, Tourisme, Transport, Éducation, Environnement etc., tandis qu’un sommet sera organisé en 2003 à Tunis et que des rencontres parlementaires régulières s’établiront.

Ainsi, cette initiative prend des formes différentes selon les dossiers. Elle est souple et adaptable aux priorités de chaque domaine concerné. Non contraignante et focalisée sur les priorités des différents membres, elle recueille un attachement très fort de la part de chacun des partenaires car elle repose sur l’équité de traitement de leurs préoccupations. Cette relation de partenariat réellement respectueux des attentes de chacun constitue sans doute l’atout majeur.

Certes, cette exigence relationnelle entraîne des développements inégaux de chacun des dossiers en fonction des capacités des partenaires à identifier des intérêts communs suffisamment riches pour nourrir la coopération. Ainsi, par exemple, les dossiers Défense ou Transports sont certainement plus avancés que celui du tourisme… Mais ce qui est fait dans chacun des domaines est solide et pérenne, car reposant sur des choix effectués en commun.
De plus, la situation actuelle ne préjuge ni des potentialités des dossiers actuels à explorer de nouvelles pistes, ni la capacité de la démarche à s’ouvrir à de nouveaux domaines. C’est à ce titre – un réel partenariat équitable – que le « 5+5 » bénéficie d’une forte adhésion de la part de ses membres et est susceptible d’un développement prometteur dans la confiance et la volonté de progrès.



 Le changement de gouvernance dans certains pays a-t-il favorisé la reprise du dialogue ?
 J.-F.C. -Le changement de gouvernance dans certains pays n’a certainement pas conduit à renforcer l’intérêt porté aux dialogues avec l’UE. Bien au contraire, on peut redouter que ces dialogues soient désormais, aux yeux des peuples, fortement entachés par l’appréciation d’une complicité européenne avec les anciens dirigeants.

En revanche, dans ces mêmes pays il apparaît que la démarche « 5+5 » est mieux perçue que les autres initiatives, car elle est réputée non contraignante. Elle laisse aux partenaires la liberté de s’engager ou non, sans que des conditions même formelles ne soient mises en avant, ce qui est le plus souvent vécu comme humiliant. La coopération est débattue, organisée et conduite en concertation, normalement entre acteurs techniques, sans considération de politique internationale.

L’histoire de la démarche « 5+5 » n’est pas marquée par l’engagement personnel d’anciens chefs d’État ou de gouvernement, tels les présidents Ben Ali ou Moubarak. Les relations dans le cadre « 5+5 » sont donc plus aisées à reprendre par des dirigeants tenus d’intégrer dans leurs choix la très grande vigilance de leur opinion publique vis-à-vis des options prises par les anciens pouvoirs autoritaires qui ont été chassés. La reprise du dialogue « 5+5 » a donc certainement été privilégiée, par rapport à celle des autres initiatives.



 En quoi le « 5+5 » peut-il aider à l’intégration du Maghreb ?
 J.-F.C. -Le « 5+5 » a connu tout au long de l’année 2011 une période d’inactivité quasi complète. Quant à l’UMA (Union du Maghreb arabe), elle n’avait pas connu de réunion de ses ministres des Affaires étrangères depuis 2009.

Dès le début de 2012, il est très intéressant de constater que le « 5+5 » a vu se programmer de nombreuses réunions : celle des ministres des Transports à Alger, des ministres des Affaires étrangères à Rome, et enfin celle du comité directeur du dossier Défense à Rabat, tout ceci en moins de trois mois.

Dans le même temps, une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UMA s’est tenue à Rabat, où a été programmé un sommet à Tunis, en septembre-octobre prochains.

Cette corrélation confirme qu’il existe une certaine synergie entre les deux initiatives. Il n’est pas interdit d’imaginer que les rencontres régulières dans le cadre du « 5+5 » contribuent à renforcer les relations entre nos partenaires du Sud, ce qui rejoint les intérêts de l’UE.

Quoi qu’il en soit, et cela est particulièrement perceptible dans la coopération de Défense du « 5+5 », les relations entretenues et développées entre les dix partenaires contribuent à créer de la confiance entre les acteurs. Ces coopérations sur des axes techniques, choisis ensemble dans le respect des attentes de chacun, construisent peu à peu des solidarités et des proximités qui sont les gages de relations ultérieures plus larges et plus profondes.

D’ores et déjà, il semble qu’en Méditerranée occidentale certains fruits soient recueillis. Bien sûr il se trouvera des détracteurs pour stigmatiser la modestie des actions et les limites des ambitions. Sans doute, mais n’est-ce pas préférable à des ambitions débordantes, mais inévitablement gelées par la réalité des faits ?



 Quels sont aujourd’hui les sujets prioritaires du « 5+5 » ?
 J.-F.C. - Le « 5+5 » est un processus expérimental plein de promesses mais fragile. Il convient d’éviter de le dévoyer en adoptant des dispositions tant d’élargissement, de politisation que d’institutionnalisation qui ne pourraient conduire qu’à la disparition des raisons mêmes de son succès.

En revanche, il conviendrait sans doute, tout d’abord, de renforcer l’existant en approfondissant les dossiers déjà initiés par une recherche plus active d’actions d’intérêts communs, en promouvant dans chacun de ces dossiers des méthodologies de partenariat qui ont fait le succès des dossiers les plus avancés, et enfin en associant l’Union européenne comme observateur à tous les dossiers, ce qui permettrait peut être d’aider à la recherche de compléments de financement des projets. Au demeurant, il importe que ces financements restent majoritairement du ressort des partenaires car cette règle, si elle limite les ambitions, conditionne en grande partie la qualité de partenariat réel.

Par ailleurs, il serait souhaitable d’ouvrir de nouveaux dossiers. Probablement dans les domaines ministériels non encore traités : santé, économie, culture et surtout agriculture. Mais aussi à travers les aspects inter-administrations, tels la protection civile, qui constitueraient de nouveaux espaces de coopération particulièrement porteurs. Enfin, au-delà des responsabilités ministérielles, il serait certainement profitable de favoriser la coopération des sociétés civiles et des instances sub-étatiques, telles les collectivités locales, selon des modalités à imaginer.

La priorité qui doit conduire l’ensemble de la démarche doit bien évidemment s’inscrire dans le souci de rapprochement des sociétés pour, en définitive, favoriser l’amélioration des situations socioéconomiques, donc l’emploi et l’accès aux ressources vitales (eau, alimentation…), conditions évidentes de la prospérité et de la paix. C’est pourquoi le dossier éducation qui couvre notamment la formation professionnelle mériterait toutes les attentions.

C’est à ce titre que le « 5+5 » remplira au mieux son rôle de laboratoire de la coopération euro-méditerranéenne de l’avenir.

Toulon, le 19 avril 2012

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1 - Déclaration UpM du 13 juillet 2008
2 - « Les ministres soulignent également que, s’il est vrai que le Processus de Barcelone pourrait être enrichi par d’autres initiatives visant à renforcer les liens politiques, économiques et culturels entre les pays euro-méditerranéens, il faut néanmoins insister sur le fort attachement de tous les partenaires à l’égard du Processus de Barcelone, dont ils réaffirment qu’il est au coeur des relations de l’UE avec les pays méditerranéens » - in les conclusions de la 9e réunion Euromed.

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Du même auteur :
 « Le 5 + 5 face aux défis du réveil arabe » : le retour à une géopolitique de la proximité en Méditerranée ? (25 février 2012)

 Relancer le « 5+5 Défense » pour appuyer la transition de nos partenaires sud-Med (19 juin 2011)

 Pour une refondation des relations euromed, qui tienne compte des révolutions en cours (2 mai 2011)

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