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Ilyes ZOUARI, Président du CERMF : « Le monde francophone est le parent pauvre de l’aide publique française au développement ! » (1/2)

20 novembre 2021
Ilyes ZOUARI, Président du CERMF : « Le monde francophone est le parent pauvre de l'aide publique française au développement ! » (1/2)
Contrairement à une idée largement répandue, le monde francophone ne bénéficie que d’une partie très minoritaire des aides publiques françaises au développement, tandis que les pays est-européens se taillent la part du lion. Comment expliquer une politique si peu francophile, contraire aux intérêts de la France, particulièrement en Afrique ?

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Une contribution d’Ilyes ZOUARI
Président du CERMF

Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone

Selon les dernières données disponibles auprès de la Commission européenne et de l’OCDE (voir *** à la fin du texte) après détermination de la contribution nette de la France au budget de l’Union européenne (UE) et après imputation des aides multilatérales pour les pays situés en dehors de l’UE, la part du monde francophone dans les aides publiques françaises au développement peut être estimée à environ 20,5 % en 2019, soit un montant d’environ 3,8 milliards d’euros. Un niveau se situant loin derrière celui de l’UE, dont la part s’est établie à 41,4 % (ou 7,7 Mds d’euros), et essentiellement au bénéfice des 13 pays de sa partie orientale et de leurs 114 millions d’habitants seulement, début 2019.

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Une politique peu francophonophile

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Les 27 pays francophones du Sud, et leurs 425 millions d’habitants début 2019, presque entièrement situés sur le continent africain, ont donc continué à ne bénéficier que d’une faible partie des aides françaises au développement, leur part oscillant généralement entre 15 et 20 % de l’enveloppe globale, avec une moyenne d’environ 17,4 % sur la période de cinq années 2015-2019 (soit environ 2,9 milliards d’euros en moyenne annuelle, aides multilatérales et bilatérales confondues).

Un chiffre qui constitue une estimation, à quelques décimales près, compte tenu de l’existence d’un certain nombre de dépenses ne faisant pas l’objet d’une répartition précise pour les pays bénéficiaires non membres de l’UE, et concernant notamment les étudiants étrangers, les demandeurs d’« asile » et les frais administratifs (qui sont alors répartis approximativement en fonction des données disponibles sur le poids de la présence francophone dans ces différentes catégories de dépenses).

Par ailleurs, cette estimation ne tient pas compte des aides destinées à Wallis-et-Futuna, archipel du Pacifique Sud comptabilisé par le gouvernement français et l’OCDE, mais ne pouvant pourtant être pris en considération puisqu’il s’agit d’un territoire français.

À l’inverse de l’espace francophone, l’UE continue donc à s’accaparer la part du lion, avec une part se situant en général à plus de 40 % de l’effort financier de la France, et ayant même parfois dépassé la barre des 50 %.

Sur la période 2015-2019, cette part s’est établie à 43,1 %, soit 7,2 Mds d’euros en moyenne annuelle. Ainsi, l’UE s’accapare chaque année l’écrasante majorité des dix premières places des principaux pays bénéficiaires des aides françaises au développement.

En 2019, sept des dix premières places étaient donc occupées par des pays membres de l’UE, contre seulement deux pour le monde francophone – le Cameroun, premier pays francophone, n’arrivant qu’en septième position. Trois ans plus tôt, en 2016, neuf des dix premières places étaient occupées par des pays de l’UE, contre aucune pour le monde francophone (le Maroc, alors premier bénéficiaire francophone, n’arrivant qu’en onzième position).

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Par conséquent, force est de constater que les 13 pays situés dans la partie orientale de l’UE (des pays baltes au nord à Chypre au sud, et que l’on appellera UE-13) ont bénéficié en 2019 d’un effort financier environ 1,8 fois plus important que l’ensemble des 27 pays francophones du Sud (soit environ 6,7 Mds d’euros, frais administratifs inclus), en dépit d’une population près de 4 fois inférieure début 2019 (et répartie sur un espace 11 fois moins vaste), soit un volume d’aide par habitant environ 6,5 fois supérieur.

Des aides publiques qui sont, de surcroît, octroyées à des conditions plus favorables aux pays de l’UE-13, car intégralement sous forme de dons (un sixième étant remboursable pour les pays francophones) et non assorties de la moindre condition, directe ou indirecte, ni même ponctuelle, en matière d’attribution de marchés.

Ainsi, et bien que peuplée de seulement 1,3 million d’habitants, l’Estonie a reçu en 2019 une aide française au développement de 166,6 millions d’euros, soit largement davantage (+ 77 %) que l’aide reçue par le Congo-Kinshasa (93,9 millions), qui n’est autre que le premier pays francophone du monde avec ses 85,7 millions d’habitants début 2019, et dont la capitale Kinshasa est désormais la plus grande des villes francophones avec ses 15 millions d’habitants (et ne cessant de creuser l’écart avec Paris, 11 millions d’habitants).

En d’autres termes, le montant de l’aide française par habitant reçue par ce petit pays balte a été non moins de 115 fois supérieure à celle reçue par le Congo-Kinshasa (ou République démocratique du Congo, RDC), soit 125,7 euros par habitant contre seulement 1,1 euro.

Autre exemple frappant, le Maroc, un des plus grands et sincères amis de la France, et modèle de développement et de bonne gouvernance pour le monde arabe et le continent africain, a reçu une aide de 243 millions d’euros, soit bien moins que la Pologne à laquelle a été octroyée une somme de 2,103 Mds d’euros. Et ce, pour une population à peu près égale (38 millions contre 36 début 2019 pour le royaume chérifien, qui la dépassera bientôt), et en dépit d’une politique économique et étrangère souvent contraire aux intérêts français.

Des écarts considérables que confirment d’ailleurs les moyennes des aides reçues sur la période de cinq années 2015-2019, la Pologne ayant bénéficié d’une enveloppe annuelle de 1,748 Md d’euros en moyenne, contre seulement 0,288 Md pour la Maroc. Quant à l’Estonie et la RDC, la première s’est vue allouer une aide annuelle moyenne de 96 millions d’euros, contre seulement 109 millions d’euros pour le Congo-Kinshasa. Des moyennes qui permettent d’ailleurs de constater une dégradation récente de la situation, et non l’inverse…

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Certes, et outre le fait que les montants indiqués pour ces deux derniers pays francophones soient légèrement sous-évalués (car s’y ajoutent un certain nombre d’aides versées à des étudiants et demandeurs d’asile, et n’ayant pas fait l’objet d’une répartition précise par pays), il convient de rappeler que les aides françaises au développement ne constituent pas les seuls flux financiers en provenance de France, puisque doivent être également pris en compte les flux en provenance des diasporas francophones vivant dans l’Hexagone, ainsi que les investissements réalisés par les entreprises françaises dans les pays francophones.

Toutefois, et à l’exception du Maroc et de la Tunisie (qui comptent une importante diaspora en France et accueillent de nombreuses entreprises tricolores qui y ont créé des dizaines de milliers d’emplois, directs et indirects, et paient de nombreux impôts, sous différentes formes), la prise en compte de ces flux supplémentaires ne change rien au fait que les transferts reçus par les pays francophones demeurent très en deçà de ceux reçus, par habitant, par chacun des 13 pays d’Europe orientale membres de l’UE, et qui comptent d’ailleurs également des ressortissants en France et reçoivent divers investissements français).

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Une politique irrationnelle et contraire
aux intérêts de la France

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Cette politique d’aide au développement est contraire à toute logique économique ou géopolitique. D’un point de vue économique, d’abord parce que les pays de l’UE-13 s’orientent principalement et historiquement vers l’Allemagne, qui arrive très largement en tête des pays fournisseurs de la zone, avec une part de marché d’environ 20 % chaque année (19,5 % en 2019), contre toujours moins de 4 % pour la France, dont les aides massives reviennent donc quasiment à subventionner les exportations allemandes. Une politique que l’on pourrait résumer par la célèbre expression « travailler pour le roi de Prusse », qui semble être désormais la doctrine de la politique étrangère de la France.…

Ensuite, parce que toutes les études économiques démontrent que les échanges peuvent être bien plus importants entre pays et peuples partageant une même langue. À ce sujet, un seul exemple suffit à prouver l’impact économique du lien linguistique : les touristes québécois sont proportionnellement quatre fois plus nombreux que les touristes américains à venir chaque année en France… et à y dépenser.

En d’autres termes, toute richesse générée dans un pays francophone au profit de l’économie locale finit par être intégrée en bonne partie au circuit économique d’autres pays francophones, et ce, en vertu d’un mécanisme semblable à celui des vases communicants. D’où le concept de « zone de coprospérité », qui est d’ailleurs une des traductions possibles du terme Commonwealth.

Ce lien linguistique explique également en bonne partie la position globalement encore assez bonne de la France en Afrique francophone, dont elle demeure le second fournisseur en dépit d’un certain manque d’intérêt, avec une part de marché globale estimée à 11,5 % en 2019, derrière la Chine, 15,6 %. Une part largement supérieure à celle de l’Allemagne, estimée à 3,9 %, et qui arrive même derrière l’Espagne (7,3 % et troisième fournisseur), l’Italie et les États-Unis (5,5 % respectivement).

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Enfin, parce que c’est dans cette même Afrique francophone qu’il convient d’investir massivement, d’une part afin de tirer pleinement profit des opportunités et du dynamisme que l’on trouve dans ce vaste ensemble de 25 pays, partie globalement la plus dynamique économiquement du continent et un de principaux relais de la croissance mondiale, et d’autre part car c’est bien en accélérant l’émergence économique de cet ensemble qu’augmentera encore plus fortement le nombre d’apprenants du français à travers le monde, et ce, au bénéfice économique et géopolitique de la France, mais aussi au bénéfice de tous les pays francophones du monde.

Et pour ce qui est du niveau géopolitique, justement, le caractère irrationnel de la politique française d’aide au développement s’explique également par le fait que l’écrasante majorité des pays de l’UE, malgré les aides massives versées chaque année par l’Hexagone, vote régulièrement contre les positions françaises au sein des grandes instances internationales, et ce, au profit des États-Unis et contrairement à la majorité des pays francophones qui partage avec la France nombre de valeurs et d’orientations communes en matière de politique étrangère, et dont il convient alors d’accroître le poids.

Ainsi, l’intérêt pour la France de consacrer une part aussi importante de ses aides et de son énergie aux pays de l’UE-13 se révèle donc extrêmement marginal, en comparaison avec les avantages économiques et géopolitiques qu’elle tirerait d’une nouvelle répartition plus favorable aux pays du monde francophone.

En d’autres termes, la prépondérance européenne dans les aides françaises au développement ne fait incontestablement qu’affaiblir la France au niveau international, tant économiquement que géopolitiquement – les deux étant d’ailleurs, à terme, étroitement liés.

Certes, la France est une grande puissance mondiale, la deuxième ou troisième tous critères de puissance confondus (capacités militaires, économie, technologie, influence géopolitique et culturelle, territoire maritime…). Des critères qui doivent d’ailleurs toujours être pris en compte dans leur ensemble afin de pouvoir correctement apprécier le poids d’un pays (tout comme l’on compare toujours les élèves d’une même classe sur l’ensemble des matières étudiées, et non sur une seule d’entre elles).

La France est territorialement présente sur quatre continents et militairement sur cinq continents, notamment grâce aux « DOM-TOM » – ce qui n’est pas le cas de la Russie, par exemple. Grâce à sa vaste zone économique exclusive (ZEE), la seconde plus vaste au monde avec des 10,2 millions de km2, elle compte non moins de 34 pays frontaliers à travers la planète (dont 23 uniquement par mer), ce qui constitue un record mondial, devant le Royaume-Uni (25 pays) et les États-Unis (18 pays).

En tant que puissance mondiale, la France se doit donc d’être financièrement présente sur tous les continents, y compris en Europe. Mais afin de consolider ce statut, la France doit privilégier le vaste monde francophone, où le retour sur investissement est bien supérieur, à travers les grandes opportunités économiques qu’il présente désormais, et grâce à sa contribution considérable à l’augmentation du nombre d’apprenants du français à travers le monde, du fait de sa double émergence démographique et économique (le monde francophone venant d’ailleurs de dépasser démographiquement l’ensemble UE - Royaume-Uni, avec une population estimée à 524 millions d’habitants début 2021, contre 514 millions, et ayant dépassé quelques années plus tôt l’espace hispanophone, 470 millions d’habitants).

Occasion de rappeler, au passage, que l’espace francophone est près de quatre fois plus vaste que l’UE tout entière, contrairement à ce qu’indiquent la plupart des cartes géographiques en circulation, qui en divisent la superficie par deux ou par trois). La langue étant le principal vecteur d’influence culturelle, avec, in fine, d’importantes répercussions économiques et géopolitiques, la France doit donc investir prioritairement dans son espace linguistique afin d’amplifier la progression de la langue française dans le monde, aussi bien au bénéfice de ses propres intérêts que de ceux de l’ensemble des pays et peuples francophones du monde.

……

*** Voici deux liens relatifs aux sources statistiques, l’un concernant l’OCDE (pour les aides hors UE) et l’autre concernant l’UE :

1.
https://stats.oecd.org/viewhtml.aspx?datasetcode=TABLE2A&lang=fr

Comme j’ai pu le constater, le Sénat se base chaque année sur les données de l’OCDE afin de déterminer les 10 premiers pays bénéficiaires de l’APD française (hors UE), aides bilaterales et multilaterales confondues.

Un classement qui figure chaque année dans le projet de loi de finances pour l’année suivante, qui paraît autour du 20 novembre – le Sénat qui, et sans rentrer dans les détails, fait un meilleur travail sur ce sujet que l’Assemblée...

Il convient de rappeler au passage que l’acronyme APD sert officiellement à désigner uniquement les pays pauvres ou à revenu intermédiaire, et non membres de l’UE. Pourtant, nos aides versées aux pays bénéficiaires nets de l’UE sont bien des aides au développement économique de ces pays... et de surcroît dans des conditions bien plus favorables, comme je l’indique dans le rapport.

Marche à suivre, identique à celle du Sénat : choisir le pays (France), prix courants, puis deux tableaux en fonction de la sous-catégorie choisie : APD:Total net pour les aides bilatérales et APD multilatérale imputée. Par la suite, un taux de change est appliqué pour convertir ces dollars en euros (taux disponible ailleurs sur le site de l’OCDE).

Les données de ces 2 tableaux donneront déjà une certaine idée, car il reste par la suite à répartir, comme indiqué dans le rapport du CERMF, un certain nombre de dépenses non réparties par pays. C’est un travail qui doit être fait afin de pouvoir établir, à quelques décimales près, la part du monde francophone dans sa globalité (parmi ces dépenses, sont comptabilisés des frais administratifs et des aides versées au réfugiés et demandeurs d’asile. La comptabilisation de cette dernière catégorie est d’ailleurs au moins partiellement contestable).

Par ailleurs, le total des sommes de ces deux tableaux doit être légèrement ajusté pour tenir compte de la nouvelle méthode choisie par l’OCDE (l’APD équivalent-don), et dont le total sert également de base au Sénat. (Voir https://stats.oecd.org/Index.aspx?datasetcode=TABLE1&lang=fr). Notre dernier rapport sur le sujet tient également compte de ces ajustements.

2.
https://ec.europa.eu/info/strategy/eu-budget/long-term-eu-budget/2014-2020/spending-and-revenue_en

C’est à partir de ce lien (et des deux onglets spending et revenue que l’on peut déterminer la contribution nette de la France au budget de l’UE, et la part reçue par chacun des pays bénéficiaires nets du budget de l’UE (à partir de ce lien, donc après établissement de différents tableaux de calculs statistiques).

Là aussi, et comme pour les aides pour les pays francophones, une grande partie des frais administratifs ne sont pas répartis pays par pays, et ne sont donc pas pris en compte dans le classement des pays bénéficiaires. En revanche, ils sont comptabilisés pour le calcul de la contribution nette totale de la France à l’UE, ainsi que pour le calcul de la part globale du bloc des 13 pays de l’UE orientale, selon une estimation faite par le CERMF.

Vous noterez au passage que cette page est uniquement en anglais, aberration qu’un simple claquement de doigts pourrait effacer...

……

SUITE DE L’ARTICLE (2/2)

– Ilyes ZOUARI, Président du CERMF : « L’Afrique francophone subsaharienne est un espace de plus en plus propice à l’investissement »

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