Ilyes ZOUARI Président du CERMF : « La prudence s’impose avant l’adoption d’une éventuelle monnaie ouest-africaine, en particulier vis-à-vis du Nigeria » (4/4)
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Si la réduction significative des barrières douanières et la mise en place d’une quasi-zone de libre-échange à l’échelle continentale demeurent un élément favorable, à terme, au développement des pays du continent, ceux-ci doivent toutefois et parallèlement poursuivre leurs réformes économiques afin de tirer pleinement profit de l’ouverture des différents marchés africains.
Des réformes qui ont d’ailleurs déjà été nombreuses dans la majorité des pays francophones, et en particulier dans ceux d’Afrique de l’Ouest, membres de la zone UEMOA. Mais ces derniers, et afin de conserver les bénéfices de leurs efforts, devront faire preuve à l’avenir de la plus grande prudence avant d’adhérer à une éventuelle monnaie unique couvrant l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, et ne pas agir avec précipitation.
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Vers la fin annoncée
du franc CFA
Vers la fin annoncée
du franc CFA
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En attendant, les pays de zone UEMOA doivent déjà prochainement sortir du franc CFA pour le remplacer par une nouvelle monnaie plus indépendante de la France, qui en resterait la garante. Une importante réforme qui comprend, entre autres, la fin de l’obligation historique et souvent critiquée de centraliser en France 50 % des réserves en devises des pays de la zone – ce qui n’était pourtant qu’une question technique, n’en déplaise à certains qui le reconnaissent indirectement aujourd’hui en minimisant l’importance de la réforme, et dont l’abandon, déjà ratifié par la France, ne modifiera pas les capacités financières des pays de l’espace UEMOA, mais permettra par contre à la France de ne plus avoir à verser des intérêts à des taux souvent supérieurs à ceux dont elle peut bénéficier sur les marchés internationaux.
Une fois cette réforme effectuée, et même si la création ultérieure d’une monnaie unique ouest-africaine prendra encore de nombreuses années, principalement du fait de l’impréparation des pays non membres de l’UEMOA (pays anglophones, Cap-Vert et Guinée) qui sont loin de remplir les critères de convergence, faute d’être habitués, à l’inverse de leurs voisins francophones, aux principes de discipline budgétaire et monétaire qu’impose l’adoption d’une monnaie unique (ce qui explique le report permanent de la création d’un Eco ouest-africain depuis déjà quelques décennies), les pays francophones de l’UEMOA, devront faire preuve d’une approche purement rationnelle et non « affective » lorsque les autres pays de la région seront prêts à adhérer à une monnaie unique (et dont le cours sera probablement déterminé en fonction d’un panier de devises pour aboutir à un taux de change flexible, ce qui constitue une solution préférable à long terme pour l’ensemble des pays de la région, même si de nombreux pays dans le monde ont aujourd’hui une monnaie arrimée à une autre devise, y compris en Afrique non francophone).
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La problématique de l’éventuelle
adhésion du Nigeria à l’Eco
La problématique de l’éventuelle
adhésion du Nigeria à l’Eco
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Une réflexion qui s’imposera notamment lorsqu’il s’agira d’examiner une éventuelle adhésion du Nigeria, dont le poids démographique, d’une part, et les graves difficultés économiques, d’autre part, sont probablement incompatibles avec les intérêts des autres pays de la région, qu’ils soient francophones, lusophones ou anglophones (comme le Ghana, par exemple).
En effet, et bien qu’en voie d’appauvrissement, le Nigeria continuera tout de même à peser assez lourdement en Afrique de l’Ouest du simple fait de son poids démographique (et, in fine, économique). Une adhésion de sa part à une monnaie ouest-africaine représenterait ainsi une grave menace pour la souveraineté de l’ensemble des pays de la région, dont l’influence sur la gestion de cette monnaie supranationale pourrait être limitée.
La fermeture récente, à la de fin 2019, des frontières du Nigeria aux marchandises venant des pays frontaliers de la CEDEAO, sans concertation préalable et en dehors des règles mêmes de l’organisation, était d’ailleurs assez révélatrice de ce que pourrait être l’attitude du pays dans le cadre de la gestion d’une monnaie commune ouest-africaine (qui aurait probablement pour principal objectif de servir avant tout les intérêts du Nigeria).
À cela, s’ajoutent donc les graves difficultés structurelles auxquelles fait face le Nigeria, qui connaît une croissance économique très faible depuis plusieurs années (largement inférieure à sa croissance démographique, contrairement aux pays francophones frontaliers), une inflation assez forte (11,6 % en moyenne annuelle sur les huit années de la période 2012-2019, soit à peu près comme le Ghana, 11,9 %, mais très largement au-dessus de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, respectivement 0,8 % et 0,7 %), une monnaie ayant perdu près de 60 % de sa valeur face au dollar depuis 2014 (et plus de 99 % de sa valeur depuis sa création en 1973, lorsque la livre sterling valait 2 nairas, contre 530 au 15 février 2021), et dont 94 % des exportations reposent encore aujourd’hui sur le pétrole et le gaz (le pays n’étant toujours pas parvenu, plus de soixante ans après son indépendance, à diversifier son économie et à mettre en place un tissu industriel capable d’exporter).
L’intégration d’une économie en aussi mauvaise santé et en déclin comme celle du Nigeria à une monnaie ouest-africaine semble être incontestablement de nature à déstabiliser profondément les économies de tous les autres pays qui partageraient cette même monnaie, à travers une importante perte de valeur de celle-ci, accompagnée, de surcroît, d’une politique monétaire plus adaptée à un pays en crise (le Nigeria, par son poids démographique et donc économique, dictant probablement en grande partie cette politique), et ne correspondant donc pas aux besoins des pays dynamiques de la région. À commencer par ceux de l’UEMOA, zone la plus dynamique d’Afrique de l’Ouest et de l’ensemble du continent, qui verraient ainsi leur dynamisme baisser significativement et assez rapidement.
Par ailleurs, le déclin économique du Nigeria est de nature, à terme, à accroître considérablement l’émigration de Nigérians, en quête d’une vie meilleure, vers des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, et en particulier vers la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Sénégal, le Cameroun et le Gabon.
Des pays qui devront alors faire face à ce qui pourrait être un véritable choc migratoire, compte tenu de la population du Nigeria, et, pour l’Afrique de l’Ouest, des règles de la CEDEAO qui prévoient la liberté de circulation et de résidence pour les ressortissants des pays membres.
Mais si l’intégration du Nigeria à une zone monétaire ouest-africaine mérite réflexion (sachant d’ailleurs que la zone UEMOA représente déjà un vaste territoire et un vaste marché), celle d’un pays comme le Ghana semble à l’inverse bien plus compatible.
En effet, et même si le Ghana est un important producteur d’or et de pétrole, très dépendant du cours de ces deux matières premières (qui représentent plus des deux tiers de ses exportations, à peu près à part égales), et qu’il souffre d’une assez forte inflation et d’un niveau élevé d’endettement, celui-ci a toutefois le double avantage d’avoir une population comparable en nombre à celle d’autres pays de la région, et de faire partie des rares pays dont l’économie peut s’appuyer sur deux richesses naturelles dont les cours évoluent souvent de manière opposée (la baisse du prix de l’une étant plus ou moins compensée par la hausse du cours de l’autre).
Chose qui contribue à la stabilité du Ghana, qui, et en dépit de taux de croissance parfois assez faibles, n’a jamais enregistré de croissance négative au cours des dix dernières années.
L’enthousiasme manifesté par le président ghanéen, à la fin de 2019, lorsqu’il avait annoncé sa volonté de rejoindre au plus vite les pays de la zone UEMOA dans leur projet de création d’une nouvelle monnaie unique devant se substituer au franc CFA, témoigne d’ailleurs de la proximité et de la compatibilité du pays avec ces voisins.
Mais le président ghanéen avait dû ensuite rapidement revenir sur ses propos, non pas au nom des intérêts de son pays (qui bénéficierait grandement d’un rapprochement avec l’espace UEMOA, compte tenu de ses difficultés), mais à la suite des pressions exercées par le Nigeria, et dictées par les intérêts de ce dernier.
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