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Hugues PARANT, DG de l’EPA Euromed : « En Europe, Marseille a une carte unique à jouer avec l’Afrique… qu’il faut aimer, ou ne pas s’en occuper ! »

15 mai 2020
Hugues PARANT, DG de l'EPA Euromed : « En Europe, Marseille a une carte unique à jouer avec l'Afrique… qu'il faut aimer, ou ne pas s'en occuper ! »
Orateur de la visioconférence AfricaLink de mardi 12 mai, Hugues PARANT, DG de l’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée de Marseille, a traité du thème de la ville africaine. Une intervention passionnante, axée sur trois mots-clés : l’histoire de l’Afrique ; le défi de l’urbanisation ; le rôle légitime à intensifier de la métropole Aix-Marseille.

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Un article d’Alfred MIGNOT, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica

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« Je ne suis pas professeur d’Afrique, ni d’ailleurs d’aménagement ! » C’est ainsi que Hugues PARANT a démarré son propos. Mais en fait, ce « non-professeur » qui revendique en revanche et en toute légitimité une relation personnelle avec l’Afrique – il a vécu une partie de son enfance à Abidjan et n’a cessé depuis de fréquenter le Continent –, a livré à l’auditoire d’une cinquantaine de dirigeants membres de l’association Afrikalink que préside Yves Delafon un condensé des clés pour une perception sensible de l’Afrique, remettant en mémoire des réalités souvent oubliées ou occultées, bien différentes des clichés communément colportés ici et là…

La profondeur historique méconnue de l’Afrique

Exemple de lieu commun insignifiant mais très répandu, que relève Hugues Parant : « On a beaucoup tendance à globaliser l’Afrique, à parler des Africains, mais cela n’a pas de sens ! L’Afrique est aussi diverse que l’Europe. Et l’Afrique d’avant l’arrivée des Européens a une très longue histoire. »

La première clé qu’il nous livre est donc celle de la profondeur historique de l’Afrique. Car tout comme l’Amérique précolombienne, l’Afrique précoloniale – contrairement au propos du calamiteux discours de Dakar de Nicolas Sarkozy – a existé pleinement, avec des royaumes séculaires très organisés, administrés sur des étendues considérables : au XIe siècle par exemple, l’émirat almoravide dont Marrakech était la capitale, fut un empire eurafricain qui s’étendait des rives du fleuve Sénégal jusqu’au centre de la péninsule Ibérique, et du littoral atlantique marocain jusqu’à Alger puis, au XVIIe siècle, le Maroc saadien s’étendait de la Méditerranée jusqu’au fleuve Niger, incluant l’ancien empire Songhaï du Mali.

En Afrique subsaharienne aussi, de nombreux royaumes et empires, très présents encore dans les mémoires collectives, ont existé. L’empire du Ghana, par exemple, a duré mille ans, de l’an 300 à l’an 1300… et l’on citera encore l’empire du Mali, qui fut dès le XIIe siècle le premier État structuré d’Afrique occidentale, s’étendant de l’Atlantique au lac Tchad.

Dans cette Afrique d’avant l’irruption européenne, les capitales des royaumes se trouvent toujours à l’intérieur des terres, jamais en bord de mer. Ce sont les Occidentaux qui, depuis un siècle ou deux seulement, ont créé les grands ports, des comptoirs devenus des villes portuaires, attirant à elles de nouvelles populations. Et ce fait urbain relativement récent s’avère très perturbant, il est à l’origine de l’empreinte de deux référents historiques – la terre, l’océan ; l’avant, l’après – qui se concurrencent dans les imaginaires collectifs.

Euromed et l’Afrique : un non-modèle,
mais inspirant… et réciproquement

En sa qualité de DG de l’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée de Marseille (EPA Euromed) – qui est le plus grand chantier urbain d’Europe –, mais aussi d’ancien DG de l’EPA de Paris-La Défense, Hugues Parant a livré un éclairage d’expert sur la question de l’aménagement de ville africaine, thème dont on se rappelle qu’il devait structurer les débats du sommet Afrique-France de juin prochain, avant le report de celui-ci à une date inconnue, à cause de la pandémie.

Après le chantier Euromed 1, débuté en 1995 sur 310 hectares, la nouvelle étape Euromed 2 (170 ha) « nous amène à inventer – dans un sud français qui présente certes ses singularités, mais qui nous rapproche beaucoup de l’Afrique –, un projet innovant qui tient compte des perspectives les plus modernes, de toutes les avancées technologiques. Or, de leur côté, les Africains sont très présents sur ces avancées technologiques. D’où l’idée que le projet Euroméditerranée pourrait servir non pas de modèle, mais de cas inspirant, et que nous-mêmes puissions nous inspirer de ce qui se passe parfois en Afrique. Je pense par exemple à la question du choix des matériaux de construction, tout autant qu’au vivre ensemble. Ce sont des choses qui sont aujourd’hui dans notre ADN et que nous allons continuer à travailler. »

Une vue partielle des participants à la visioconférence organisée par AfricaLink, mardi 12 mai 2020, avec la participation de Hugues Parant, DG de l’EPA Euroméditerranée de Marseille. © AM/AP.P

Les paradigmes de l’urbanisation des Afriques…

Hugues Parant passe ensuite en revue les caractéristiques de l’essor démographique et urbain de l’Afrique…
En 2050, pratiquement 50 % d’une population africaine de quelque 2,5 milliards de personnes auront moins de 25 ans. Cette formidable jeunesse du Continent est bien sûr un élément primordial à prendre en compte dans une réflexion sur la question des villes. Un autre élément est que la convergence vers les villes est un mouvement assez récent, qui s’est développé à partir des années 1960-1980, mais qui va encore s’amplifier avec la croissance démographique. Des mégalopoles comme Lagos, au Nigeria, ou Le Caire, avec quelque 25 millions d’habitants, représentent déjà la moitié de la population de l’Espagne, et le double de celle de la Belgique !

Le fait urbain en Afrique est donc devenu très prégnant, il croît plus vite encore que l’expansion démographique. Phénomène endogène, il s’est doublé depuis cinq à dix ans d’un mouvement migratoire issu des campagnes, car le réchauffement climatique rompt le fragile équilibre des économies vivrières ancestrales, provoquant ainsi un surcroît des migrations vers les villes, alors même que celles-ci sont déjà en phase de démographie galopante.
« Ainsi en 2050 Lagos sera aussi peuplée que toute l’Espagne, et Le Caire également. Dans trente ans à peine… On peut imaginer le potentiel de violence, de dérèglements, voire de chaos dont un tel phénomène peut être porteur », relève le DG de l’EPA Euromed.

« S’intéresser à la ville africaine, ce n’est donc pas seulement essayer d’apporter une coopération technique. C’est beaucoup plus vital, pour l’avenir du Continent, mais aussi de l’Europe, car faut-il le rappeler, ces phénomènes se produisent à 500 kilomètres de nos côtes méditerranéennes et à 3 kilomètres des côtes espagnoles.
Nous sommes ainsi face à un continent incroyablement prometteur et aussi potentiellement incroyablement dangereux. Il faut que l’on en saisisse à la fois les capacités de coopération et en même temps toutes les contraintes qu’elles vont nous poser. Parmi ces dernières, il y en a une qui résulte notamment de l’exode rural. Comme cela s’est passé en Angleterre ou en France, quand les gens partent de chez eux parce que leurs ressources traditionnelles ne suffisent plus pour vivre, ils sont plus pauvres en arrivant en ville qu’ils ne l’étaient auparavant. »
Donc, c’est le champ absolument libre laissé à ce que l’on appelle l’urbanisation et l’économie informelles, venues tout droit de leur tradition très rurale. »

Une autre singularité africaine que signale l’ancien préfet est qu’aujourd’hui encore, dans certains pays, les chefs de village ainsi que les maires des villes peuvent attribuer un terrain à une famille et celle-ci, petit à petit, année après année, construit sa case…

Comment aborder l’élaboration d’une offre
adaptée aux réalités africaines ?

« Il faut s’adapter aux réalités, bien comprendre qu’on ne peut pas plaquer à Abidjan ou ailleurs nos propres schémas d’urbanisation, poursuit Hugues Parant. Il convient donc avant tout de bien comprendre les besoins qui sont les leurs et ne pas aller au-delà de ces besoins. Leur premier impératif est de construire pour loger les populations, pas pour faire du bureau.

Leur deuxième contrainte, c’est que les gens pour lesquels ils construisent ou voudraient construire n’ont presque jamais les moyens de payer.
Une troisième contrainte est que nos schémas – notre chaîne de création de la ville, de l’aménageur jusqu’aux promoteurs qui livrent –, ne sont pas efficients en Afrique, soit parce qu’il n’y a pas ce type de conscience et de métiers, soit parce que les Africains ne sont pas éligibles à l’accession à la propriété d’immeubles déjà construits. »

La montée en puissance des collectivités locales est un autre point à considérer. Elles sont en train de prendre des responsabilités nouvelles aux côtés des gouvernements qui auparavant décidaient seuls de la création de quartiers ou de villes nouvelles.
« La réalité c’est qu’aujourd’hui, on voit de plus en plus un partage du pouvoir de décision pour la création de ville ou de zones urbaines », remarque Hugues Parant.

D’autre part, argumente-t-il, il convient d’avoir présent à l’esprit que les besoins exprimés par les Africains peuvent être satisfaits par des gens capables de réaliser des villes un peu comme l’imaginent aujourd’hui encore certaines élites, c’est-à-dire des villes « plaquées », moins chères, construites vite et finalement ne tenant pas compte de la façon dont vivent les populations africaines. Ce sont souvent des Chinois, ou des Turcs, qui proposent ces villes clés en mains.

« L’offre européenne – je dis volontairement européenne, et donc notamment française –, doit se différencier de cela : par notre compréhension de ce que la ville africaine ne peut pas évoluer par plaquage d’un schéma chinois ou européen ; deuxièmement, avec des solutions qui adressent une partie des problèmes, mais pas tous ; troisièmement, en incitant à des décisions prises plutôt à l’échelle d’une conurbation qu’au niveau d’un président de République, donc en s’appuyant sur les maires et les élus des villes. »

Et Hugues Parant de préciser encore : « L’offre doit être assez globale, incluant l’ensemble des solutions qui intéressent directement les habitants. Aujourd’hui en effet, seuls 25-30 % maximum des Africains ont accès à l’ensemble des fournitures d’électricité, d’eau, des services d’assainissement, de gestion des déchets, etc. Il faut bien sûr proposer la solution à ces problèmes-là, c’est la base. Ensuite, il faut proposer du logement… mais comment le financer pour des populations démunies ? Un problème insoluble… sauf à imaginer un étalement du financement sur plusieurs générations, et non pas sur une vingtaine d’années, comme c’est l’usage en Europe. »

Un processus de co-construction
intégrant le paramètre de l’informel

Intégrer la dimension informelle de la ville africaine semble une autre clé d’approche mise en avant par le DG de l’EPA Euromed. Car « la ville plaquée élimine la ville informelle – et c’est d’ailleurs pourquoi elle n’est pas, ou mal, habitée » relève Hugues Parant.
C’est cette sensibilité aux réalités de l’informel, connues à un moindre degré mais « évidentes » dans la métropole marseillaise, qui a conduit l’EPA Euromed à promouvoir l’expérience MOVE (Massalia Open Village Experience), visant à replacer les usages au cœur du projet, comme l’explique Hugues Parant : « Pendant les cinq ans qui viennent, avant de pouvoir construire, on livre les terrains à ceux qui voudraient les prendre pour créer des choses. »

Voilà donc un exemple d’expérience d’intégration de la notion d’urbanisation informelle. Ce n’est pas tout : Euromed 2 expérimentera aussi l’utilisation de la terre crue, ce pisé qui est le matériau de construction ancestral des villages de l’Afrique subsahélienne.
Cette démarche apparaît emblématique du souhait exprimé en conclusion par Hugues Parant : s’extraire de la traditionnelle relation horizontale nord-sud pour aller vers une relation plus bilatérale, horizontale, paritaire où les uns et les autres s’inspirent mutuellement de leurs savoirs respectifs, s’enrichissent de leurs différences. Ainsi le village africain, et son aptitude toujours forte à créer du lien dans la communauté, apparaît-il comme un autre exemple de la capacité de l’Afrique à inspirer à son tour une vision plus humaniste des agglomérations occidentales, où cette notion du vivre-ensemble et de « villages dans la ville » s’est beaucoup perdue.

Cela dit, conclut Hugues Parant, « Moi-même, je cherche mon chemin… Le chemin à suivre, c’est un peu comme le déconfinement, on doit l’inventer. » Et d’ajouter : « Il faut que l’on arrive à faire comprendre aux Africains que nous aussi avons à nous inspirer de ce qu’ils sont capables de faire. Je pense que c’est l’une des conditions qui nous permettront de progresser beaucoup avec eux, car ils se rendront rapidement compte que les modèles prêts à consommer que d’autres leur proposent ne sont pas faits pour eux. »

En décembre 2019 à Emerging Valley, événement fortement soutenu par l’EPA Euromed, Ababacar THIAM, Sénégalais de 22 ans, a remporté le Prix Med’Innovant Africa créé par l’EPA Euroméditerranée de Marseille. À ses côtés, on reconnaît notamment Samir Abdelkrim, fondateur d’Emerging Valley, le ministre sénégalais Papa Amadou Sarr et Hugues Parant, Directeur général de l’EPA Euromed. © BF

Participer à l’engagement africain
de la métropole Aix-Marseille

Au-delà de la question de l’urbs africaine, le Marseillais d’adoption qu’est l’ancien préfet des Bouches-du-Rhône avant d’être celui de la Région Sud (PACA), a bien sûr également tenu à souligner la légitimité de la métropole Aix-Marseille à vouloir se positionner comme la capitale française, voire européenne, d’une relation refondatrice avec l’Afrique : « Marseille ne peut pas ne pas se souvenir de l’Afrique. Jusqu’aux années 1960, son histoire avec l’Afrique fut d’abord une aventure partagée où le commerce triangulaire de l’esclavage n’a jamais existé, et alors même que Marseille a beaucoup servi de base arrière au développement de l’Afrique francophone. »

Et cette histoire, rappelle l’ancien préfet, ne s’articulait pas exclusivement autour des intérêts des comptoirs commerciaux, elle relevait aussi d’un véritable processus d’administration et de prise en compte des besoins des populations. « Contribuer à la redécouverte de l’Afrique par Marseille, en particulier par le biais très actuel de l’innovation urbaine, est une mission que nous nous sommes donnée et qui est collectivement partagée à l’EPA Euroméditerranée », poursuit Hugues Parant.

En s’intéressant à l’Afrique, estime-t-il, l’EPA Euromed participe à cet engagement de la métropole Aix-Marseille pour redécouvrir quelque chose qui a été enfoui au profit d’une vision purement méditerranéenne. C’est le moment propice, car aujourd’hui en Afrique du Nord on se réclame de plus en plus souvent de l’Afrique méditerranéenne. « Il est donc temps de réaliser qu’en Europe, Marseille a une carte unique à jouer avec l’Afrique. Une Afrique qu’il faut aimer, ou ne pas s’en occuper ! »

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