Henry Marty-Gauquié : « Quels nouveaux paradigmes pour refonder le partenariat euromed ? »
Intervenant lors d’une récente controverse de l’iReMMO (1) dédiée au thème du « Malaise économique et risques pour la Méditerranée », Henry Marty-Gauquié, Directeur représentant la BEI (2) à Paris, s’est attaché à mettre en exergue les nouveaux paradigmes d’une nécessaire refondation du partenariat euro-méditerranéen.
Photo ci-dessus : Henry Marty-Gauquié, Directeur représentant la BEI à Paris, durant son intervention à l’iReMMO. © Alfred Mignot - février 2012
S’appuyant sur un constat désormais largement partagé – le Printemps arabe a introduit la nécessité d’établir de nouveaux paradigmes dans les relations entre le nord et le sud méditerranéen – Henry Marty-Gauquié relève que « la demande des populations qui se sont soulevées exprime la revendication au droit d’exister dignement : économiquement, socialement, politiquement. C’est d’abord une revendication générationnelle, celle de la jeunesse, mais c’est aussi une revendication transversale à toute la société puisqu’elle exprime une demande d’équité sociale et territoriale.
En effet, au-delà du sort fait aux jeunes laissés hors des centres de décision économiques et politiques, les révolutions adressent également les questions de l’équilibre territorial (en s’élevant contre les politiques des anciens régimes consistant à laisser en déshérence des territoires frontaliers ou considérés comme politiquement hostiles, comme par exemple en Tunisie, la région minière de Gafsa), et l’absence de politiques de transferts sociaux à même de corriger les excès d’un libéralisme économique et d’une corruption largement répandue. »
Selon le Directeur représentant la BEI à Paris, la demande politique qui s’est exprimée vise donc une « meilleure gouvernance de l’État et de l’économie, pour plus de justice, et la définition d’un pacte social fondé sur le choix politique d’une plus large redistribution des richesses à l’ensemble de la population. Cela se fera avec des réformes constitutionnelles, démocratiques, mais aussi par des changements de comportement individuel et la mise en place de nouveaux mécanismes de croissance associés à des systèmes de répartition de la richesse, soit par l’impôt, soit par l’assurance. On est ainsi devant un processus très profond, très complexe, et qui demandera beaucoup de temps. »
Une forte demande de croissance inclusive
Croire en effet que tout serait fini ou stabilisé une fois les élections passées est « une illusion que beaucoup partagent encore en Europe, mais qui est largement erronée », souligne Henry Marty-Gauquié. D’ailleurs, rappelle-t-il, il aura fallu cinq ans pour stabiliser le Portugal de la Révolution des Œillets [1974], et il aurait sans doute fallu plus de temps encore à l’Espagne post-franquiste [1975, mort de Franco, ndlr] si elle n’avait bénéficié de personnalités aussi exceptionnelles que le roi Juan Carlos et Felipe Gonzales, président du Gouvernement espagnol [durant quatre mandats, de 1982 à 1996, ndlr] et auteur du Pacte de la Moncloa .
Dans cette perspective, s’interroge Henry Marty-Gauquié, quelle est l’attente économique des populations au sud de la Méditerranée ?
« La première, estime-t-il, est sans doute aucun la forte demande de croissance inclusive, c’est-à-dire qui crée des emplois (en priorité pour les jeunes) et répartit les richesses à la majorité de la population. C’est la priorité des priorités pour les révolutionnaires qui veulent être "rémunérés” de leur action, et voir leur conditions de vie s’améliorer rapidement avec la satisfaction des besoins essentiels que sont l’éducation, la santé, la protection de la vieillesse, mais aussi l’accès aux services essentiels que sont l’eau, l’électricité, un environnement urbain maîtrisé, etc. »
Deuxième priorité, “simultanée” : passer à une croissance et à une gouvernance innovantes, pour enrichir les emplois et répondre au chômage des jeunes diplômés – « aujourd’hui en Tunisie, relève HMG, c’est mécanique : plus on est diplômé, plus on est chômeur ! Les BAC + 3 sont à 25-27 % de chômage, et les BAC + 7 dépassent les 50 % ! » – mais aussi pour permettre des emplois plus durables dans une économie ouverte à l’international.
Mettre fin à l’asymétrie commerciale nord-sud
« L’ouverture à l’international, troisième paradigme, est à considérer seulement comme un objectif de long terme et dans une perspective différente de celle qui a prévalu jusqu’alors », considère Henry Marty-Gauquié, inscrivant ainsi son propos en rupture avec la doxa euro-libérale de naguère.
Selon l’orateur, « les révolutions arabes nous l’ont démontré : l’ouverture à l’international qui n’est pas appuyée sur des politiques d’équilibre social crée de la richesse mal répartie, donc d’immenses poches de pauvreté. » Si l’ouverture aux échanges et l’intégration économique régionale reste un moyen de nourrir la croissance, cette ouverture ne peut intervenir dans des conditions socialement acceptables que si l’on a d’abord renforcé et diversifié le tissu économique, modernisé les entreprises en termes technologique et de compétitivité pour qu’elles puissent affronter la compétition mondiale. C’est d’ailleurs exactement le processus qui a prévalu pour les pays entrants dans l’Union européenne, rappelle HMG, avec des phases préalables et de transition longues – jusqu’à quinze ans pour la péninsule ibérique et les pays d’Europe de l’Est – afin de leur permettre d’affronter dans de meilleures conditions la concurrence accrue consécutive à l’ouverture.
« Il faut aussi que le Nord réalise l’ampleur de l’asymétrie commerciale qui est imposée au Sud, et qui génère chaque année 40 Mds $ de déficit », insiste HMG, avant de préciser : « On ne peut guère nier que cette asymétrie n’était pas exempte de protectionnisme, plus ou moins masqué mais bien réel. Ainsi, si l’on considère l’exemple de la Tunisie, le plus important exportateur manufacturier vers l’Europe, on constate que 20 % seulement de ses entreprises sont habilitées à exporter vers l’UE.
L’asymétrie est aussi révélée par d’autres indicateurs : par exemple, 56 % des investissements directs étrangers (IDE) opérés dans le sud méditerranéen viennent d’Europe ; les transferts financiers des migrants viennent aussi pour l’essentiel de l’Union européenne, à 90 % pour le Maghreb et à 50 % pour le Machrek. »
Le sud et le nord de la Méditerranée sont donc liés par une dépendance réciproque : au Sud, une dépendance aux flux financiers extérieurs que sont les transferts financiers des migrants installés en Europe, les IDE et les achats de services (comme le tourisme) qui viennent compenser leur déficit commercial ; au Nord, une dépendance aux hydrocarbures (pétrole et gaz) ainsi qu’aux migrations et aux populations issues de la migration qui permettent de compenser une courbe démographique atone face à des besoins de développement économique nécessaires au maintien de leur systèmes sociaux.
La prise en main par le G8, signe
de l’effacement – provisoire ? – de l’Europe
L’Europe est donc directement – et plus que tout autre pays développé – concernée par ce qui s’est passé – et se passera – au Sud. Mais, l’Europe n’a rien vu venir… elle n’avait pas de réponse prête face aux chambardements du sud méditerranéen.
De plus, fait remarquer Henry Marty-Gauquié, « l’Europe est divisée sur la perception de son voisinage : les pays du Nord et du “Mittel Europa” sont naturellement plus intéressés par le voisinage oriental de l’Europe que par le sud méditerranéen. Or, les crises économique et des dettes souveraines ont renforcé cette divergence d’intérêts sur la question du voisinage, dans le sens où ce sont les pays du nord de l’Europe qui sont économiquement plus performants que ceux qui ont un tropisme méditerranéen et qui, eux, sont fortement affaiblis . En situation de repli sur elle-même, l’Europe se révèle incapable de se prononcer seule sur les enjeux portés par les révolutions arabes. D’où l’échec du sommet des 16-17 mars 2011, où l’on n’a parlé que de la situation en Libye, avec des préoccupations tant de politique intérieure que sécuritaires », considère Henry Marty-Gauquié.
Pour toutes ces raisons, c’est le G8 qui s’est imposé, avec d’ailleurs l’adhésion claire de la chancelière allemande Mme Angela Merkel, partisan de l’entrée du FMI, de la Banque mondiale et de la BERD, etc., dans le groupe du Partenariat de Deauville, dont le but est de soutenir « les pays arabes en transition démocratique ».
Le partenariat de Deauville, « c’est beau sur le papier… »
Le Partenariat de Deauville, ce sont 38 milliards de dollars provenant des institutions financières internationales… « C’est beau sur le papier, mais improvisé lors du sommet de mai, et cela prend forme en septembre lors des ministérielles finances de Marseille et Affaires étrangères de New-York », s’exclame HGM, avant d’évoquer les points faibles de cet attelage pour le moins hétérogène : les institutions financières internationales (dont la BEI, mais aussi le FMI, la Banque mondiale, la Banque Africaine et la BERD) doivent se coordonner avec les institutions et fonds arabes de la région : ces partenaires n’ont pas vraiment l’habitude de travailler ensemble, ne partagent pas toujours les mêmes critères ou valeurs ; en outre, aucune vision de politique économique n’a été finement élaborée en concertation avec les pays en transition démocratique pour l’utilisation des ces 38 milliards de dollars…
D’autre part, ce rassemblement apparaît hétérogène du fait de son ambigüité : « avoir fait entrer des États du Golfe dans un groupe visant à soutenir la transition démocratique dans les pays arabes est un pari pour le moins osé ! » s’exclame encore Henry Marty-Gauquié.
Enfin, la dynamique politique qui sous-tend ce partenariat tient largement à la qualité de la présidence du G8 et de la personnalité qui l’incarne. En 2011, ce fut le Président Nicolas Sarkozy qui en fut l’initiateur ; en 2012, la présidence échoit à Barack Obama, dont l’engagement sera sans doute moindre, compte tenu des tensions au Proche Orient et de la campagne électorale pour sa réélection.
Alors… ? Le conférencier n’en dit rien, mais la question s’impose d’elle-même : si l’effacement à court ou moyen terme du G8 est une hypothèse que l’on ne saurait exclure, est-ce à dire que, de bon gré ou pas, on en reviendra à l’Europe, au partenariat euro-méditerranéen ? D’où l’urgence de le refonder ce partenariat…
Selon Henry Marty-Gauquié, « il faut maintenant que le “logiciel européen” accepte l’ouverture, et définisse un objectif clair, car si l’intégration n’est pas envisageable, un partenariat renforcé et plus équitable dans son fonctionnement et ses modes de décision paraît plus que jamais indispensable.
Pour y parvenir, il faudra aussi y mettre enfin les moyens : rappelons-nous que la réunification allemande a coûté 163 milliards d’euros, et que l’Europe a su mettre sur la table 223 milliards pour l’intégration des pays d’Europe de l’Est. À Deauville, il ne fut question que de 38 milliards d’euros pour le sud méditerranéen. »
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2 – Sites de la Banque européenne d’investissement (BEI)
et de et la FEMIP (Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat)
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