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Hakim Ben Hammouda :
« Nous avons retrouvé notre part
d’identité africaine refoulée »

3 août 2017
Hakim Ben Hammouda : « Nous avons retrouvé notre part d'identité africaine refoulée »
Revisitant l’histoire de la Tunisie de ces cinquante dernières années, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances évoque tant la vision africaniste du président Habib Bourguiba que le désintérêt pour l’Afrique des années 1980-1990. Aujourd’hui cependant, « en Tunisie, cet intérêt pour notre part d’identité africaine n’a jamais été aussi important ». Une redécouverte porteuse de nombreux bienfaits, espère Hakim Ban Hammouda. Décryptage.

Photo - Hakim Ben Hammouda, ancien ministre tunisien de l’Économie et des Finances (© DR)

Après de longues années de marginalisation, l’intérêt pour l’autre part de notre identité, l’Afrique au sud du Sahara, est en train de renaître et de se développer. Une part que beaucoup ont voulu ignorer et refouler en essayant de lui substituer la part méditerranéenne de notre identité.
Ils ont oublié assez vite que les rêves et les utopies ne se remplacent pas et que chacune nourrit l’autre et lui permet de grandir, et avec elles notre volonté de construire un ailleurs, pourvu d’un autre humanisme et d’un vivre en commun où s’éteignent toutes les différences pour que seul subsiste l’humain.

Cet intérêt et ce retour de notre passion africaine viennent renouer avec une longue tradition historique faite d’échanges, de cultures, de sacré, de commerce et surtout d’un rêve commun qui a nourri notre destinée pendant des siècles. Les échanges commerciaux et les caravanes de commerçants n’ont jamais cessé de traverser le désert pour vendre les produits agricoles, les biens de l’artisanat et autres joailleries, qui ont donné aux femmes des deux rives leur grâce et leur volupté.

Mais, ces caravanes ont favorisé aussi les échanges d’idées et de cultures et ont permis aux étudiants de la rive Nord de séjourner dans les universités de Timbuktu et d’ailleurs, comme les étudiants venant du Sud qui ont pu séjourner dans l’Université de la Zitouna, d’Al-Azhar et ailleurs au Maroc. Ces traversées ont favorisé les échanges musicaux et la création artistique, contribuant ainsi à l’émergence d’un univers commun aux sonorités partagées.

La solidarité des luttes de l’indépendance

Ces échanges ont forgé nos identités et ont fait de la culture africaine un des socles de notre pluralité culturelle et civilisationnelle. Certes, il ne faut céder à la vision angélique et idyllique de notre africanité. Car cette histoire n’est pas exempte d’épisodes de violence et de tentation de rejet de l’autre qui nourrissent jusqu’à nos jours quelques relents de racisme ordinaire.

Mais, nos rapports avec notre autre du Sud ont été surtout marqué par cette quête d’une destinée commune. Ce projet va trouver dans la lutte anticoloniale de nouvelles sources de sédimentation et de renforcement. Ainsi, les mouvements de libération nationale feront de la lutte contre le joug colonial une nouvelle source d’une africanité solidaire et plurielle.

Je me rappelle toujours de l’histoire que m’avait racontée mon ami Achille Mbembe, l’intellectuel camerounais, sur les grèves et les mouvements de protestation et de dissidence contre la colonisation qui ont traversé tout le Cameroun à la suite de l’assassinat en décembre 1952 de notre dirigeant national Farhat Hached. Des mouvements qui sont venus renforcer toute la mobilisation en Afrique du Nord pour dénoncer cet assassinat et montrer que la lutte pour l’indépendance était le sédiment d’une nouvelle identité africaine militante.

Cette destinée se renforcera après les indépendances et en dépit des divisions politiques du Continent au gré des grandes alliances internationales, les différents pays ont mis en place des institutions comme l’Union africaine, la Banque africaine de développement ou la Commission économique pour l’Afrique, capables de porter le projet africain et de lui donner un contenu concret.

Le tournant des années 1980-1990

La Tunisie a grandement contribué à ces épopées post-coloniales pour devenir un acteur important du projet africain, le président Bourguiba allant jusqu’à instituer la tradition de deux séjours annuels par an dans différents pays africains. Cet engagement ne s’est pas limité au projet politique, mais nous lui avons donné un contenu concret en recevant des générations entières d’étudiants qui ont fait leur scolarité chez nous. Par ailleurs, des milliers de coopérants techniques tunisiens ont travaillé pendant de longues années dans différents pays du Continent, partageant notre savoir dans les domaines techniques, industriels et financiers.

Mais, la fin des années 1980 et surtout les années 1990 seront un tournant dans ces relations entre les riverains du Sahara. La crise du projet national et le désenchantement, les crises économiques, les crises de la dette et les programmes d’ajustement structurel ont fini par déliter ces liens et laisser chacun seul pour affronter les soubresauts de l’ordre mondial. Mais, ces stratégies n’ont pas aidé nos pays à peser sur la marche du monde, ni à trouver des dynamiques de croissance fortes et réaliser par conséquent les rêves et les utopies des indépendances.

Une redécouverte essentielle

Dans ce contexte de crise et de marginalisation croissante, nous avons retrouvé notre part d’identité refoulée durant de longues années ainsi que la volonté de reprendre les échanges dans les différents domaines économiques, commerciaux, culturels et sportifs. Ces échanges nous ont permis de nous redécouvrir, de voir l’impasse des tentations de repli et de commencer à reprendre cette destinée commune.

En Tunisie, cet intérêt pour notre part d’identité africaine n’a jamais été aussi important. Les entreprises ont multiplié les visites et parcouru les marchés et ont mis en place des institutions et des conseils pour donner à ces échanges une dimension plus durable.

Les artistes et les différents domaines de la culture ont également renoué avec ces échanges et désormais les artistes tunisiens sont présents dans toutes les biennales d’art et autres manifestations culturelles au Sud, comme les artistes du Sud sont beaucoup plus présents dans nos manifestations et nos activités culturelles. Nos équipes sportives redécouvrent aussi les compétitions africaines et en font aujourd’hui comme au lendemain des indépendances leur priorité.

Cette évolution et cette redécouverte de cette part africaine de notre identité sont essentielles et contribueront sans nul doute à notre équilibre psychique, économique, financier et politique. Elles exigent du respect et une conviction profonde sur la capacité de l’autre à nourrir nos projets. Elles demandent aussi un engagement politique plus constant pour porter ce projet de reconstruction de la pluralité de notre identité.

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