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Rencontres économiques de l’Institut du monde arabe (IMA, Paris, 13 février)

Guénaëlle Gault (Kantar Public) : « Il n’y a pas encore de véritable économie du digital dans les pays arabes »

10 février 2018
Guénaëlle Gault (Kantar Public) : « Il n'y a pas encore de véritable économie du digital dans les pays arabes »
Pour faire émerger une économie digitale dans les pays arabes, les gouvernements devraient continuer à libéraliser le marché des acteurs télécoms et réduire leurs taxes douanières, tout en favorisant l’inclusion de toutes les couches de la population dans le monde numérique. Telles sont les préconisations de Guénaëlle Gault, Global Digital Head chez Kantar Public*. Entretien exclusif, en avant-première de son intervention, mardi 13 février aux « Rencontres économiques » de l’IMA à Paris, dédiées à la « Transformation digitale dans le monde arabe, enjeux et opportunités ».

Propos recueillis par Jean-Louis Alcaide, AfricaPresse.Paris

Peut-on parler de « révolution digitale » dans le monde arabe ?

Guénaëlle Gault – Aujourd’hui, presque la moitié de la population des pays arabes est connectée. Cela a déjà créé une forme de transition numérique, de révolution digitale. Mais il y a encore plein de choses à venir, nous sommes aujourd’hui possiblement au seuil de bouleversements encore plus importants.

De quels bouleversements s’agit-il ?

Guénaëlle Gault – À dire vrai, il y a un virage à prendre maintenant pour que cette révolution digitale, qui va continuer de s’accélérer et s’exprimer dans les usages des citoyens et des consommateurs, transforme vraiment et profondément les pays du monde arabe et qu’ils en tirent vraiment partie. Des décisions à prendre, des investissements à réaliser, des pratiques à mettre en œuvre. Il y a d’une part l’opportunité pour les pays émergents d’utiliser le digital comme un accélérateur de leur développement, et pour les pays les plus avancés d’entrer de plain pied dans l’économie mondiale et générer une croissance durable.

Y a-t-il des pays manifestement plus avancés que les autres ?

Guénaëlle Gault - Les pays arabes, ce n’est pas un ensemble, une zone géographique uniforme. Il y a des écarts très forts par rapport à des pays extrêmement avancés qui sont d’ailleurs parmi les premiers au monde, comme les Émirats Arabes Unis, en particulier Dubaï, l’Arabie Saoudite et la Jordanie, surnommée la « Silicon Valley du Middle East ».

Dans ces pays, le taux de pénétration des smartphones est largement supérieur à 100 %, il va même jusqu’à 180 % en Arabie Saoudite. Le taux de pénétration d’Internet est au-delà de 90 % et 70 % des internautes sont sur les réseaux sociaux.

À l’inverse, certains de ces pays sont parmi les moins avancés de la planète : la Somalie, la Libye, la Syrie – même si les mesures y sont difficiles à faire – l’Irak, le Yémen, le Soudan où le taux de pénétration d’Internet se situe autour de 20 % de la population. Entre les deux, on trouve les pays d’Afrique du Nord : l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Il y a donc une grande diversité en matière digitale.

Quels sont les secteurs particulièrement développés ?

Guénaëlle Gault - C’est justement ce qu’il va falloir mettre en place dans les années à venir : une véritable économie digitale. Pour le moment, là où l’on voit que le numérique avance beaucoup, ce sont des pays où des décisions ont été prises par les gouvernements en matière d’infrastructures, où il y a le plus de libéralisation du marché, notamment des opérateurs de télécoms.

On voit en effet que plus il y a une libéralisation de ce secteur, plus les coûts d’accès à Internet diminuent, et plus il est facile pour la population de se connecter. Mais pour le moment, il n’y a pas encore de véritable économie du digital.

Quels sont les autres freins à l’essor de cette économie du digital ?

Guénaëlle Gault - On observe des choses assez surprenantes. Par exemple, les gens utilisent beaucoup Internet pour se renseigner sur les produits et les offres de service proposés en ligne, mais ils n’achètent pas. Il n’y a donc pas vraiment d’explosion du e-commerce, comme on le voit partout ailleurs.

Les raisons sont principalement le manque de confiance dans la sécurité des transactions et la faible intégration économique des pays arabes, un problème récurrent. Conséquence : il est plus facile de commander un produit aux États-Unis pour le faire arriver à Dubaï, par exemple, que de l’acheter en Tunisie, car il y a beaucoup trop de taxes entre les deux pays. Il faudrait donc, là aussi, déréguler pour fluidifier les transactions et permettre au e-commerce de se développer vraiment.

Les infrastructures numériques vous paraissent-elles suffisantes ?

Guénaëlle Gault - Parfois, les infrastructures sont là mais elles ne sont pas exploitées. C’est le cas de l’Algérie qui est équipée de 20 000 km de fibre optique, mais comme il y a très peu d’opérateurs, Internet reste inaccessible. Toutefois cela peut être corrigé très vite, comme on l’a vu en Égypte. En revanche, les infrastructures sont évidemment insuffisantes dans les pays les plus éloignés du monde digital, comme le Soudan ou le Yémen.

Les États ont-ils commencé à investir dans leur transformation numérique ?

Guénaëlle Gault - Oui, les pays du Golfe ont mis en place des démarches et on peut parler de e-gouvernement, de services publics digitaux. Mais ce ne sont pas encore des services orientés vers « l’expérience client », ils restent fonctionnels. Ils ont la possibilité d’aller plus loin car, là aussi, les citoyens, les usagers sont demandeurs. Quant aux autres pays arabes, il n’y pas vraiment de digitalisation des administrations. Pourtant là encore les attentes et les opportunités sont nombreuses.

Y a-t-il des opportunités d’affaires pour les entrepreneurs et les startups ?

Guénaëlle Gault – Bien sûr ! Dans les pays très avancés, il y a l’émergence d’une toute nouvelle génération très digitale. Elle a des besoins qui ne sont pas forcément couverts. Cela peut même engendrer une frustration, cela se voit à travers leurs comportements et cela s’observe aussi dans tous les pays arabes. Aujourd’hui l’usage d’Internet y est très social : les internautes sont à fond sur toutes les plateformes de messagerie, sur les réseaux sociaux et sur l’entertainment, le divertissement. Or dans ce dernier domaine, il n’y a pas beaucoup de contenus en arabe.

Il y a donc de grandes attentes, notamment en matière de connaissance, d’éducation, de formation. Ce sont les premiers sujets évoqués par les internautes, ainsi que la santé, à propos de laquelle ils aimeraient aussi pouvoir profiter des possibilités offertes par le numérique. Avoir des contenus en arabe, c’est un vrai challenge et de vraies opportunités.

Quels sont, à votre avis, les enjeux les plus importants de la transformation digitale dans les pays arabes ?

Guénaëlle Gault - Il y a à la fois une tension et une opportunité avec la nouvelle génération : elle est très formée, mais elle a du mal à trouver du travail. Il va falloir régler ce problème en lui offrant des débouchés, sinon elle cherchera à s’exprimer différemment ou à s’expatrier.

C’est un vrai enjeu et le digital peut aider à y répondre. Ce défi de l’inclusion, de l’intégration va être très important dans les pays arabes, car cette génération est déjà les deux pieds dans le monde numérique, avec des attentes fortes. Cela va de pair avec une urbanisation massive. Il faudrait prendre levier sur cette génération pour aller plus loin encore dans le développement de ces pays et leur insertion dans un tissu économique plus global.

Dans le même temps, les écarts se creusent avec d’autres couches de la population, comme on le voit dans nos pays occidentaux. Mais dans les pays arabes, cela va tellement vite que les fractures, en particulier la fracture numérique, peut aboutir à déstabiliser les économies et les pays eux-mêmes. C’est un point central : il faudrait penser dès maintenant l’inclusion de tous dans le monde numérique et digital.

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* Kantar Public (http://www.kantar.com/public) : filiale du groupe de communication marketing WPP (http://www.wpp.com/wpp/), dédiée au conseil et aux études pour les acteurs publics et gouvernementaux.

Le programme des Rencontres économiques de l’IMA, à Paris le 13 février : « Transformation digitale dans le monde arabe, enjeux et opportunités »

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