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Ferid Belhaj, VP Banque mondiale : « En région MENA, la stratégie de la BM consiste d’abord à redéfinir le rôle de l’État de manière à démocratiser l’économie »

7 mars 2020
Ferid Belhaj, VP Banque mondiale : « En région MENA, la stratégie de la BM consiste d'abord à redéfinir le rôle de l'État de manière à démocratiser l'économie »
Dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (MENA), la Banque mondiale (BM) œuvre à reconstruire le contrat social entre les États et les citoyens. Comment s’y prend-t-elle ? Les efforts fournis portent-ils leurs fruits ? Éléments de réponse avec Ferid Belhaj, vice-Président de la région à la BM, qui déclarait en janvier que « MENA is open for business ». Entretien exclusif.

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Propos recueillis à Paris par Alfred Mignot et Thomas Radilofe, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica | @TRadilofe

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Quelle stratégie la Banque mondiale préconise-t-elle de suivre pour reconstruire le contrat social entre les États et les citoyens, dans la région MENA ?
Ferid Belhaj –
Pour saisir la stratégie que nous préconisons, il convient d’abord de revenir sur les causes profondes de la détérioration de ce contrat social.
Dans les années 1960, une manière de contrat – j’allais dire synallagmatique –, gouvernait les relations entre État et citoyens. Un accord tacite faisait que ces derniers s’engageaient à ne pas trop interférer dans les choix de politiques publiques. Les États, dans une manière d’echange, mettaient à la disposition des citoyens les services de base à des coûts fortement compensés. Éducation, santé, eau, électricité, transports, énergie… Tout était compensé. C’était l’État providence qui se construisait au lendemain des indépendances.

Au fil des années, ce contrat social s’est érodé. Son caractère non soutenable financièrement, économiquement irrationnel et politiquement intenable a provoqué des fissures sociales qui se sont avérées depuis les années 1970-1980. Après la crise financière de 2008 ce phénomène s’est brutalement accéléré. En parallèle de ces difficultés, une génération de jeunes citoyens désirant s’impliquer davantage dans la gestion des affaires publiques a émergé. Dès lors, tacitement contesté par chacune des parties, le contrat social est caduc, provoquant de vives tensions sociales dans un grand nombre de pays de la région.

Pour la Banque mondiale, qui ne voyait pas d’un bon œil les distorsions faites au marché, et qui a averti du caractère non soutenable de ce contrat social, il s’agissait de proposer une réflexion autour du rôle de l’État, et notamment dans l’économie. Un rôle régulateur, facilitateur, d’encadrement. Mais l’État ne doit pas se substituer au secteur privé, auquel il doit au contraire fournir les moyens de la réussite et de la croissance. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, les autorités doivent encourager le secteur privé à investir les domaines économiques clés – comme l’énergie, les transports, les banques ou encore l’éducation –, grâce à la mise en place des PPP (partenariats public-privé), notamment.

Je l’ai dit plus haut, cette ouverture des pays au secteur privé doit être régulée par l’État afin de garantir une concurrence économique loyale. Pour ce faire, les autorités doivent être capables de sanctionner les dérives éventuelles, afin d’éviter la domination de certains acteurs du privé, sur les économies de la région. Ainsi, des leviers qui permettent d’assurer une contestabilité des marchés – pour garantir une justice économique – sont nécessaires.

Le Conseil de la concurrence, mis en place il y a quelques années au Maroc, remplit, par exemple, ce rôle. L’institution a ainsi sanctionné, il y a quelques semaines, de grosses entreprises marocaines en situation de monopole.

Concrètement, que fait la Banque mondiale pour appuyer la mise en oeuvre de cette stratégie d’ouverture économique au secteur privé ?
Ferid Belhaj –
Nous dialoguons avec les pays et octroyons des financements pour soutenir certains projets de réformes économiques.
Nous finançons également des projets spécifiques d’investissement, via la Société financière internationale (SFI). L’entrée de la SFI dans le capital d’une entreprise est un signal positif qui tend à conférer une véritable crédibilité au projet porté. Cela a une valeur incitative et pousse les acteurs du privé à s’engager davantage.

Ainsi, au Maroc et en Égypte, par exemple, le Groupe de la Banque mondiale a contribué à ouvrir le secteur des énergies renouvelables, en participant au financement des centrales solaires de Noor et Benban.

En janvier dernier, vous déclariez sur le plateau de France 24, que « MENA is open for business » (MENA est ouverte aux affaires). Pourtant la région n’est pas stabilisée, ne serait-ce qu’en termes de gouvernance économique…
Ferid Belhaj – La situation de la région MENA ne se résume pas aux difficultés que peuvent rencontrer le Liban, la Syrie, l’Irak ou encore la Libye. Ailleurs, dans la région, des choses très positives se passent.

L’Égypte, par exemple, après avoir traversé des années sombres, émerge aujourd’hui. L’Algérie se stabilise et s’ouvre. La Jordanie, Bahreïn et le Koweït figurent parmi les dix économies du monde qui ont le plus amélioré le cadre d’activité de leurs entreprises, selon le classement de la Banque mondiale « Doing Business 2020 ».

J’observe aussi que plusieurs pays du Golfe sont en train d’adopter des législations qui brisent des tabous séculaires. En termes de reconnaissance des droits des femmes, des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – tels que l’Arabie Saoudite, la Jordanie ou encore la Tunisie – figurent parmi les dix économies du monde ayant enregistré la meilleure progression, selon le rapport « Women Business and the Law 2020 ».

Bien évidemment, les choses ne vont pas radicalement changer du jour au lendemain. Lorsqu’une réforme est adoptée, il faut un certain temps pour que celle-ci imprègne le tissu culturel et économique. Néanmoins, aujourd’hui, nous constatons un certain nombre d’avancées qui nous permettent de dire : « MENA is open for Business ».

Enfin, il convient de dire un mot sur le dynamisme démographique et l’opportunité considérable que cela représente pour le développement économique. Selon les estimations, en 2050 la région MENA comptera environ 300 millions de jeunes demandeurs d’emploi. C’est une énergie formidable qu’il faudra capter, notamment par le biais de l’éducation et des formations professionnelles.

Justement… Sur la question de l’éducation et de la formation des jeunes, que préconise la Banque mondiale ?
Ferid Belhaj –
Répondre à cet enjeu n’est pas sans difficulté, car nous ne savons pas exactement à quoi ressemblera le marché du travail des années à venir. Avec l’émergence des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, certains emplois seront amenés à disparaître, c’est certain, mais d’autres surgiront.

Il faut donc mettre en pratique de nouveaux systèmes d’éducation et sensibiliser les États, les enseignants, les jeunes ainsi que les parents à ces nouveaux défis. Construire de nouvelles écoles n’est pas suffisant. Les établissements doivent dispenser aux élèves des formations qui leur permettront de se constituer un curriculum en adéquation avec les marchés de demain. Un important travail de formation continue doit être mis en oeuvre.

Parlons maintenant de la Tunisie, votre pays… Comment la Banque mondiale peut-elle davantage aider la Tunisie à redresser sa situation économique ?
Ferid Belhaj –
La Banque coopère avec la Tunisie et l’accompagne dans son processus de réformes économiques. Depuis 2011, au total, nous avons octroyé près de 4 milliards de dollars au pays, pour que des réformes économiques soient réalisées. Il y a eu des avancées, mais globalement les choses restent encore en deçà des attentes au vu des efforts fournis. Le pays se trouve dans une situation économique compliquée, car l’État n’a pas mis en oeuvre et de manière complète certaines réformes.

Aujourd’hui, pour accompagner les autorités, la Banque mondiale émet un ensemble de suggestions sur les réformes économiques à engager, sous forme de propositions concrètes qui seront présentées prochainement au gouvernement tunisien. Si celui-ci suit une ligne claire et crédible, ses représentants auront l’opportunité, en avril, d’exposer un programme solide, aux bailleurs de fonds qui s’intéressent à la Tunisie, dans le cadre des réunions de Printemps du Fonds monétaire international (FMI) et du Groupe de la Banque mondiale, qui se tiendront à Washington.

La Banque mondiale est-elle prête à aider le Liban, en pleine crise économique et politique, avec 1,2 milliard de dollars d’obligations à rembourser le 9 mars prochain ? [Ndlr : cet entretien a été réalisé avant que les autorités libanaises n’annoncent le premier défaut de paiement de l’histoire du pays, devenu effectif le 9 mars 2020].
Ferid Belhaj – La classe politique doit écouter les Libanais. Il est temps de changer le système de gouvernance au Liban. Il est intéressant de voir que ce constat est partagé, sur place, par un grand nombre de personnes. Cependant, rien n’est entrepris par les autorités pour insuffler le changement.
La Banque mondiale est prête à aider le Liban. Néanmoins, les Libanais doivent manifester leur détermination à engager des réformes, dans des secteurs tels que l’éducation, l’énergie, la protection sociale ou encore les télécommunications.

Il y a deux ans, à Paris, lors de la conférence CEDRE, les partenaires du Liban avaient indiqué vouloir mobiliser près de 11 milliards de dollars, si des réformes étaient engagées. Rien n’a été fait et les fonds n’ont pas été débloqués. Au Liban, la mauvaise gouvernance a fait grimper le taux de pauvreté. Il est temps que le pays se libère de ce cercle vicieux.

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