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Et si « l’archaïsme » de l’Afrique devenait la source d’une nouvelle avant-garde d’un humanisme renouvelé ? (Soufyane Frimousse)

21 juillet 2021
Et si « l'archaïsme » de l'Afrique devenait la source d'une nouvelle avant-garde d'un humanisme renouvelé ? (Soufyane Frimousse)
Ce monde cyber-managérial sans frontière qui s’installe chaque jour davantage relève d’une logique purement opératoire, celle de l’efficacité, s’exonérant partout de la question des valeurs. Dans cette optique, l’ethos commun de l’Afrique et ses cultures peuvent-ils devenir des sources d’inspiration pour un humanisme renouvelé ?

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Une contribution de Soufyane FRIMOUSSE
Maître de conférences, HDR IAE de Corse
Chercheur associé Essec Business School et HEC Montréal.
frimousse@univ-corse.fr

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Dans nos sociétés, l’homme pense être devenu un dieu sur terre grâce notamment aux incroyables avancées de la technologie et du numérique. Cet homme-dieu peut à son tour créer le monde, modifier la nature et la dominer. Ce récit de l’humanité transformatrice qui, par la technoscience, va changer le monde trouve sa formulation moderne au début du XIXe siècle, avec Saint- Simon et ses « Cahiers » de l’industrie, auquel va se greffer le positivisme d’Auguste Comte. Il s’agit de l’idée que la science devient la nouvelle théologie et qu’elle doit guider l’humanité. Cette dernière étant propulsée par le progrès.

Au niveau managérial, la doxa s’est insérée dans ce mythe fondateur et s’est mise au service de la technoscience. Le cyber-management est comme Midas. Il transforme tout ce qu’il touche, non pas en or mais en organisation. Ce phénomène est un événement économique, politique, technique et métaphysique.

Ce monde cyber-managérial sans frontière, dont le contrôle est assuré par la gestion rationnelle des nombres par des systèmes informatisés, peuplé d’êtres hybrides (cyborgs, machines intelligentes, robots), annonce l’effacement des frontières entre l’humain, le biologique et la machine. Ce nouveau type de société se caractérise par l’effacement des repères normatifs et les questions du pourquoi par une logique purement opératoire, celle de l’efficacité. Or, celle-ci ne peut donner à elle seule un sens à la vie humaine. Elle relève à proprement parler du domaine technique. Quand la question du pourquoi s’éclipse, la vie devient insupportable pour l’humain et la planète.

Cet universel de surplomb est source d’échecs et de crises ! Que faire ? Changer le cyber-management ? Compte tenu de sa nature et de sa finalité, cela semble impossible car on peut certainement diriger les hommes autrement, mais non les manager autrement ! Reste la possibilité de s’orienter vers d’autres civilisations qui possèdent des traditions de direction, de conduite, d’animation d’équipes qui n’entrent pas dans le giron du cyber-management.

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Au-delà de la rationalité instrumentale

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Dans cette optique, même si l’Afrique est reléguée aux marges des dynamiques économiques de la mondialisation, nous pensons possible de puiser dans les permanences africaines afin de :
 dompter l’hyperpuissance en lui redonnant du sens ;
 revenir à l’être ensemble ;
restaurer un travail réellement humain.
L’enracinement dynamique du travail favorise une indéniable intériorité et une certaine verticalité pour sortir du projet de l’homme programme après avoir été l’homme machine.

En terres africaines, le travail est guidé par la loi de l’intérêt économique (economicus…). Mais, il s’insère également dans la réciprocité (reciprocus).

Il y a autant de réciprocité, d’affectivité et de reconnaissance que de calcul. Il est impossible de s’en tenir à un rapport strictement comptable et stratégique. Les échanges entre les hommes ont d’autant plus de valeur qu’ils se rapportent à d’autres intérêts (sociaux, écologiques...).
Le travail n’est pas organisé uniquement par une rationalité instrumentale. Il est enveloppé dans une relation sociétale et un enracinement. L’individu n’est pas atomisé, mais plutôt « sociétalisé » au sens donné par Charles Taylor.

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Civiliser l’outil informatique

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Cet éthos commun, véritable permanence au sein des pays africains, peut permettre cette interaction entre conditions (économiques, écologiques) et significations existentielles (raison d’être, finalités…), entre ordre économique et dynamique sociale. Il peut également contribuer à domestiquer l’outil informatique, à en civiliser l’usage, afin qu’il libère l’esprit des hommes au lieu de l’aliéner.

La société ne se réduit pas aux « modes de production » et aux rapports économiques ou encore à l’organisation des conditions matérielles de l’existence. L’être humain est foncièrement un être social car son existence et son identité individuelle sont entièrement tributaires des liens qui le rattachent à autrui. Sa raison de vivre y puise toute sa signification et son sens.

En d’autres termes, l’appréciation de l’évolution historique d’une société ne peut se limiter aux seuls critères de la puissance technologique, de la maîtrise de la nature et de la croissance économique. Une société dite évoluée est celle qui dispose d’une maîtrise croissante dans la production réfléchie des normes régissant l’« être ensemble » de ses membres. L’évolution des sociétés s’appréhende d’un point de vue éthico‐politique et non pas technico‐économique.

Dans le contexte actuel de crises du grand confinement, la question primordiale n’est plus : « dans quelle sorte de monde voulons-nous vivre ? », mais plutôt désormais : « quelle sorte de monde nous permettrait de survivre ? ».

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Un « coup d’avance »

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Imposer à la Terre ce que nous désirons qu’elle donne au travers d’une économie pensée par des hommes d’affaires et des firmes insatiables portées par la technoscience et le cyber-management, n’est tout simplement non seulement plus possible, mais désormais criminel ! Le développement durable ne peut plus se contenter de poursuivre la conciliation entre l’environnement et le développement dans le cadre d’un système productif inchangé.

En plaçant la question de la finalité des activités économiques et financières au cœur des débats d’avenir, l’ONU, à travers son fameux Agenda 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD), légitime l’importance des permanences africaines. La création des Benefit Corporations, les Community interest companies et les entreprises à raison d’être illustrent – ô combien – la nécessité de relier l’activité et les résultats des entreprises à la résolution des problèmes qui menacent le monde.

L’Afrique, trop souvent considérée comme dépassée et archaïque, trop souvent enfermée dans des débats sécuritaires et migratoires… a l’occasion dans ce contexte de faire émerger « la contribution africaine » dans un monde devenu multipolaire. Les permanences et l’éthos africains renvoient à une certaine vision de la société mais aussi, plus généralement, une certaine conception de la civilisation. L’Afrique trouve ici la possibilité d’avoir « un coup d’avance », d’être effectivement avant-gardiste et de montrer le chemin en posant les bases du modèle d’avenir et d’un nouveau rapport au monde.

Ces permanences africaines, qui se traduisent par le « positive impact », doivent devenir la contribution africaine au monde !

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SUR LE MÊME THÈME

- Soufyane Frimousse (Chercheur associé EBS Paris) : « Quand l’Afrique s’éveillera… le management tremblera ! » (4 avril 2020)

- Soufyane Frimousse : « Pour une métamorphose du système de formation des Africains pour s’adapter à un monde en constante mutation » (20 février 2021)

- Innovations frugales, ethos, management… : 
comment l’Afrique devient le laboratoire du monde de demain, un ouvrage de Soufyane FRIMOUSSE (2 décembre 2018)

- « Africa positive impact » : un livre-plaidoyer pour valoriser le management à la manière d’Afrique, cette « terre des possibles du monde à venir » (10 octobre 2020)

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