Emmanuel Noutary (Anima et The Next Society) : « L’avenir qui s’invente en Méditerranée peut inspirer à nouveau le reste du monde »
lancent le Club « THE NEXT SOCIETY » afin d’impliquer entreprises et investisseurs européens dans la promotion de l’innovation des pays EuroMed et d’Afrique. À l’occasion de la conférence de lancement, à Paris le 15 février, Emmanuel Noutary, Délégué général d’ANIMA et initiateur de « THE NEXT SOCIETY », nous a expliqué les détails de son plan d’action, porté par une ambition immense : valoriser l’innovation « made in Sud », changer le regard du monde sur cette région au potentiel d’avenir si riche. Entretien exclusif.
Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris
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Le réseau ANIMA Investment Network – ANIMA, en forme courte – développe, depuis sa création en 2006, une activité reconnue en Méditerranée. Quel cheminement vous a conduit à vouloir créer maintenant « THE NEXT SOCIETY » ?
Emmanuel Noutary – Nous avons choisi d’investir ce créneau de l’innovation car depuis sa création en 2006, le réseau ANIMA travaille sur l’attractivité des pays, et donc nous nous sommes intéressés très tôt aux aspects endogènes de leurs écosystèmes. Il est ainsi acquis que les opérateurs internationaux délaissent les territoires où l’écosystème local de PME n’est pas performant. Ils ne s’installent pas, ou ils s’en vont, s’ils ne trouvent pas sur place des entreprises capables d’assurer leur sous-traitance, ou encore s’ils ne peuvent pas disposer facilement de lieux d’hébergement pour leurs entreprises…
Outre la problématique des écosystèmes, ANIMA a aussi travaillé sur le soutien aux entreprises innovantes, et notamment à leur financement. Ainsi entre 2008 et 2010, nous avons participé à la création des premiers réseaux de business angels au Maroc, en Tunisie et en Jordanie. Nous avons par exemple créé le réseau marocain Atlas Business Angels, avec l’aide de France Angels. Idem en Jordanie, avec le réseau Bedaya Angels, et en Tunisie, avec Carthage Business Angels, qui fonctionne bien.
Nous avons également coordonné le fonds FARO, financé par la Caisse des Dépôts, l’Agence Française de Développement et BPI France, qui finançait des projets innovants développés par des entrepreneurs français en partenariat avec des entrepreneurs sud méditerranéens.
Comment définissez-vous les objectifs de THE NEXT SOCIETY ?
Emmanuel Noutary – Avec THE NEXT SOCIETY, nous voulons créer un mouvement durable dont le premier objectif est de révéler, de promouvoir et d’accompagner la création de valeur et d’innovation dans les pays du sud de la Méditerranée. Pour cela, nous mettons en oeuvre un programme de renforcement et d’accélération à destinations des start-ups, des clusters, et de tous les producteurs de technologie du sud de la Méditerranée – universités, entreprises.
Nous nous concentrons en particulier sur les projets qui apportent des réponses aux grands défis auxquels sont confrontés ces pays : le réchauffement climatique, l’accès aux biens publics, la dépendance alimentaire, la compétitivité industrielle. En révélant ces talents nous voulons aussi que le monde reconnaisse le potentiel de « reverse innovation » de la Méditerranée, qui peut inspirer le reste du monde. Il y a donc un enjeu d’image que l’on veut révéler, pour contribuer à faire porter un nouveau regard sur cette région.
Aujourd’hui on se concentre sur sept pays qui sont le premier rideau méditerranéen (Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Jordanie, Liban et Palestine). Dès que possible, nous étendrons plus largement cette initiative en Afrique subsaharienne, puisqu’ANIMA commence à avoir des activités au Sénégal notamment.
Un autre objectif de THE NEXT SOCIETY est d’influer sur le cadre légal, afin de lever les barrières juridiques ou autres qui entravent l’innovation en Méditerranée. Pour cela on organise le plaidoyer des entrepreneurs et des acteurs de l’écosystème innovation et on met en œuvre les recommandations qui sont produites.
Emmanuel Noutary, Délégué général d’ANIMA et initiateur de « THE NEXT SOCIETY », lors de son intervention à la conférence de lancement de « THE NEXT SOCIETY » à Paris, à la Station F de la French Tech, le 15 février 2018. © AM AfricaPresse.Paris
Quels sont les partenaires de démarrage de « THE NEXT SOCIETY », dont ANIMA a pris l’initiative ?
Emmanuel Noutary – ANIMA est une association internationale, elle rassemble quatre-vingts organisations de développement économique de vingt pays, d’Europe et du pourtour de la Méditerranée. L’Union européenne finance la plupart de nos projets, mais au sein du réseau ANIMA nous élaborons nous-mêmes notre stratégie, dans le cadre de notre gouvernance multi-pays. Il y a un an les membres d’ANIMA ont souhaité ouvrir le réseau à l’Afrique subsaharienne et aux pays du Golfe. Nos statuts ont d’ailleurs été modifiés en conséquence, en mai 2017.
Aujourd’hui, trente partenaires de notre réseau se sont déjà associés à notre démarche de mise en œuvre de « THE NEXT SOCIETY ». Au total, nous devrions accompagner deux cents entrepreneurs, et fédérer près de trois cents organisations et réseaux de soutien aux innovateurs.
Au-delà de l’exceptionnelle « start-up nation » que représente Israël, sait-on évaluer l’importance de l’innovation dans l’EuroMed sud ?
Emmanuel Noutary – Les pays arabes ne consacrent que 0,2 % de leur PIB à la R&D, c’est très faible. Le faible niveau des exportations entre pays méditerranéens s’explique aussi car leur offre industrielle n’intègre pas assez de valeur, donc n’est pas assez compétitive sur les marchés voisins. Il faut donc faire participer ces pays aux réseaux de transferts technologiques, et aider leurs labos universitaires à transférer leurs technologies vers le secteur privé. Nous allons travailler à tout cela.
Depuis le début de la décennie, les écosystèmes d’appui à l’innovation se sont particulièrement structurés, notamment grâce aux initiatives du secteur privé : accélérateurs privés, business angels, fonds d’investissement d’entreprises, capital risque, etc. Nous évaluons à environ 330 les organismes d’appui dans les sept pays ciblés en priorité par THE NEXT SOCIETY.
Lors de votre conférence de présentation, dans les locaux parisiens de la French Tech, vous avez beaucoup évoqué la « reverse innovation », dont vous semblez attendre beaucoup. Pourquoi ?
Emmanuel Noutary – La région est confrontée à de grands défis de développement. Par exemple l’urbanisation accélérée : on estime qu’en 2050 quelque 75 % de la population de ces pays vivront en ville, ce qui pose d’immenses enjeux d’accès aux ressources. La compétitivité industrielle, l’emploi des jeunes, la dépendance alimentaire, sont autant de défis qui appellent des réponses innovantes.
Dans ces pays où le PIB/habitant est huit fois inférieur à celui du nord de la Méditerranée, il est évident que les solutions que nous trouvons chez nous ne sont pas transposables. Les modèles économiques sont différents, et il faut donc trouver les solutions adaptées.
La « reverse innovation », c’est cette idée que les innovations développées dans les pays émergeants sont plus frugales, plus malines, et mettent en œuvre des modèles d’organisation plus participatifs qui peuvent inspirer le reste du monde et s’exporter. Vers les autres pays en développement en priorité, mais aussi vers les pays développés.
Une vue des participants à la conférence de lancement de « THE NEXT SOCIETY » à Paris, à la Station F de la French Tech, le 15 février 2018. © AfricPresse.Paris
Comment allez-vous vous organiser ?
Emmanuel Noutary – Notre action s’articulera autour de quatre axes. Le premier : améliorer les stratégies des pays et si possible les cadres réglementaires.
Concrètement, cela signifie que dans chacun des sept pays, nous allons organiser un dialogue entre acteurs privés innovants et l’ensemble des entités publiques chargées de la stratégie d’innovation : ministères de l’industrie, de la recherche, mais aussi de l’éducation et de l’enseignement supérieur, les ministères chargés de l’investissement, etc. L’idée est de décloisonner l’innovation, d’introduire de la transversalité par le dialogue entre les artisans de l’innovation et les opérationnels publics.
À partir de là, nous établirons des feuilles de route avec des priorités d’action que « THE NEXT SOCIETY » pourra soutenir en assistance technique et conseils, l’importation-adaptation d’expériences venues d’ailleurs… On peut ainsi apporter des moyens pour la mise en œuvre des recommandations proposées par les écosystèmes d’innovation.
Ces « panels de plaidoyer », comme nous les appelons, seront aussi ouverts aux bailleurs de fonds, notamment aux délégations de l’Union européenne présentes dans ces différents pays, et ces panels pourront ainsi contribuer, au-delà du projet « THE NEXT SOCIETY », à nourrir les réflexions futures de la Commission européenne pour lever les barrières à l’innovation.
Deuxième ligne d’action : les programmes d’accompagnement. Cela comprend l’installation d’une soixantaine de centres de transfert technologique, c’est-à-dire des bureaux qui sont chargés de transférer les travaux des laboratoires d’universités vers le secteur industriel privé. Nous les accompagnerons pour améliorer leur démarche commerciale, et nous essaierons de les introduire auprès de clients potentiels.
Dans le même temps, France Clusters pilote un programme de formation et d’internationalisation des clusters de Méditerranée, et mettra en place des jumelages avec des homologues européens. En plus de formations, voyages d’étude, les clusters bénéficieront de rencontres BtoB pour aider leurs membres à trouver des partenaires.
Vous avez aussi évoqué un accélérateur de startups…
Emmanuel Noutary – Oui ! Le troisième programme est précisément un accélérateur de startups. Pendant les quatre années de cette première phase, que nous souhaitons bien sûr pérenniser, l’accélérateur bénéficiera à quelque 200 startups. On va accompagner avec du mentorat [mentoring], des formations sur leur propriété intellectuelle, sur leurs levées de fonds, sur leur développement commercial… On les emmènera à l’international sur de grands événements d’affaires, on leur fera rencontrer des business angels mobilisés par le réseau européen des business angels (EBAN) et le réseau MENA (MBAN), prêts à miser sur des entreprises en phase d’internationalisation.
Comment comprendre la présence de Bpifrance et de GreenFlex parmi les premiers adhérents du Club « THE NEXT SOCIETY » ?
Emmanuel Noutary – Parallèlement, on monte effectivement un Club des partenaires « THE NEXT SOCIETY », dans lequel on veut emmener une vingtaine de grands acteurs privés ou institutions qui peuvent apporter des services supplémentaires à cette initiative en travaillant avec nous. Ils enrichiront l’offre d’incubation ou de mentorat d’entrepreneurs en les accueillant (soft landing) sur leurs sites européens pour les introduire sur les marchés à l’export. Ils pourront éventuellement apporter des capacités d’investissement, regarder le potentiel d’innovation transférable par les laboratoires des universités méditerranéennes, et en devenir éventuellement client.
Dans cette perspective, Bpifrance est avec nous pour son expertise, pour apporter sa capacité éprouvée à gérer des services de support à l’innovation qui peuvent inspirer d’autres pays.
Pour l’instant notre démarche peut en effet sembler très centrée sur la France, mais ce n’est qu’une phase de démarrage. Nous avons d’ores et déjà programmé une première conférence de sensibilisation en Catalogne, ainsi qu’à Bruxelles, probablement.
Vous étendrez-vous jusqu’en Afrique subsaharienne ?
Emmanuel Noutary – Oui ! Pour l’instant nous démarrons sur le premier rideau de la rive sud méditerranéenne, mais nous sommes disposés à étendre l’initiative vers l’Afrique subsaharienne, en fonction des partenaires que nous trouverons. Cette réunion d’information que nous tenons à Paris est un commencement.
« THE NEXT SOCIETY » est à la fois le nom du club et du programme ?
Emmanuel Noutary – THE NEXT SOCIETY, c’est surtout pour nous une forme de promesse. Celle d’affirmer et de prouver que l’avenir peut s’inventer autour de la Méditerranée, et inspirer à nouveau le reste du monde.
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*Tous nos articles sur l’événement « THE NEXT SOCIETY » :
> Lancement à Paris du Club des partenaires du mouvement THE NEXT SOCIETY - Emmanuel Noutary (ANIMA et « THE NEXT SOCIETY ») : « L’avenir qui s’invente en Méditerranée peut inspirer à nouveau le reste du monde »
> Lancement à Paris du Club des partenaires du mouvement THE NEXT SOCIETY - Isabelle Bébéar (Bpifrance) : « La Méditerranée-Afrique est une zone stratégique pour le développement des entreprises françaises »
> Lancement à Paris du Club des partenaires du mouvement THE NEXT SOCIETY - Bénédicte Faivre-Tavignot (HEC) : « L’innovation inversée venue des pays émergents peut permettre aux grandes entreprises de se réinventer »
> Lancement à Paris du Club des partenaires du mouvement THE NEXT SOCIETY - Kamel Haddar, multi-entrepreneur de l’innovation techno-sociale en Algérie : « Il faut aider la société par la jeunesse »
> Lancement à Paris du Club THE NEXT SOCIETY - Jérôme Auriac, DG GreenFlex : « The Next Society est un bon moyen faire remonter l’innovation à une grande échelle géographique »
> Lancement à Paris du Club THE NEXT SOCIETY - Mokhtar Zannad, PDG de Nielsen (Tunisie) : « Pour nous, l’innovation inversée Sud-Nord, c’est évident… allons-y ! Avançons ensemble ! »
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*THE NEXT SOCIETY est un mouvement porté par une communauté ouverte d’acteurs économiques et sociétaux (agences publiques, entreprises, startups, ONG...) d’Europe et des pays méditerranéens. Il vise à renforcer les écosystèmes d’innovation et développer la création de valeur ainsi que des solutions concrètes pour une prospérité partagée en Méditerranée, et demain, en Afrique. Initié par le réseau euro-méditerranéen ANIMA Investment Network, il réunit aujourd’hui plus de 300 organisations et 2 500 entrepreneurs. Il a démarré en 2017 avec un plan d’action pilote de 4 ans, cofinancé par l’Union européenne pour un montant de 7 millions d’euros.
Jusqu’en 2020, THE NEXT SOCIETY touchera directement plus de 190 incubateurs, accélérateurs et clusters, près de 60 centres de valorisation de la recherche et 300 entreprises de croissance afin de mobiliser, promouvoir et renforcer les nouveaux écosystèmes d’innovation dans 7 pays méditerranéens : Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Palestine, Jordanie et Liban.
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