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Emmanuel DUPUY, président de l’IPSE :
Pour l’avenir du Sahel, « le continuum entre sécurité et développement est indispensable »

1er décembre 2018
Emmanuel DUPUY, président de l'IPSE : Pour l'avenir du Sahel, « le continuum entre sécurité et développement est indispensable »
« Tandis que le spectre d’une longue guerre asymétrique ressurgit (…) seule une action de long terme permettra d’assécher le terreau qui rend les populations marginalisées », car la sécurité reste « la condition première du développement ». Mais « la Force conjointe du G5-Sahel tarde à les mettre pleinement en action, faute de volonté politique consensuelle de part et d’autre de la bande sahélo-saharienne. » Face à ce constat, l’IPSE prend une initiative pour la mise en place d’outils d’alerte précoce…

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Une Tribune libre d’Emmanuel DUPUY
Président de l’IPSE

(Institut Prospective et Sécurité en Europe)

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Les attentats qui ont ensanglanté les continents européen et africain depuis les années 2010 ont entraîné une prise de conscience de la complexité et la dangerosité d’un monde globalisé où, notamment face aux menaces terroristes, les frontières n’existent plus.
Nos ennemis, qui ont toujours agi sur plusieurs fronts (concomitamment dans la bande sahélo-saharienne, au Yémen, au Levant aujourd’hui, en Afghanistan et en Irak), ont franchi le « seuil » de notre porte et n’hésitent plus à nous frapper sur notre propre territoire.

Cinquante ans après la première guerre « hybride » en Algérie, le spectre d’une « longue » guerre asymétrique ressurgit. Depuis la fin de la guerre froide, nous devons faire face à des menaces asymétriques bien plus qu’au risque « codifié » d’une guerre classique infra-étatique, a priori sur le continent européen ou dans son voisinage oriental et méridional, notamment dans la bande sahélo-saharienne.

Dans la logique de la « relativité » de la victoire dans les conflits asymétriques, et l’impossibilité de conclure un cessez-le-feu avec les groupes armés terroristes, seule une action de long terme permettra d’« assécher » le terreau qui rend les populations marginalisées et les territoires périphériques devenir des terres d’ancrage et des viviers de recrutement des organisations terroristes djihadistes et autres groupes criminels, aux destinées et objectifs bien souvent imbriqués.

La « sécurité est la condition première du développement », comme l’a rappelé le Général Francis Behanzin, Commissaire aux Affaires politiques, paix et sécurité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), lors d’un sommet conjoint avec la CEEAC (Afrique de l’Est) les 30 et 31 juillet 2018, à Lomé au Togo (1). Si la sécurité conditionne le développement, l’une comme l’autre ne sauraient faire abstraction de leur indispensable appropriation, compréhension et mutuelle mise en œuvre et compréhension par les sociétés civiles, les élus locaux et l’Etat.

Les actions civilo-militaires sont ainsi un enjeu essentiel pour une meilleure acceptation des forces en présence par les populations locales et, combinées avec des enjeux de développement, elles demeurent un outil efficace d’image et de perspective d’actions d’après-crise. Le contexte démographique confirme que les vrais problèmes sont devant nous : 100 millions de Sahéliens seront nés d’ici 2025, et avec un taux de fécondité de 7,7 enfants par femme, le Niger comptera près de 90 millions d’habitants.

Du tournant stratégique :
de l’Opération Barkhane à l’Alliance Sahel

L’Opération Barkhane, qui a succédé à Serval (11 janvier 2013-1er août 2014), constitue un tournant stratégique dans la lutte contre le terrorisme. Elle s’inscrit dans une logique de régionalisation pour contrer un ennemi qui s’affranchit sans difficulté des frontières. Elle s’appuie sur un partenariat avec les forces armées des pays partenaires du G5 Sahel créé en février 2014 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad).

L’enjeu réside dans la transformation d’une opération militaire frontale de contre-terrorisme au Mali à celle, nettement plus “globale”, de lutte contre la résilience terroriste résiduelle dans la région sahélo-saharienne avec un indispensable continuum entre sécurité et développement.

Ainsi est née l’idée de créer une « Alliance pour le Sahel », proposée par la France, en juillet 2017, par le truchement, notamment, de la nouvelle stratégie de l’AFD « vulnérabilités aux crises, fragilités et résilience », partie la plus innovante du Plan d’Orientation stratégique présenté par Rémi Rioux, son directeur général, en septembre dernier. Elle est soutenue par nos partenaires allemands, britanniques, italiens, espagnols, finlandais, luxembourgeois, de l’UE, du PNUD, de la Banque mondiale qui prévoient de mobilier 9 milliards d’euros et réaliser 600 projets.

Objectifs : renforcer l’employabilité des jeunes, l’éducation et la formation ; l’agriculture et la sécurité alimentaire ; le climat et les énergies vertes ; la gouvernance, les systèmes judiciaires et la lutte contre la corruption ; et, in fine, le retour des services de base, notamment au travers de l’appui à la décentralisation.

Des fonds trop faiblement décaissés

La mobilisation des fonds est cruciale. À ce jour, seuls 10 % des 413 millions promis pour le G5 Sahel à l’aune de la conférence des donateurs de Bruxelles, en février 2017, ont été décaissés. Les résultats concrets des premières opérations menées par la Force conjointe du G5-Sahel sont attendus dans la lutte contre les groupes armés terroristes, dont les deux principaux que sont le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (JNIM/GSIM) né du regroupement des mouvements Ansar Dine, MUJAO et AQMI-al Mourabitoune, en mars 2017, sous l’égide de l’ex rebelle touareg Iyad Ag Ghali ; et l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS), émanation de Daech dans la bande sahélo-saharienne, depuis sa création en mai 2015, à l’initiative de Adnane Abou Walid al-Sahraoui.

Cette nouvelle « vision » liant sécurité et développement est voulue comme complément diplomatique et économique à l’opération militaire française pour faire face à la recrudescence et la progression dans l’espace géographique de la menace des groupes armés terroristes (GAT). Sera-elle, néanmoins, de nature à stabiliser la région sahélienne après la phase de sécurisation ?

Près de 400 attaques terroristes en 2016-2017…

Près de 30 000 hommes sont actuellement mobilisés pour la sécurité de la bande sahélo-sahélienne, soit un coût/jour de 4 millions d’euros ! Le dispositif Barkhane rassemble 4 500 soldats, aux côtés d’une force onusienne de stabilisation (Minusma) mobilisant 12 000 hommes, rien qu’au Mali, auxquels s’ajoutent les missions de formations européennes (EUTM au Mali, EUCAP Sahel au Niger…), ainsi que les forces armées des pays concernés et les 4 000 à 5 000 hommes de la Force conjointe du G5-Sahel.

Malgré cela, les années 2016 et 2017 ont été particulièrement meurtrières selon l’ONU : près de 400 attaques ont provoqué le décès de près de 400 personnes, dont la moitié sont des civils ; sans compter plus d’une cinquantaine de militaires maliens tués, près d’une centaine de Casques bleus tués depuis 2014 - rien que 23 en 2017 – sans oublier les 22 militaires français décédés depuis 2013.

La Minusma bénéficie de moyens considérables, mais ne dispose pas des capacités offensives malgré son mandat onusien. La Force conjointe du G5-Sahel tarde à les mettre pleinement en action, faute de volonté politique consensuelle de part et d’autre de la bande sahélo-saharienne.
La bonne application de l’Accord d’Alger, signé en mai 2015, voulue comme une démarche à une indispensable réconciliation nationale au Mali, demeure le nœud gordien de l’agenda sécuritaire dans la région.

Les jeunes sahéliens sont d’autant plus aisément recrutés par les organisations terroristes ou narco-criminelles, que l’État continue d’être – au mieux – absent et – au pire – la cause même du sentiment d’injustice ou d’exclusion dans de nombreuses régions marginalisées. Cette question a été débattue, à l’occasion de la première édition du Forum de Paris pour la Paix.

Une initiative de l’IPSE

L’IPSE a engagé avec ses partenaires du Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s), avec le soutien de l’AFD, une réflexion autour de la mise en place d’outils d’alerte précoce, de prévention et d’anticipation des situations de fragilité au Sahel.

La question de la gouvernance et de l’appropriation sera de nouveau au cœur de cette réflexion, comme en témoigne l’initiative prise par le député Jacques Maire, Président du groupe d’amitié France-Niger, visant à réunir, à Paris, le 13 décembre prochain, l’ensemble des parlements des pays du G5-Sahel et de l’Alliance Sahel.

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1 - Dans le cadre d’un sondage réalisé par l’IPSE et l’institut de sondage Opinions en Régions, dont les résultats de la troisième édition augmentée seront présentés lors de la IVe édition des Entretiens de Brazzaville, le 13 décembre prochain.

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