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Emmanuel DUPUY (IPSE) : Quels enjeux, quels défis pour le Togo à l’heure de l’élection présidentielle ?

22 février 2020
Emmanuel DUPUY (IPSE) : Quels enjeux, quels défis pour le Togo à l'heure de l'élection présidentielle ?
Les quelques 3,5 millions de Togolais en âge et condition de voter élisent leur président, ce samedi 22 février 2020. Depuis le dernier scrutin législatif, en décembre 2018, le pays a conforté sa croissance, confirmé la réduction de son déficit budgétaire, de son taux de chômage et son endettement public. Mais ces avancées ne mettent pas pour autant le Togo à l’abri des dangers, notamment sécuritaires. Tour d’horizon.

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Une contribution d’Emmanuel DUPUY,
Président de l’Institut prospective et Sécurité en Europe (IPSE)

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Comme lors du dernier scrutin de 2015, l’actuel président, Faure Gnassingbé, qui termine son troisième mandat, devrait retrouver face à lui son adversaire traditionnel, en la personne du président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), Jean-Pierre Fabre, mais également, Agbéyomé Kodjo, ancien Premier ministre, qui s’est lancé dans une campagne offensive.

Tout comme lors du dernier scrutin législatif du 20 décembre 2018, qui avait vu le parti présidentiel de l’Union pour la République (UNIR) remporter 59 des 91 sièges de l’Assemblée nationale, quoique boycotté par 14 partis d’opposition, les conditions de vie des Togolais devraient être, de nouveau, au cœur des enjeux électoraux.

La vivacité politique du Togo est bien connue. Ce sont ainsi désormais plus de cent partis politiques qui y coexistent. L’adoption d’un statut « officiel » de l’opposition et de son chef de file, Jean-Pierre Fabre, a ainsi contribué au renforcement des droits et moyens d’action de l’opposition, ainsi que de la représentation équitable de l’opposition dans le Bureau de l’Assemblée nationale et la présidence des commissions parlementaires.

L’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) en collaboration avec l’institut de sondage Afrique Opinion, avait, du reste, pu constater dans leur étude « Togoscopie » que les 5 000 Togolais interrogés – entre le 20 octobre et 18 novembre 2018, en amont du scrutin du 20 décembre – considéraient, en effet, que les réformes structurelles engagées depuis une quinzaine d’années, qui ont permis de renouer avec une croissance soutenue de 5 % en moyenne sur la période, avaient contribué (pour 40 % d’entre eux) à rendre meilleures les conditions de vie dans leur pays, en comparaison de celles de leurs voisins ghanéen, burkinabais et béninois.

Une situation économique améliorée

Depuis, plusieurs classements internationaux, à l’instar du rapport de référence « Doing Business » de la Banque mondiale, sont venus confirmer que c’est, sans doute, sur le plan économique que la situation est la meilleure, en plaçant désormais le Togo dans le Top 100 mondial en se classant 97e en matière de facilitation des affaires. Lomé gagne ainsi 40 places entre 2018 et 2019, soit la plus forte progression au monde au cours des deux dernières années. Le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi félicité, en décembre dernier, le Togo pour sa réussite économique.

La croissance devrait d’ailleurs continuer de s’accélérer, confirmant que les 4,9 % en 2018, les 5,3 % en 2019 pourrait atteindre 5,5 % en 2020, comme est venu l’indiquer récemment le FMI. La réduction significative du déficit budgétaire et de la dette publique sont les éléments les plus déterminants de cette embellie économique, comme le constatait le FMI, à l’occasion de son rapport de juillet 2019. Déjà, celui de la Banque mondiale, en décembre 2017, confirmait que le développement du secteur privé et le renforcement des partenariats publics-privés était indispensable à la réalisation du projet structurant « Togo Vision 2030 », visant à faire du Togo un pays émergent à cette échéance.

Un projet naguère porté par l’universitaire et ancien ministre Kako Nubukpo, pourfendeur depuis du CFA et auteur du récent ouvrage « L’urgence africaine : changeons le modèle de croissance ». Ce dernier rappelle à juste titre que l’investissement dans les infrastructures devrait être l’objectif prioritaire, eu égard aux quelques 65 à 108 milliards de dollars à investir annuellement sur le continent, et que le FMI pointe du doigt régulièrement comme faisant perdre 1 à 2 points de croissance à l’Afrique.

En 2019, le taux d’endettement du Togo a atteint 67,3 %, alors qu’il avoisinait les 80 % en 2016. Il en va aussi ainsi sur le plan des réformes structurelles importantes, notamment dans le secteur financier, favorisant ainsi une croissance « plus inclusive » permettant d’augmenter l’investissement privé et de créer des emplois de meilleure qualité.

Après une baisse du taux de chômage, passé entre 2011 et 2015 de 6,5 % à 3,4 %, le Togo a mis en œuvre son Plan National de Développement (PND) sur la période 2018-2022, avec comme objectif principal de transformer structurellement l’économie pour une croissance forte, durable, résiliente et inclusive.

Le gouvernement a également fixé la baisse du taux de chômage à 2,6 % à l’horizon 2022. Par ailleurs, entre 2006 et 2017, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a fortement diminué, soit près de 14 % en moins en dix ans.

Champion africain de la création d’entreprises

Il est également un autre domaine sur lequel le Togo peut être à juste titre cité en exemple : celui de la dématérialisation et de la numérisation administrative. Car Lomé s’inscrit désormais dans l’ère de la modernité numérique. À titre d’exemple, le projet e-Gouvernement a permis de raccorder tous les bâtiments publics de Lomé à l’Internet haut débit par fibre optique et de créer un centre des opérations réseau (Network Operations Center).

Cela est également vrai dans le domaine du foncier. En 2019, un guichet unique du foncier a été créé pour réduire le coût et les délais d’obtention des documents de propriété individuelle. Créer une entreprise se fait ainsi désormais en une demi-journée. Des mesures qui ont permis la création, concrètement, de 56 606 entreprises depuis les cinq dernières années.

Le Togo est ainsi régulièrement présenté comme moteur sur le plan des réformes au niveau continental et international. Plusieurs indicateurs en attestent, tant pour la création d’entreprises que pour l’accès à l’énergie, où le pays occupe respectivement la première et la septième place en Afrique.

Une menace sécuritaire toujours prégnante

Pourtant, le Togo n’est pas à l’abri des dangers et écueils à son développement, tant s’en faut, notamment sur le plan de la menace sécuritaire, contingente à la mutation et migration des groupes armés terroristes (GAT) de l’espace sahélo-saharien qui menacent désormais l’ensemble des pays riverains du Golfe de Guinée – Togo, Bénin et Ghana notamment.

C’est pourtant au Togo que l’on redoute plus particulièrement la menace terroriste, à l’aune de l’appel conjoint au jihad des peuls, lancé par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) de Iyad Ag Ghaly et la Katiba Macina d’Amadou Koufa.

Les forces de sécurité togolaises en sont convaincues, depuis qu’à l’occasion de l’opération Otuapanu, initiée en mars 2019, avait été démontré que la porosité des frontières avec le Burkina Faso permettait sans doute à des éléments du GSIM et de l’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) d’Adnane Abou Walid Al Sahraoui, de se réfugier au Togo.

Cette menace nouvelle et grandissante, qui pourrait fortement contraindre la stabilité qui sied aux projets de développement engagés, a ainsi induit la création, en mai 2018, du Comité interministériel de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent (CIPLEV). Il y a quelques jours, le président Faure Gnassingbé, en campagne dans la région des Savanes, au Nord-Ouest du pays, affirmait que la menace était bien réelle, que la pression djihadiste était « très forte », rappelant que les forces armées togolaises avaient mené, en septembre 2018, lors de l’opération Koundjoaré, des combats contre les GAT jusqu’à sept kilomètres à l’intérieur du territoire togolais.

Le scénario catastrophe burkinabais
et la bataille de légitimité

Alors que l’accès des filles à l’éducation dans les zones les plus pauvres a été facilité, à l’instar de la distribution de près d’un million de livres scolaires et de la construction et réhabilitation des salles de classes, le scénario-catastrophe burkinabais est dans tous les esprits. Car, ce sont désormais plus de 300 000 élèves qui se trouvent dans l’incapacité d’aller à l’école dans le nord et nord-ouest du Burkina-Faso, alors que 2 000 écoles ont fermé, l’année dernière.

Le Togo, qui est depuis 2015 signataire du Traité international sur le commerce des armes, entend ainsi lutter plus particulièrement sur le trafic des armes légères et de petit calibres (ALPC) qui constitue l’un des éléments fédérateurs de l’ancrage des GAT dans les territoires périphériques, où la présence de l’État est perçue, et le plus souvent vécue, comme trop distante, voire défaillante.

C’est aussi sur le front de l’électrification du pays et de l’accès à l’eau pour ses citoyens que se joue cette bataille de légitimité et de perception quant à l’action efficace et pérenne de l’État. Si le prix de l’eau n’a pas été revu à la hausse depuis 2001, ce sont aussi, 485 543 foyers supplémentaires qui ont été électrifiés. Une hausse s’inscrivant dans l’accroissement constant des foyers électrifiés depuis 2005, soit un chiffre record de + 287 %.

Le sondage que l’IPSE et Afrique Opinion avaient mené en octobre-novembre 2018 avait ainsi, sans doute, mis en exergue l’enjeu principal du scrutin à venir. Celui de la confiance dans un pays fragile à réunifier, face à l’ensemble de ces défis et opportunités.

Exprimant leurs opinions sur l’évolution de la situation politique et socio-économique, l’échantillon représentatif des Togolais interrogés dans les six régions administratives du pays faisaient ainsi apparaître en 2018 que ces derniers estimaient peu ou prou à un tiers (35 %) que la situation s’était plutôt améliorée depuis 2013, alors qu’un autre tiers (34 %) pensait que la situation s’était, au contraire, détériorée et qu’enfin, le dernier tiers (30 %) qu’elle n’avait évolué.

Le prochain président devra ainsi convaincre ces trois blocs – plus ou moins homogènes – que si les réformes structurelles prennent du temps, elles n’en demeurent pas moins longtemps les meilleurs remparts contre l’insécurité et l’instabilité.

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