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Pr Abderrahmane Mebtoul (Algérie) :
« Pour un dialogue de tolérance entre le monde musulman et l’Occident »

21 mars 2018
Pr Abderrahmane Mebtoul (Algérie) : « Pour un dialogue de tolérance entre le monde musulman et l'Occident »
Selon l’économiste algérien Pr Abderrahmane Mebtoul, expert international et professeur des Universités, « la crise actuelle en ce début du XXIe siècle n’est pas seulement économique, mais également et surtout une profonde crise morale devant se fonder sur une profonde rénovation de la perception du monde. » Dans cette contribution, il nous propose « d’analyser, très succinctement, les relations entre le monde musulman et l’Occident, qui doivent se fonder sur la base du respect mutuel et de la tolérance. »

Tribune Libre, par le Pr Abderrahmane Mebtoul, économiste expert
international et professeur des Universités (Algérie)

Depuis que le monde est monde nos sociétés vivent d’utopie. Comme le dit l’adage populaire, l’espoir fait vivre. D’ailleurs, au niveau des sociétés, nous assistons à une pièce de théâtre où chacun a un rôle déterminé, les pouvoirs en place avec leurs cours et leurs discours contribuant à cette utopie. Les guerres et les révoltes sociales en sont le contrepoids.

Les messages de paix, de tolérance fondés sur le dialogue productif, tant au niveau planétaire qu’au sein des sociétés, sont–ils des messages d’utopie ou seront-t-ils concrétisés dans un avenir proche pour éviter, par exemple, que la religion ne soit utilisée à des fins de tension entre le monde musulman et l’Occident, comme arme de guerre fratricide ?

C’est que les guerres de religion ont fait recette – rappelons les guerres entre catholiques et protestants, la persécution des juifs – et l’on a pu, paradoxalement, utiliser ces termes antinomiques de « guerre sainte », alors que les livres saints ont pour fondement tolérance et respect d’autrui.
Or, depuis de longues années, je suis convaincu, avec de nombreux intellectuels de différentes sensibilités et nationalités, que la symbiose des apports du monde musulman et de l’Occident par le dialogue des cultures – Islam, Judaïsme et Christianisme étant des religions de tolérance, pour ne citer que ces grandes religions monothéistes –, devant respecter toute croyance de chacun, permettront d’éviter ces chocs de civilisations préjudiciables à l’avenir de l’humanité.

Le renforcement des relations entre le monde musulman et l’Occident, la promotion des synergies culturelles, économiques, politiques sont seules à même d’intensifier une coopération pour un développement durable ente le Nord et le Sud, et ce afin de faire de notre univers un lac de paix d’où seront bannis l’extrémisme, le terrorisme et la haine, passant par une paix durable au Moyen Orient, ce berceau des civilisations où les populations juives et arabes partagent une histoire millénaire de cohabitation pacifique.

Sociétés civiles et fécondation réciproque des cultures

Il existe des spécificités sociales nationales dont il convient de tenir compte car elles sont source d’enrichissement mutuel, permettant de communiquer avec des cultures lointaines à travers des réseaux décentralisés auxquels la société civile – intellectuels, diplomates, entrepreneurs, médias grâce au rôle important de l’Internet – doit jouer une fonction stratégique, car les nouvelles relations internationales fondées sur les relations personnalisées entre chefs d’État ont de moins en moins d’effets.

Ces réseaux doivent favoriser les liens communicationnels, les aires de liberté dans la mesure où les excès du volontarisme collectif inhibent tout esprit de créativité. Dans ce cadre, il y a lieu d’accorder une attention particulière à l’action éducative, car l’homme pensant et créateur devra être à l’avenir le bénéficiaire et l’acteur principal du processus de développement.
C’est pourquoi je préconise la création de grands pôles par grands continents (universités et de centres de recherches) loin de tout esprit de domination, comme moyen de fécondation réciproque des cultures, et la concrétisation du dialogue soutenu pour éviter les préjugés et les conflits sources de tensions inutiles.
Le monde musulman et l’Occident représentent deux régions géographiques présentant une expérience millénaire d’ouverture et d’enrichissements mutuels, tant sur le plan économique que culturel. Certes nous avons assisté au déclin du monde musulman, notamment sur le plan de la recherche scientifique, alors que par le passé il était pionnier.

Six objectifs communs et solidaires

Pour un devenir commun, il est indispensable que la majorité des dirigeants du monde musulman – qui ont une lourde responsabilité de la situation de misère de leur population faute d’une bonne gouvernance, bien qu’il existe des exceptions, certains pays étant devenus émergents – et l’Occident développent toutes les actions qui peuvent être mises en œuvre pour réaliser des équilibres souhaitables à l’intérieur de cet ensemble, et ce afin de favoriser six objectifs solidaires.

Premièrement : l’État de droit et la démocratie politique, en tenant compte des anthropologies culturelles car une société sans sa culture et son histoire est comme un corps sans âme.

Deuxièmement : l’économie de marché concurrentielle à vocation sociale, loin de tout monopole, qu’il soit public ou privé.

Troisièmement : la concertation sociale et les échanges culturels par des débats contradictoires.

Quatrièmement : la mise en œuvre d’affaires communes, en n’oubliant jamais que les entreprises sont mues par la seule logique du profit et que dans la pratique des affaires il n’y a pas de sentiments. Mais l’on doit éviter que la logique du profit ne détruise les liens sociaux, d’où l’importance stratégique de l’État régulateur conciliant les coûts sociaux et les coûts privés.

Cinquièmement : intégrer l’émigration. Ciment des liens culturels, elle peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération et de ce dialogue nécessaire, de ce rapprochement du fait qu’elle recèle d’importantes des potentialités cultuelles, économiques et financières.
La promotion des relations entre l’Orient et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées.

Sixièmement : tout en tenant compte effectivement de sa situation socio-économique, l’Occident doit favoriser la libre circulation des personnes, tout en engageant un véritable co-développement – à ne pas confondre avec l’assistanat – au profit des pays musulmans en retard, tenant compte du nouveau défi écologique qui devrait entraîner des mutations tant économiques que socioculturelles, voire politiques.

« Un monde cruel et dangereusement déséquilibré »

L’objectif stratégique est de repenser l’actuel système économique mondial, et donc la représentation au niveau des institutions internationales, le système actuel favorisant la bipolarisation Nord/Sud, la pauvreté préjudiciable à l’avenir de l’humanité avec des poches de pauvreté croissant même dans les pays développés, un phénomène d’ailleurs accéléré par les gouvernances les plus discutables de la part de certains dirigeants du Sud.

La population mondiale s’élève actuellement à 7,6 milliards et devrait atteindre 8,6 milliards en 2030, 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100, selon un récent rapport des Nations Unies.
Or, sur plus de 7 milliards d’âmes, les 2/3 sont concentrées au sein de la zone Sud avec moins de 30 % des richesses mondiales : en ce début du XXIe siècle, des disparités de niveau de vie criantes font de notre planète un monde particulièrement cruel et dangereusement déséquilibré.
L’abondance et l’opulence y côtoient d’une manière absolument insupportable la pauvreté et le dénuement. Le revenu moyen des 20 pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 20 pays les plus pauvres, situés en Afrique sub-saharienne, en Asie du Sud et en Amérique Latine.

Quand on sait que, dans les vingt-cinq prochaines années, la population mondiale augmentera de deux milliards d’individus – dont 1,94 milliard pour les seuls pays en voie de développement – on peut imaginer aisément le désastre qui menace cette partie de l’humanité si rien de décisif n’est entrepris. Faute de relever le défi de lutte contre la pauvreté, le sous-développement d’une grande partie de l’humanité constituera au cours des années à venir une menace pour les pays développés et, d’une manière générale, pour l’ensemble du monde .

"L’histoire commune
nous impose d’entreprendre ensemble"

En résumé, les relations entre l’Occident et le monde musulman, sont souvent passionnées, surtout récemment avec l’avènement du terrorisme que l’on impute à tort à la religion de tolérance qu’est l’Islam.
Espérons que les tensions seront dépassées, dans le cadre des intérêts bien compris de chaque nation, notamment sur le plan sécuritaire, car le terrorisme étant une menace planétaire.
Le devenir solidaire conditionne largement la réussite de cette grande entreprise qui interpelle notre conscience commune. Le repli sur soi serait préjudiciable à notre prospérité commune et engendrerait d’inéluctables tensions sociales.
Tout cela renvoie à des enjeux géostratégiques de première importance qui concernent l’humanité, comme une gouvernance rénovée à l’échelle mondiale et concernant l’ensemble des outils et des méthodes de gestion des affaires de la Cité.
En effet, avec l’interdépendance accrue de nos sociétés, les nouvelles mutations mondiales – avec l’avènement de la quatrième révolution économique – préfigurent, à l’horizon 2020/2030, un important bouleversement géostratégique avec la montée en puissance des pays de l’Asie, dont la Chine au premier rang.
Face à cette fin de l’unilatéralisme [américain] et confrontés aux pressions sociales, les gouvernants ne sont-ils pas toujours enclins à inventer un ennemi à combattre ? Dans la nature innée des hommes ne se trouve t-il pas le penchant vers la tyrannie et l’oppression mutuelle, comme l’a rappelé le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun ?
Pourtant, l’histoire commune nous impose d’entreprendre ensemble. Comme le dit l’adage arabe avec une profonde philosophie, « une seule main ne saurait applaudir ». C’est le modeste message de cette contribution aux dirigeants du monde musulman et de l’Occident.

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