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Dr Abderrahmane MEBTOUL : Les cinq conditions préalables au succès de la privatisation partielle via la Bourse d’Alger

21 décembre 2020
Dr Abderrahmane MEBTOUL : Les cinq conditions préalables au succès de la privatisation partielle via la Bourse d'Alger
« Sans vision stratégique, stabilité juridique et monétaire, ainsi que des comptes transparents, la privatisation partielle via la bourse d’Alger est-elle réalisable ? » fait mine de s’interroger le Pr Abderrahmane Mebtoul. Car en vérité sa réponse est un plaidoyer pour un énorme programme de réformes, conditions préalables à une amorce de privatisation réussie.

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Une contribution du Dr Abderrahmane MEBTOUL*
Professeur des universités, expert international

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Face aux tensions budgétaires où le déficit budgétaire selon le PLF 2021, serait de 21,75 milliards de dollars en 2021 (avec un cours de 128 dinars pour 1 dollar, au moment de l’adoption de cette loi), contre 18,60 milliards de dollars et un déficit global du trésor prévu de 28,26 milliards de dollars à la clôture 2020, face aussi au manque de dynamisme du secteur public – les assainissement supportés par le Trésor public ayant largement dépassés 100 milliards de dollars entre 2000/2020 –, certains responsables évoquent une privatisation partielle par la bourse d’Alger, tant pour certaines entreprises publiques que pour quelques banques.

Je me propose de livrer ici quelques remarques et propositions sur les finalités du processus de privatisation, qu’il soit partiel ou total. Mon expérience en tant que président du conseil national des privatisations entre 1996/1999, sous la période du président Liamine Zeroual, m’amène à formuler cinq conditions de la privatisation via la bourse d’Alger, supposant une clarté dans les objectifs et les moyens de mise en œuvre.

PREMIÈREMENT, il ne peut y avoir de bourse fiable sans une vision stratégique des réformes. Paradoxalement, avec pour seul souci de combler le déficit budgétaire, sans vision stratégique, certains responsables évoquent la privatisation par l’apport du privé au moment où – avec l’impact de la crise du coronavirus et le monde dont les ondes de choc selon le FMI, la banque mondiale et l’OCDE sur la croissance mondiale se feront sentir jusqu’en 2021, sous réserve de la maîtrise de l’épidémie – la majorité des entreprises ont recours aux États pour leur survie.
En fait, la majorité des entreprises publiques souffrent d’un déficit structurel. Endettées vis-à-vis des banques, certaines dont les techniques de production sont obsolètes, ne répondent pas aux nouvelles technologies et aux normes internationales.

Certes, le constat est le manque de dynamisme du secteur public, les assainissements supportés par le Trésor public ayant largement dépassé 100 milliards de dollars à prix constants entre 2000/2020, conséquence du coût des différentes restructurations entre 1980/1999, qui s’ajoutent aux assainissements pour la période 2000/2020.
Ce ne sont que des annonces, car étant un processus éminemment politique, toute décision sur un sujet aussi sensible et complexe doit avoir d’abord l’aval du conseil des Ministres, certainement après consultation du conseil de sécurité, car engageant la sécurité nationale.
L’on ne doit pas confondre privatisation et démonopolisation complémentaire, processus tous deux éminemment politiques, marquant le désengagement de l’État de la sphère économique afin qu’il se consacre à son rôle de régulateur stratégique en économie de marché.

La privatisation est un transfert de propriété d’unités existantes vers le secteur privé, et la démonopolisation consiste à favoriser l’investissement privé nouveau. L’objectif de la démonopolisation et celui de la privatisation doivent renforcer la mutation systémique de la transition d’une économie administrée vers une économie de marché concurrentielle. Un texte juridique n’est pas suffisant, ce n’est qu’un moyen et devient un leurre s’il n’y a pas d’objectifs cohérents clairement définis avec pragmatisme et un retour à la confiance.

La privatisation ne peut intervenir avec succès que si elle s’insère dans le cadre d’une cohérence et visibilité de la politique socio-économique globale et que si elle s’accompagne d’un univers concurrentiel, un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux, mettre fin à l’instabilité juridique, la rénovation de toutes les structures du ministère des Finances à travers sa numérisation, fiscalité, domaine, banques, douane. Comme il faut dans le cadre de la politique économique globale, analyser lucidement les impacts de l’Accord d’Association de libre échange l’Europe, toujours en négociations pour un partenariat gagnant-gagnant, de la zone de libre échange avec l’Afrique, avec le monde arabe, ainsi que tous les accords internationaux, l’Algérie ne pouvant exporter que si elle possède des entreprises publiques ou privées concurrentielles en termes de coûts/qualité.

DEUXIÈMEMENT, la bourse d’Alger est en léthargie depuis sa création, ayant construit un stade sans joueurs et, paradoxe, ayant introduit par injonctions administratives certaines entreprises publiques déficitaires, achetant des entreprises déficitaires, oubliant que dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments.

ll s’agira de lever la contrainte majeure qu’est la bureaucratie centrale et locale paralysante, renvoyant à la refonte du système sociopolitique, avec pour objectif la décentralisation autour de quatre à cinq pôles régionaux, ce qui ne saurait signifier déconcentration (Cf. « Mondialisation, réformes et privatisation », ouvrage de A. Mebtoul, Office des Publications Universitaires, Alger, 1981 - 2 volumes de 500 pages 1981 reproduits dans Editions Amazon, Paris, 2018).

Il ne peut y avoir de bourse fiable sans la concurrence, évitant les instabilités juridiques renvoyant à un État de droit. Nos responsables sont-ils conscients qu’existe un marché mondial de la privatisation, où la concurrence est vivace et où le facteur déterminant est la demande avec la prise en compte du goodwill (demande potentielle) et pas seulement l’offre, et qu’il faut éviter que certains prédateurs ne soient intéressés que par les actifs immobiliers et non pas par l’outil de production ?

TROISIÈMEMENT : une bourse doit se fonder sur un système bancaire rénové. Or, le système financier algérien depuis des décennies est le lieu par excellence de la distribution de la rente des hydrocarbures, et un enjeu énorme de pouvoir.

La dynamisation de la bourse passe forcément par la refonte du système financier. En effet, malgré le nombre d’opérateurs privés, nous avons une économie de nature publique avec une gestion administrée, la totalité des activités, quelles que soient leur nature, se nourrissant de flux budgétaires, de la capacité réelle du trésor.

On peut considérer que les banques en Algérie opèrent non plus à partir d’une épargne puisée sur le marché, mais par les avances récurrentes (tirage : réescompte) auprès de la banque d’Algérie pour les entreprise publiques qui sont ensuite refinancées par le trésor public sous forme d’assainissement – et pas seulement pour la période récente, il faut compter aussi les coûts de la restructuration entre 1980/1990.

Cette transformation n’est pas dans le champ de l’entreprise mais se déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente des hydrocarbures) et dans cette relation, le système financier algérien reste passif. Plus de 90 % de ces entreprises sont revenues à la case départ, montrant que ce n’est pas une question de capital argent, la richesse réelle supposant la transformation du stock de monnaie en stock de capital – et là est toute la problématique de développement.

QUATRIÈMEMENT : il ne peut y avoir de bourse sans la résolution des titres de propriété qui doivent circuler librement, segmentés en actions ou obligations renvoyant d‘ailleurs à l’urgence de l’intégration de la sphère informelle par la délivrance de titres de propriété, comme il ne peut y avoir de bourse des valeurs fiables sans des comptabilités claires et transparentes calquées sur les normes internationales, par la généralisation des audits et de le comptabilité analytique afin de déterminer clairement les centres de coûts pour les actionnaires. Cela pose la problématique de la refonte du système comptable et de l’adaptation du système socio-éducatif, l’ingénierie financière étant inexistante dans le pays.

Le poste services au niveau de la balance des paiements avec des sorties de devises 2010/2019 varie entre 9 et 11 milliards de dollars par an, qui s’ajoutent aux sorties de devises des biens d’importations. Existant quelques rares exceptions, il se trouve que dans leurs état actuel, les comptes des entreprises publiques et privées algériennes, de la plus importante à la plus simple, sont en contradiction avec les audits les plus élémentaires.
À titre d’ exemple, Sonatrach a besoin d’un nouveau management stratégique à l’instar de la majorité des entreprises algériennes, avec les comptes clairs afin de déterminer les coûts par sections. Or, nous assistons à l’opacité de la gestion de Sonatrach, qui se limite à livrer les comptes globaux consolidés sans distinguer si le surplus engrangé est dû à des facteurs exogènes, prix au niveau international, ou à une bonne gestion interne.

CINQUIÈMEMENT : pour attirer les opérateurs tant nationaux qu’internationaux, s’impose la stabilité monétaire et juridique, ainsi que la résolution des dettes et créances douteuses. Or, les banques publiques croulent sous le poids de créances douteuses et la majorité des entreprises publiques sont en déficit structurel, surtout pour la partie libellée en devises supposant des mécanismes transparents en cas de fluctuation du taux de change.

À titre d ’exemple, nous assistons à une instabilité monétaire qui ne permet pas des prévisions à moyen terme sur la rentabilité des actifs. Pour la période de 2001 au 18 décembre 2020, nous avons la cotation suivante :
– 2001 : 77,26 dinars un dollar ; 69,20 dinars un euro.
– 2005 : 73,36 dinars un dollar ; 91,32 dinars un euro.
– 2010 : 74,31 dinars un dollar ; 103,49 dinars un euro.
– 2015 : 100,46 dinars un dollar ; 111,44 dinars un euro.
– 2016 : 100,46 dinars un dollar ; 111,44 dinars un euro.
– 2017 : 110,96 dinars un dollar ; 125,31 dinars un euro.
– 2018 : 116,62 dinars un dollar ; 137,69 dinars un euro.
– 2019 : 119,36 dinars un dollar ; 133,71 dinars un euro.
– 18 décembre 2020 : 132,1909 dinars un dollar ; et 161, 3919 dinars un euro.

La dépréciation simultanée du dinar par rapport au dollar et l’euro, principales monnaies d’échange, ne répond pas aux valeurs en bourse où la cotation est inversement proportionnelle, ayant pour but essentiel de combler artificiellement le déficit budgétaire, assimilable à un impôt indirect.

Ainsi, le gouvernement actuel projetant pour 2023 environ 185 dinars un euro et 156 dinars pour un dollar, et en prenant un écart de 50 % par rapport au marché parallèle, nous aurons environ 300 dinars un euro minimum en 2023, sous réserve de la maîtrise de l’inflation, sinon l’écart serait plus important, avec une projection de 240/250 euros fin 2021 en cas d’ouverture des frontières et l’inévitable hausse des taux d’intérêts des banques primaires pour éviter leurs faillites.

Avec 98 % des recettes en devises, y compris les dérivées provenant des hydrocarbures permettant des réserves de change qui tiennent la cotation à plus de 70 %, si fin 2021, les réserves de change clôturent à 10/15 milliards de dollars fin 2021, début 2022, la banque d’Algérie devrait coter le dinar à environ 200 dinars et le cours sur le marché parallèle qui est coté le 18/12/2020 à 210 dinars un euro, s’envolerait à plus de 250/300 dinars un euro.

Dans ce cas, il est illusoire tant d’attirer l’épargne de l’émigration via les banques que l’on veut installer avec des coûts en devises, que de capter le capital argent de la sphère informelle via la finance islamique.
Comment voulez-vous qu’un opérateur se présente en bourse sachant que la valeur du dinar va chuter d’au moins 50 %, sinon plus, dans deux à trois années, dépréciant ses actifs ?

En résumé, il ne faut pas vivre d’utopie. Sans vision stratégique, la stabilité politique, juridique, monétaire et des comptes transparents, la privatisation partielle via la bourse d’Alger est difficilement réalisable, devant répondre aux normes internationales, et se pose cette question : combien a-t-elle coûté pour son fonctionnement depuis sa création en 1997 (22 ans), sans résultats probants ?

Entrer en bourse c’est comme jouer au casino, espérant gagner et non perdre. Des entreprises performantes doivent entrer en bourse, dictées par la logique du profit, pour amorcer le mouvement afin de permettre de constituer un indice boursier consistant en volume et en qualité.

Aussi, la privatisation partielle par la bourse d’Alger, processus complexe, avec des enjeux économiques, sociaux et politiques, afin d’éviter la dilapidation du patrimoine public au profit de spéculateurs intéressés surtout par le patrimoine immobilier, implique la transparence, des objectifs précis, la levée des entraves bureaucratiques et la réforme du foncier, du système bancaire, domanial, douanier, fiscal, assurer la stabilité juridique, monétaire et intégrer la sphère informelle qui représente, hors hydrocarbures, plus de 50 % de la superficie économique, par des mécanismes économiques et non bureaucratiques, sont les critères essentiels pour tout investisseur national ou étranger.

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*Abderrahmane MEBTOUL - Diplômé en expertise comptable de l’Institut supérieur de gestion de Lille - Docteur d’État Es Sciences Economiques (1974) - Président du Conseil National des Privatisations (Algérie, 1996/1999) sous la période du président Liamine Zeroual – Haut magistrat, Premier conseiller à la Cour des comptes - Directeur général des études économiques (1980/1983) - Directeur d’Etudes, Ministère Energie - Sonatrach (1974/1979, 1990/1995, 2000/2007, 2013/2015).

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