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Des bloggeurs arabes témoignent à Bruxelles :
« Ce ne sont pas les médias sociaux qui ont fait la révolution, mais l’engagement réel des citoyens »

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 2 décembre 2011 | src.leJMed.fr
Des bloggeurs arabes témoignent à Bruxelles : « Ce ne sont pas les médias sociaux qui ont fait la révolution, mais l'engagement réel des citoyens »
Bruxelles -

Organisée à l’initiative de Rodi Kratsa-Tsagaropoulou, vice-Présidente du Parlement européen et responsable pour la politique d’information et de communication, et des relations EuroMed, une rencontre a rassemblé à Bruxelles, les 29 et 30 novembre 2011, quelque 110 journalistes et bloggeurs des deux rives de la Méditerranée. L’une des conférences était consacrée au rôle des médias sociaux dans les Printemps arabes. Voici l’essentiel des témoignages des bloggeurs sud-méditerranéens…

De gauche à droite, sur la photo ci-dessus : Kamel Daoud, bloggeur algérien ; Damien Abad, MPE, membre de la Délégation pour les relations avec le Conseil législatif palestinien ; Ana Gomes, MPE, membre de le sous-commission des Droits de l’Homme ; Stephen Clark, modérateur, fonctionnaire du PE ; Marietje Schaake, MPE, Commission culture et Education ; Slim Ayedi, bloggeur tunisien ; Ahmed Alfaitouri, bloggeur libyen. © Alfred Mignot - novembre 2011


Tunisie : des bloggeurs « fatigués et sans moyens »

Un public très attentif… © Alfred Mignot - novembre 2011

Ancien journaliste professionnel devenu « bloggeur journaliste citoyen », le tunisien Slim Ayedi déclare qu’avant l’insurrection de janvier 2011, on « ne parlait de rien dans les médias tunisiens, et surtout pas du chômage. Les bloggeurs, estime-t-il, ont traduit et transmis la révolution. Mais aujourd’hui, ils sont “fatigués et sans moyens”, [car] on ne donne pas d’argent aux bloggeurs. Alors, il faut aussi se demander qui se trouve vraiment, maintenant, derrière une page Facebook ou un compte Twitter, tandis que les médias classiques riment (toujours) avec jeu politique… En fait, c’est comme une guerre de super activisme. Et si vous n’avez pas de média, devenez vous même un média », conclut Slim Ayedi.


Libye : « Nous n’avons pas encore l’habitude des médias libres »

Ahmed Alfaitouri, bloggeur libyen : « J’ai passé dix ans dans les prisons de Kadhafi, c’est la première fois que je peux m’exprimer librement en public.

À Benghazi, Internet fut inaccessible dès le premier jour de la révolution.
Ce ne sont donc pas les réseaux sociaux qui ont fait la révolution, mais l’engagement réel des citoyens. C’est cela qui a stimulé les médias, et non l’inverse. [Le nombre de Libyens pouvant accéder à l’Internet est estimé à 10 %, ndlr]

Le régime de Kadhafi a commis des atrocités innomables. Au nom du pétrole, le monde avait oublié l’existence d’un peuple libyen. Nous on se demandait pourquoi ? Et puis : pourquoi le monde et l’ONU se sont-ils réveillés pour soutenir le peuple libyen ?

Et l’OTAN est venu… ce que nous avons connu, c’était une guerre ! Il nous faut maintenant en effacer les conséquences, les souffrances humaines. Cela devrait être notre priorité.
(…)
En Occident, les Islamistes sont brandis comme un épouvantail. Mais, cela existe depuis longtemps, en Libye comme ailleurs. Cela ne fait qu’alimenter la phobie contre l’Islam. Il faudrait reconsidérer tout cela, à l’aune de la nouvelle donne.

Le Moyen-Orient est souvent vu comme le terreau fertile du terrorisme. Al Qaïda, on n’en parlait jamais chez nous. Mais depuis « la journée de la colère » du 17 février, on en parle, tout à coup !
Est-ce que l’on accuse de terrorisme ce peuple libyen parce qu’il bouge ?

Plusieurs médias essaient de prouver que ce qui se passe en Libye est lié à Al Qaïda. On veut nous considérer comme des millions de terroristes. Ce n’est pas vrai. Beaucoup de gens portent la barbe en Libye, pas seulement les islamistes. Le peuple libyen, pacifique, aimerait être ouvert sur le monde.

De nombreux médias se sont créés ces derniers mois. Avant, le journalisme était interdit en Libye, le Net était surveillé et censuré. Oui, Facebook est un bon moyen, mais qui peut être mal utilisé. Nous n’avons pas encore l’habitude des médias libres ».


Algérie : pourquoi l’immobilisme (apparent) ?

Kamel Daoud, bloggeur algérien, a partagé sa réflexion sur l’apparent immobilisme de l’Algérie, qui, dit-il, « n’est ni une dictature ni une démocratie… Nous ne nous trouvons pas dans la situation classique d’une dictature et d’une opposition clandestine. Et la presse n’est pas soumise à l’État, mais elle n’est pas libre.

Il faut se rappeler que l’émeute du 5 octobre 1988 fut sévèrement réprimée, et qu’il s’en suivit dix ans de guerre civile. Le régime dit qu’en Algérie “on ne peut pas faire de révolution, car l’Algérie a déjà payé”. Et nous répondons : “Oui, nous avons payé, mais nous n’avons pas été livrés…”

Je crois pour ma part que la révolte de 1988 n’aurait pas pu être étouffée si Internet et les chaînes internationales de télévision avaient déjà existé. On paie encore cette bataille perdue de 1988 ».

Revenant sur la question de la liberté de la presse, Kamel Daoud considère que « la presse publique subventionnée n’est pas lue. Les journaux privés sont indépendants… mais la rente publicitaire reste aux mains de l’État ».
On trouve aussi en Algérie ce que Kamel Daoud appelle « la presse de services. Elle peut sembler indépendante, mais elle est un appendice du pouvoir, utilisée pour salir les révolutions tunisienne et libyenne.

La presse étant donc « plus ou moins libre » en Algérie, le besoin de recourir aux blogs se fait moins ressentir, tandis que Facebook y plus consulté que Twitter, estime Kamel Daoud. « Internet est un espace alternatif qui a permis l’émergence de journaux électroniques plus libres en Algérie. Les journaux électroniques sont plus audacieux, car moins soumis à la pression économique.
L’Europe a eu l’imprimerie, Internet en est l’équivalent actuel dans le monde arabe. C’est une nouvelle révolution Gütemberg. Mais, relève Kamel Daoud, n’oublions pas que tout cela dépend de la capacité d’accès des populations à l’Internet… Et puis, si beaucoup veulent tout le changement du régime en Algérie, tout le monde a peur, après dix années de guerre civile »


Jordanie : « Exprimer la dignité collective des citoyens »

Al Fahza, bloggeur jordanien, relève que dans son pays le taux de pénétration de l’Internet est de 40 %, soit 2,4 millions personnes. Selon lui, « les médias sociaux ont permis au plus grand nombre de se rassembler autour d’idées non relayées par les médias traditionnels. Les médias sociaux représentent un nouvel espace de dialogue et du pluralisme culturel, un espace impossible dans la réalité.

Mais, ce ne sont pas les médias sociaux qui font la révolution, ce sont les sacrifices consentis par les révolutionnaires.

La volonté d’exprimer la dignité collective des citoyens compte tout autant que les raisons économiques. Nos concitoyens ont le souhait très fort de se réapproprier nos richesses, comme les sociétés vendues aux étrangers.
La Jordanie est une démocratie fictive, de paravent… l’Europe pourrait-elle nous aider à instaurer une démocratie réelle ? »


© Alfred Mignot]


Et aussi : de nombreux tweets ont été diffusées en direct durant la rencontre. Pour les retrouver sur votre TL Twittter : #euromed

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