Denis Deschamps et Patrick Sevaistre, Académiciens ASOM : « Entre la France et l’Afrique, il convient de donner les clefs du développement économique au secteur privé »
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Un contribution de Denis Deschamps et Patrick Sevaistre
Membres de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (ASOM)
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Les acteurs politiques français qui portent la parole publique en Afrique se sont aujourd’hui souvent disqualifiés par la persistance d’un discours vertical face à de nouveaux dirigeants qui ne peuvent l’accepter et qui disposent pour cela du soutien apparent de leurs populations, en particulier des jeunes.
Ces derniers, qui n’ont pas connu la période des indépendances (il y a de cela plus de soixante ans…), ne veulent en effet pas entendre la France dicter leur comportement, pas plus que leurs aînés n’apprécient de se faire houspiller par un jeune Président de la République française.
Nous parlons là d’une Afrique désormais souveraine et qui nous le démontre chaque jour, avec laquelle nous devons renouer le dialogue, autrement dit retisser les liens d’une coopération internationale qui, pour être véritablement harmonieuse, doit se faire dans l’intérêt de chacun, c’est-à-dire dans la perspective d’une croissance économique partagée entre l’Afrique et l’Europe.
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Co-construire
un nouveau partenariat
Co-construire
un nouveau partenariat
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Plutôt que de l’Aide au développement – d’ailleurs fort mise à mal par les récentes restrictions budgétaires – nous devons donc agir ensemble pour la co-construction du partenariat économique entre l’Afrique et l’Europe, aussi divers que ces deux ensembles puissent être.
De ce point de vue, le secteur privé, qui agit essentiellement en fonction d’intérêts économiques, a toute sa place dans un dispositif qui redonnerait ses lettres de noblesse à une « diplomatie économique » malheureusement trop négligée par rapport à d’autres sujets plus culturels ou humanitaires.
On peut, on doit espérer que la France pourra rapidement rejouer un rôle moteur dans ce domaine, ne serait-ce que parce que les enjeux climatiques, migratoires et autres… sont importants de part et d’autre de la Méditerranée.
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En finir avec le discours
vertical de sévérité
En finir avec le discours
vertical de sévérité
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On a récemment assisté, entre la France et l’Afrique, à l’échec retentissant des collaborations d’Etat à Etat, au détriment des populations africaines, dont les conditions de vie ne se sont certainement pas améliorées avec l’insécurité grandissante et une menace alimentaire qui se renforce.
Nos gouvernants ont mis de côté les acquis de la « diplomatie économique » pour, d’une part, privilégier un discours vertical de sévérité, à la fois mal placée et inopérante, et, d’autre part, clamer des proclamations à l’accent certes révolutionnaire, mais le plus souvent parfaitement creuses.
Car tout cela fait… le bonheur d’un tout petit nombre agissant en fonction d’intérêts particuliers – ou sinon entièrement mercantiles, comme le font les Russes sur un continent qu’ils dépouillent sans vergogne de ses ressources extractives –, sans que les populations africaines en retirent un quelconque avantage.
C’est pourquoi, plutôt qu’aux acteurs publics ou aux milices et autres prétoriens, il convient de redonner les clefs du développement économique au secteur privé, qui, au-delà même de chacune des entreprises qui le composent, agit sur le terrain pour l’intérêt de tous.
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Des pistes
pour des solutions…
Des pistes
pour des solutions…
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Aussi, pour que cela se fasse sur un mode apaisé, sans doute des solutions pragmatiques peuvent être proposées :
- Comme le propose avec constance le Président du Cian, Étienne Giros, transformer une partie de l’Aide publique au développement en aide à l’investissement des entreprises dans des projets de partenariat économique Sud-Nord ;
- Saisir l’opportunité du lancement de l’Académie diplomatique pilotée par l’ambassadeur Didier Le Bret, du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, pour permettre aux futurs diplomates de se confronter aux attentes des entrepreneurs qui sont présents sur les territoires ;
- Mettre l’accent sur des programmes ambitieux pour développer les infrastructures dont l’Afrique a absolument besoin – y compris dans le domaine du numérique, mais sans oublier l’accès à l’électricité, l’état des routes, l’encombrement des ports… sachant que, pour tout cela, il faut faire des investissements absolument dantesques et également des garanties – et aussi pour assurer la formation (ingénieurs-techniciens, spécialistes du numérique et de la tech, managers…) qui est nécessaire à l’insertion économique des jeunes africains qui arrivent en masse sur le marché du travail…
N’hésitons pas à le répéter : l’Afrique – toujours marquée par une forte démographie et une économie très essentiellement agricole – ne se trouvera sur le chemin vertueux de la croissance, et n’en tirera des bénéfices que lorsqu’elle se sera réellement engagée dans la voie de l’industrialisation, qui portera la création d’emplois et de revenus pour les populations.
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Renforcer le partage
des chaînes de valeur
Renforcer le partage
des chaînes de valeur
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Aussi, soulignons-le, cette industrialisation passant par le renforcement du partage de chaînes de valeur devra se faire :
– En lien avec la transition numérique, pour que cette révolution industrielle de l’Afrique se fasse en mode 4.0 (avec en perspective, la montée en gamme des produits, porteurs de plus de valeur, dans un contexte global d’évolutions technologiques, de nouveaux services digitaux ou intelligents) ;
– En misant fortement sur la formation (y compris l’apprentissage / métiers qui permet d’avoir une main-d’œuvre formée et rapidement opérationnelle) pour réduire au plus vite l’écart avec les besoins de développement de l’industrie et de ses nouvelles pratiques manufacturières ;
– En intégrant la transition écologique (obligatoire en raison du réchauffement climatique), pour que les entreprises africaines reconnues comme effectivement durables et responsables, puissent conclure des partenariats solides avec des entreprises européennes ou autres (comme avec le Moyen-Orient). Ce faisant, en se fondant sur les notions d’adaptabilité et de durabilité, on contribuera aussi à nuancer le risque pouvant être perçu par les investisseurs qui vont ou veulent s’implanter en Afrique.
On rattrapera alors sans doute un retard de plus de trente ans, pendant lesquels la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le produit intérieur brut (PIB) n’a cessé de diminuer (1990 : 16,9 % - 2020 : 11,5 %, pour un PIB qui a toutefois plus que doublé pendant la période – ce qui relativise les choses) … comme d’ailleurs en France, avec les mêmes conséquences négatives sur l’emploi.
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Des stratégies publiques élaborées
en concertation avec le secteur privé
Des stratégies publiques élaborées
en concertation avec le secteur privé
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Une intervention publique (plan d’action national) est donc nécessaire, particulièrement en Afrique subsaharienne, ne serait-ce que pour assurer un environnement plus favorable (infrastructures routières, fourniture d’électricité…) et aussi choisir une ou deux filières d’excellence en fonction des avantages comparatifs de chacun des États et de sa capacité réelle à s’insérer dans les chaînes de valeur mondiales.
En Afrique subsaharienne, on misera ainsi plutôt sur l’agro-industrie et la forêt (par exemple, au Gabon, ainsi que des filières comme le textile (par exemple, au Bénin). Aussi, pour que la stratégie publique soit efficace, elle doit être impérativement mise en œuvre en concertation avec le secteur privé et en mobilisant l’ensemble des acteurs publics concernés.
De ce point de vue, on soulignera la nécessité d’instaurer un véritable dialogue public-privé devant conduire à une amélioration du climat des affaires, ainsi que du fonctionnement même de l’économie, qui conditionnent fortement les investissements et la productivité.
À cet égard, avec le soutien souhaitable des organisations régionales africaines comme l’UEMOA ou la CEMAC, les zones économiques spéciales (ZES) peuvent constituer des points d’appui d’une politique visant plusieurs pays d’une même sous-région, de même que les partenariats public-privé (PPP) et l’intervention de fonds dédiés (pour soutenir l’industrialisation, compte tenu des marges d’intervention limitées des Etats africains, dont les rentrées fiscales sont largement insuffisantes par rapport à leurs ambitions)
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« Les entreprises françaises ont
toujours leur place en Afrique »
« Les entreprises françaises ont
toujours leur place en Afrique »
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Aussi, et ce n’est pas négligeable, on doit croire que les entreprises françaises ont toujours leur place en Afrique. Contrairement à ce qui se dit dans certains médias, il n’y a en effet aucune raison de désespérer, à condition de savoir faire preuve en France d’audace vis-à-vis d’un continent qui évolue bien plus vite que nos conceptions, qui sont souvent datées et stéréotypées.
Dans un contexte de recomposition géopolitique mondiale et de compétition exacerbée, la présence des entreprises françaises, enracinées dans le milieu local, avec leurs méthodes de travail reconnues et leur contribution au développement (les impôts qu’elles payent sont estimés, pour les dix pays où leur contribution est la plus importante, à environ 14 milliards d’Euros ; soit l’équivalent de l’Aide publique française en 2023) sont autant d’éléments sur lesquels la France devrait s’appuyer pour se repositionner économiquement sur le continent.
C’est pourquoi la politique africaine de la France, ou plutôt de la France en Afrique, doit pouvoir placer l’économie et les entreprises au centre de relations bilatérales nécessairement fondées sur un développement économique mutuellement gagnant et à la recherche de nouveaux partenariats partout où il existe une attente manifeste.
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