Décryptage : en Espagne, Zapatero surprend avec un remaniement ministériel de crise
Le président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, a rectifié le 20 octobre 2010 la liste de ses ministres. La rumeur était latente depuis plusieurs semaines. Elle a pourtant pris de court l’opinion publique, la presse… et, semble-t-il, la plupart des intéressés. Un artcle de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.
Photo ci-dessus : José Luis Rodriguez Zapatero, Président du gouvernement espagnol © Archives du Parlement européen, 20/01/2010
Le remaniement était en effet attendu. L’équipe sortante avait été contrainte d’adopter un plan de crise particulièrement sévère. Ses aspérités les plus rugueuses avaient frappé les esprits en Espagne et bien au-delà, en particulier, la réduction du salaire des fonctionnaires, une réforme du système des retraites repoussant à 67 ans le droit à une pension à taux plein, une révision du code du travail réduisant les indemnités versées aux salariés licenciés.
Ces mesures n’ont pas convaincu les Espagnols. Ceux de droite les jugent tardives et insuffisantes. Et ceux de gauche les taxent de conservatrices. Ils ont manifesté leur mécontentement dans la rue le 29 septembre dernier à l’appel des syndicats. Les uns et les autres, si l’on en croit les sondages, considèrent que le président du gouvernement ne maîtrise plus rien et gouverne à vue.
Les conséquences politiques de ce décrochage ne laissaient que peu d’espoirs électoraux aux socialistes espagnols. De semaine en semaine, le Parti populaire, la droite, en dépit du discrédit de son chef, Mariano Rajoy, a élargi l’écart le séparant du PSOE. A la mi-octobre, le PP avait, selon les enquêtes d’opinion, plus de 14 points d’avance sur les socialistes. Or, de l’aveu même du chef du gouvernement, la situation économique ne devrait pas s’améliorer d’ici un an et demi.
Or, d’ici là, les Espagnols vont voter. Ils vont passer par l’isoloir le 28 novembre prochain en Catalogne, région dirigée par un socialiste, le 22 mai 2011 pour désigner leurs élus locaux et régionaux et en mars 2012, à une date encore non précisée pour renouveler leur parlement. A défaut d’un retournement magique de la conjoncture économique, les socialistes espagnols allaient tout droit à l’échec en ces trois occasions, se préparant à un repli oppositionnel, local comme national.
Ayant une mentalité de combattant, José Luis Rodriguez Zapatero, il est vrai de plus en plus pressé par la grogne montante de ses barons régionaux et des syndicats, est monté au créneau électoral. Les siens le pressaient de plus en plus de faire quelque chose. Le président de Castille la Manche, fief de l’un de ses rivaux dans le PSOE, avait fait savoir qu’il ne souhaitait pas solliciter le président du gouvernement pour la campagne régionale de 2011.
À Madrid, la base du PSOE avait imposé une primaire pour désigner son candidat afin d’affronter la droite l’année prochaine. Le poulain de Zapatero, Trinidad Jimenez, ministre de la Santé, avait été battue. Le premier ministre espagnol de plus en plus forcé par l’opinion et les sondages, par les syndicats, les cadres et les militants de son parti, devait sortir du bois. Il l’a fait à sa façon, en manœuvrier politique chevronné, plus qu’en inventeur d’horizons économiques et sociaux. Il a donc abattu par surprise plusieurs cartes ministérielles. Afin de constituer une équipe capable de rendre des coups et d’en porter.
Les « briscards » en première ligne
Les ministres techniciens, ministres d’ouverture sur la société, comme María Teresa Fernández de la Vega et Miguel Angel Moratinos, ont été remerciés. Et sont passés en première ligne les briscards de toutes sortes de batailles.
Des anciens comme Alfredo Pérez Rubalcaba, ministre de l’intérieur, Ramón Jauregui, nommé ministre de la présidence, ancien vice-responsable du gouvernement basque, Trinidad Jimenez, complice de la prise du parti au congrès de 2000. Valeriano Gómez, nouveau ministre des affaires sociales, est un ugétiste pur sucre. Il a même le 29 septembre dernier manifesté avec ses amis syndicalistes contre la politique du gouvernement. Cette nomination a été effectivement perçue par les centrales UGT et CCOO comme un signal prometteur de négociations futures.
Marcelino Iglesias, président de l’Aragon, prend par délégation les commandes au sein du PSOE. Alfredo Pérez Rubalcaba est le promu de luxe. Il garde l’intérieur et devient vice-président du gouvernement. Il fait ainsi figure de dauphin potentiel en dépit de son âge. Il est en effet le seul rescapé de l’époque Gonzalez, tous remerciés après la montée en première ligne, en 2000, derrière Zapatero de la génération des quarantenaires.
Il y a là un signal générationnel qui devrait calmer les envies de vengeance qui chatouillaient les anciens placardisés depuis dix ans. Il est qui plus est le seul ministre bénéficiant d’une forte cote de popularité. Il a, il est vrai, fait un sans-faute dans un dossier basque, bien compliqué, mais qui évolue à grand pas vers la marginalisation d’ETA. Si cette évolution se confirmait le vice-président pourrait, c’est en tous les cas l’une des raisons de sa promotion, en faire bénéficier ses collègues et le président du gouvernement.
À défaut de convaincre, José Luis Rodriguez Zapatero a surpris. La surprise lui permettra-t-elle de passer outre aux gouttes drues de la rigueur électorale, faute d’embellie économique ? Les paris sont ouverts et laissent augurer une certitude. Faute de redressement dans les sondages, ce serait Alfredo Pérez Rubalcaba qui aurait en charge de maintenir à flot la barque PSOE en 2012.
Jean-Jacques Kourliandsky
Chercheur à l’IRIS