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Pr Antoine Courban

- « Le 14 mars 2005, c’est là le moment fondateur du Liban de demain »

Liban | 13 septembre 2009 | src.L’Orient Le Jour
- « Le 14 mars 2005, c'est là le moment fondateur du Liban de demain »
Beyrouth - Professeur d’Histoire et Philosophie des Sciences, Professeur d’anatomie humaine à la Faculté de Médecine (USJ) de Beyrouth, chirurgien, le Pr Antoine COURBAN publie une chronique hebdomadaire dans le grand quotidien libanais francophone « L’Orient - Le Jour ». Avec l’aimable autorisation du Pr Antoine Courban, nous publions ici sa chronique du 12 septembre, dans laquelle il nous livre ses réflexions à propos de l’échec, reconnu le 10 septembre, de Saad Hariri à former un gouvernement pour le Liban.



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Crise domestique et prospective politique au Liban :
« Le 14 mars 2005, c’est là le moment fondateur du Liban de demain »

par le Professeur Antoine COURBAN

Beyrouth, le 12 septembre 2009

Ils ont donc réussi à mettre hors jeu, pour le moment, leur pire ennemi. Le jeune Premier ministre désigné a donc renoncé à sa mission devenue non seulement impossible, mais également ubuesque. Les ennemis de la démocratie et des libertés jubilent. Ainsi, en dépit de la volonté populaire clairement exprimée lors du scrutin législatif, en dépit du caractère de souveraineté dont une telle volonté est revêtue, c’est celle du coup de force et du fait accompli qui a prévalu.

L’Histoire a déjà jugé les hommes de peu de foi qui se sont livrés, depuis 2005, au jeu infernal qui consiste à tuer le Liban du vivre-ensemble à petit feu et par tous les moyens. À l’époque, ils ignoraient encore qu’une bonne partie des Libanais chrétiens leur fournirait un argument pouvant leur servir de cache-sexe. Nul n’aurait songé, même lors d’insomnies rebelles, qu’un jour viendra où le sort d’un gouvernement et d’un pays dépendra d’un portefeuille ministériel qu’on veut confier coûte que coûte à un gendre que la volonté populaire a récusé.

Étymologie domestique

Mais qu’est-ce qu’un ministre ? En principe rien. Il ne représente rien d’autre que la volonté de celui qui l’a nommé à ce poste. En latin, le vocable magister (maître) dérive de magis ; et c’est cette forme qui a permis de former minister (ministre) à partir de minus ou inférieur. Un ministre est donc un individu dont on se sert pour exécuter quelque chose. Dans l’Empire romain d’Orient (byzantin), on avait parfaitement compris cela et on appelait les ministres de l’empereur les « gens de maison », en grec domestikos ou domestique, dont le plus important était le Domestique des Scholes ou des armées.

On peut comprendre que pour un individu au chômage forcé, n’importe quel emploi pourrait lui apporter quelque consolation. Cependant, le langage libanais en la matière est très étrange. Depuis des mois, nous entendons parler de wizarat siyadiyya ou ministères souverains, c’est-à-dire des portefeuilles de premier rang. L’unique souverain en démocratie est le peuple et non les gens de sa maison. Mais, souverain ou pas, un ministre n’en demeure pas moins un serviteur, quel que soit le rang qu’il puisse occuper au sein de la cohorte des gens de cette maison particulière qu’on appelle res publica ou chose publique.

Prospective politique

Et après ? Quelles leçons tirer de cet imbroglio gouvernemental qui a mené Saad Hariri à devoir rendre son tablier au président de la République ? Quelle prospective pour demain ?

Un souverain qui n’est pas en mesure d’exercer ses prérogatives cesse d’être souverain. Telle est la grande leçon. Lorsqu’un arsenal d’armes est en mesure de paralyser la volonté souveraine du peuple, il faut faire le constat que le peuple a cessé d’être souverain. Il devient aliéné chez lui.

Lorsqu’un arsenal et les menaces du recours aux voies de fait sont en mesure d’empêcher les institutions de fonctionner, il faut faire le constat que l’espace public de ces mêmes institutions est en grave danger de disparition et que, dès lors, le pouvoir est à prendre.

Lorsqu’on ne retient pas les leçons du passé et qu’on se montre pusillanime à exercer le mandat qu’on a reçu du peuple souverain, on ne peut plus s’obstiner à vouloir repousser l’heure de vérité. Elle a sonné. Les acteurs libanais du jeu diabolique qui empoisonnent la vie du pays depuis l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 doivent révéler la vérité et dire pourquoi ils se refusent à vouloir à tout prix boire le poison mortel sous le prétexte du consensus ou de l’unité nationale. Il n’y a pas d’unité nationale, il ne saurait y avoir de consensus sous la menace des armes. C’est cette vérité qu’il faut affronter avec tous les moyens de la démocratie. Et si ces moyens sont inefficaces, alors le Liban est à revoir en tant que formule.

Point ne sert de faire durer le supplice. Une fédération ? Une confédération ? Une mosaïque de cantons ? Doit-on réformer la formule « Liban » ou mettre fin à son existence ? Existe-t-il un peuple libanais capable d’exprimer une volonté démocratiquement souveraine ? Quelles unités collectives sont-elles en concurrence dans la vie publique : les confessions sectaires, les communautés religieuses, les milices armées, les partis politiques ?

Qu’est-ce qui est plus déterminant : les vieilles tensions islamo-chrétiennes ou le conflit sunnito-chiite apparu au grand jour ?

Toute prospective sur n’importe lequel de ces thèmes doit respecter l’esprit de la volonté populaire, désordonnée et balbutiante, qui s’était exprimée un certain 14 mars 2005, car c’est là le moment fondateur du Liban de demain. Une telle prospective doit constituer l’ossature du programme du prochain gouvernement. À défaut, nous risquons de nous réveiller face à un coup de force qui nous imposerait un directoire, une constituante ou, pire, une tutelle directe de l’axe syro-persan qui étrangle notre pays un peu plus chaque jour.

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