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Dr Aziz Cherkaoui

- Contribution à la réflexion sur le processus en marche de Régionalisation du Maroc

Maroc | 13 septembre 2010 | src.leJMED.fr
- Contribution à la réflexion sur le processus en marche de Régionalisation du Maroc
Marrakech - Président du Centre de Culture EuroMéditerrannée du Maroc, Elu de la Mairie, de la Région et de la CCISM, Le Dr Aziz Cherkaoui, nous livre ici cette Tribune Libre autour de la question de l’actuel processus de « Régionalisation élargie » du Royaume du Maroc. Dans cette contribution, il s’essaie à tracer des perspectives, pointant du doigt les écueils à éviter, répertoriant les bonnes pratiques internationales dont le Maroc pourrait s’inspirer, tout en recherchant un modèle spécifiquement marocain, le plus adapté qui soit à l’Histoire, à la réalité actuelle et aux besoins du Royaume.

DE LA RÉGIONALISATION ÉLARGIE DU ROYAUME

par le Dr Aziz Cherkaoui
Président du Centre de Culture EuroMéditerrannée du Maroc
Élu de la Mairie, de la Région et de la CCISM (Marrakech)


Dans son discours du 6 Novembre 2008, SM le Roi Mohammed VI avait décidé « de lancer une dynamique de régionalisation avancée et graduelle ». Dans celui du 3 Janvier 2010, SM Le Roi a officiellement installé la Commission Consultative de la Régionalisation, forte de 21 membres, et qui doit (après prolongation de 6 mois) rendre ses conclusions fin décembre 2010.

Dans ce même discours, le Souverain a souhaité « associer toutes les forces vives de la nation à l’effort de conception générale de ce projet ». Dès après le discours du 6 Novembre 2008, nous avons essayé au niveau du Centre de culture Euro-méditerranéenne du Maroc (CCEM, que je préside) et de l’IMRI, d’entreprendre une étude sur les expériences étrangères de régionalisation.

Certes, comme l’a annoncé le Souverain, le projet marocain de régionalisation avancée ne doit pas « sombrer dans le mimétisme ou la reproduction à la lettre des expériences étrangères » et doit tenir compte impérativement des spécificités notamment régionales de notre pays. Mais, il est toujours utile de se pencher sur les expériences des autres pays pour retenir ce qui est valable pour nous, et rejeter ce qui ne l’est pas. Le but de cet article est de s’essayer d’ores et déjà à une synthèse de cinq expériences étrangères : l’Allemagne, l’Espagne, les États-Unis, la France et la Suisse.


LES EXPÉRIENCES ÉTRANGERES DE RÉGIONALISATION

1 - L’exemple allemand – L’Allemagne a toujours été un exemple d’État fédéral. Constitué de 11 Länder avant la réunification allemande en 1990, elle comprend maintenant 16 Länder après l’intégration de l’ex RDA. Les constitutions des Länder doivent respecter le principe fondamental d’un Etat de droit républicain, démocratique et social. Les Länder se sont constitués tout au long de l’histoire allemande, et sont fondés sur l’appartenance ethnique et la tradition historique.

Deux principes fondamentaux président à l’organisation des Länder : le principe de subsidiarité et celui du partage des tâches. La subsidiarité dispose que le niveau décisionnel immédiatement supérieur, ne doit régler que les affaires que le niveau inférieur ne peut organiser aussi bien. Le partage des tâches consiste à définir d’une façon précise les prérogatives de l’Etat fédéral et des Länder. C’est ainsi que sont de la compétence exclusive de l’Etat fédéral : la politique étrangère, la défense, la politique monétaire. Les Länder sont compétents sur le plan administratif dans tous les domaines que la Fédération ne prend pas en charge, ou qui lui ne sont pas attribués dans la Loi fondamentale.

2 - L’exemple espagnol - Il est largement explicité dans le Titre VIII de la Constitution espagnole du 31 Octobre 1978. Il pose comme préalables le principe de solidarité de toutes les composantes du territoire, et celui de l’unicité des droits et obligations dans n’importe quelle partie du territoire de l’Etat. Tout ce qui est d’intérêt local, et qui se situe sur le territoire de la Communauté autonome, est du ressort de cette dernière.

L’Article 149 définit les compétences exclusives de l’Etat, qui sont de deux ordres principaux : les fonctions de souveraineté, et celles qui concernent plusieurs territoires de l’État. Sont également de la compétence exclusive de l’Etat, toutes les fonctions déléguées aux Communautés autonomes, mais qui ont un intérêt national, dépassant le territoire de la Communauté autonome.

3 - L’exemple étasunien - Les États-Unis d’Amérique constituent l’exemple type de l’État fédéral. Chaque État parmi les 50 constituant la Fédération dispose d’un exécutif élu .Les États ont tous les pouvoirs requis pour réglementer la vie quotidienne de la population, à condition que cela ne soit pas contraire à la Constitution et à la loi fédérale. Les questions qui ne vont pas au-delà des frontières d’un État, relèvent de la compétence du gouvernement de cet Etat. Tous les pouvoirs qui ne sont pas attribués spécifiquement au gouvernement fédéral sont du ressort de l’État fédéré.

4 - L’exemple français – La France a eu beaucoup de difficultés à mettre en place la régionalisation, du fait de la puissance de la tradition jacobine, qui s’est toujours opposée à la décentralisation appliquant les principes de subsidiarité. C’est ainsi que l’administration territoriale de la France est fondée sur 26 régions, 100 départements, 329 arrondissements, 3 883 cantons et 36 783 communes.
La région, composée de plusieurs départements, est gérée par le Conseil régional, élu pour 6 ans au suffrage universel direct, et par un Préfet de région qui représente l’État. L’État a attribué à la région un certain nombre de compétences, et lui affecté un budget pour les financements.

Les régions françaises sont caractérisées par leur grande diversité, géographique, démographique et économique. Sur le plan géographique 22 régions se trouvent sur le sol métropolitain et 4 Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion). Sur le plan démographique, la région Ile-de-France rassemble 11,5 millions d’habitants, alors que le Limousin ne compte que 700 000 habitants. Sur le plan économique, le PIB moyen par habitant est de 42 000 euros en Ile-de-France, contre 13 000 euros pour les territoires d’Outre-mer.

Pour compléter le tableau de l’administration territoriale, il faut mentionner également les statuts d’inter communauté, qui groupent plusieurs communes sous forme de communautés urbaines, communautés d’agglomérations et communautés de communes. La régionalisation à la française est un équilibre entre l’État unitaire et la nécessaire décentralisation régionale.

5 - L’exemple suisse – La Suisse est organisée selon le modèle de la Confédération, c’est-à-dire que chaque territoire (canton) a une large capacité d’autonomie par rapport au centre, et que c’est le canton qui est considéré comme l’échelon fondamental. Cela renvoie à l’histoire de ces petits États qui se sont confédérés pour tenter d’échapper aux appétits de leurs puissants voisins.


LA RÉGIONALISATION AU MAROC :
QUELQUES PISTES ET RÉFLEXIONS

La mise en place de la régionalisation exige une réflexion en amont sur la situation de notre pays, de son histoire administrative et de son environnement politique et culturel, etc. A partir de là, un certain nombre de réflexions peuvent être amorcées.

I - Quel type de régionalisation ?

Il s’agit, dans un premier temps, ici, de partir d’exemples étrangers, pour mieux situer les caractères et besoins de notre pays, tels qu’évoqués plus haut.

 Chacun de ces systèmes de régionalisation a l’étranger est bâti à travers un ensemble législatif (la Constitution des E-U, la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne) mais aussi une pratique, entre le pouvoir central et les parties constituantes (Etats américains, Länder allemands) des relations qui permettent au système de fonctionner mais qui ne sont pas immuables (cf. la mise en place de relations spécifiques entre les Lander allemands et Bruxelles, dans le cadre de la Construction européenne).

 Le cas du Maroc Il s’agit d’un pays qui a toujours connu une certaine centralisation tant à l’époque des anciennes dynasties, que de l’actuelle glorieuse dynastie Alaouite. La période du Protectorat (1912-1956) n’a fait que renforcer cette caractéristique en la modernisant, à l’exemple du modèle de l’ancienne métropole française (le jacobinisme). Par conséquent, on voit bien que les modèles de confédéralisme ou de fédéralismes évoqués ci-dessus, sont inadaptés.

II - Quels pouvoirs ?

Même si cela parait une évidence, certains pouvoirs dits régaliens sont exclus du processus de la régionalisation, tels que : l’Armée, la Sûreté nationale, la Diplomatie, les Finances et l’Encadrement de l’Islam marocain.

À partir de là, la régionalisation ne doit concerner que les secteurs où elle apparaît comme pertinente pour dynamiser les territoires concernés (principe de subsidiarité, c’est-à-dire là où l’échelon régional semble le mieux adapté).

L’exemple français montre que les Transports, l’Éducation (au moins au niveau de la gestion des bâtiments) peuvent être concernés. Une réflexion peut être menée pour y ajouter la Solidarité (certains types de transferts sociaux), mais aussi la culture qui a une évidente dimension régionale à côté de ses aspects nationaux, ainsi que la gestion du patrimoine historique, en particulier dans sa dimension architecturale. Le malheureux exemple de la récente catastrophe de la chute du minaret de Meknès peut en apporter un exemple : une prise de décision régionale quant aux réparations urgentes, peut en accélérer le processus.

III - Quels hommes ?

D’abord bien sûr, des élus, fonctionnant dans un cadre démocratique, mais appuyé par une administration (mise en place d’une Fonction publique territoriale) proche de la population et de ses attentes, et bénéficiant d’une fine connaissance des particularités de chaque territoire.

IV - Quels liens avec le Pouvoir central ?

Une fois que les compétences des uns et des autres sont bien définies, cette question riche en frictions possibles, peut être appréhendée de manière sereine.

V - La dimension des territoires concernés

C’est une question fondamentale qu’il est nécessaire de bien penser car une mauvaise appréhension de départ peut conduire en cas de modification à des surcoûts financiers importants. Elle doit prendre en compte à la fois la pertinence comme évoquée ci-dessus, mais aussi tout ce qui concerne les possibilités matérielles, sans négliger les habitudes des populations. Plusieurs propositions sont faites pour la création de 9 ou 10 régions voir plus dans la constitution du schéma de notre pays.

Il est trop tôt, a mon humble avis, d’en parler aujourd’hui avant l’établissement du rapport de la Commission Consultative de la Régionalisation et sa ratification par S M LE ROI.

VI - Comment faire vivre la régionalisation ?

Il s’agit, ici aussi de réfléchir aux moyens en hommes (administration) + moyens matériels + financements d’audits, de consultations auprès d’organismes publics ou de cabinets privés spécialisés (think-tank, expertise).

Ce qui suppose des financements et la question de savoir s’il faut privilégier des transferts à partir de l’État central, la mise en place d’un fiscalité régionale (se pose alors la question de l’assiette : sur quelle ressource fiscale faire peser ces nouveaux impôts) voire les deux (transferts + fiscalité régionale). La question reste posée.

VII - Les principaux risques à appréhender

À mon avis, et concernant cette question, combien fondamentale et importante, pour l’avenir des régions et leur réussite, on doit se poser comme préalable et faire attention à trois grandes questions :

1 - Doublons administratifs.
2 - Enchevêtrement des compétences.
3 - Dérive financière.

VIII - Conclusion

La mise en place de la régionalisation élargie correspond à une avancée certaine dans le cadre de la bonne gouvernance de notre pays.

Pour le Maroc, outre les avantages que l’on peut en attendre pour une approche plus fine des besoins et de leur satisfaction pour les populations des territoires concernés, la régionalisation sera perçue comme une avancée significative du pays tant du point de vue politique qu’économique et social par l’Union européenne et comme un justification supplémentaire d’avoir fait bénéficier le Royaume du Partenariat Renforcé a savoir : Le statut avancé.

Elle devrait en outre être perçue par la Communauté Internationale comme un signe supplémentaire de la part du Maroc, de sa volonté de régler démocratiquement dans le cadre d’un Etat de droit rénové, l’épineuse question de ses Provinces du Sud.

En considération des expériences étrangères citées plus haut et de tout ce qui a été dit auparavant, le Maroc doit « s’inspirer » de quel modèle ?

L’Allemagne a toujours été un État fédéral. La culture allemande est imprégnée de l’esprit fédéral, qui bénéficie d’une tradition plus que centenaire. Le système allemand facilite l’identification des citoyens, et permet de bien gérer les particularismes régionaux. Mais c’est un système trop sophistiqué et moins souple pour notre pays, et il serait très difficile à mettre en œuvre.

Le système régional des États-Unis est celui d’un État typiquement fédéral, ce qui n’est pas recherché par le Maroc.

Le système français de régionalisation n’accorde pas suffisamment de pouvoirs aux régions : il reste trop centralisé.

Notre pays pourrait s’inspirer davantage de l’exemple espagnol, qui est plus proche de nous, qui est opérationnel, et qui a accumulé plusieurs années d’expérience. On peut noter aussi que le système d’autonomie n’a pas été accordé à toutes les régions espagnoles. Ceci pourrait également amener le Maroc à accorder un statut différencié selon les régions.

Toute cette analyse et la préparation d’un bon projet, pour notre pays doit faire l’objet d’une étude particulière et profonde (sage décision de notre souverain a mettre sur pied la Commission Consultative de la Régionalisation), correspondant aux besoins réels du Maroc, mais surtout a la vision éclairée et souhaitée par notre souverain, Sa Majesté Mohamed VI.

Dr Aziz Cherkaoui
Président du Centre de Culture EuroMéditerrannée du Maroc
Élu de la Mairie, de la Région et de la CCISM (Marrakech)


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