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Comment relancer le tourisme au Sénégal ? Pierre MBOW (King Fahd Palace, Dakar) : « Que le rallye Paris-Dakar revienne au Sénégal ! »

21 novembre 2020
Comment relancer le tourisme au Sénégal ? Pierre MBOW (King Fahd Palace, Dakar) : « Que le rallye Paris-Dakar revienne au Sénégal ! »
Directeur depuis 2014 du King Fahd Palace, situé à la pointe des Almadies, Pierre Mbow tient bon le cap en cette période d’épidémie. « Il faut réinventer notre avenir », nous confie-t-il en livrant de nombreuses pistes – dont le retour au Sénégal du rallye Paris-Dakar – pour relancer la destination touristique Sénégal, dès l’après-Covid.

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À Dakar, un entretien exclusif de notre envoyé spécial Bruno FANUCCHI
@PresseAfrica

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L’industrie hôtelière est l’une des plus touchées par l’actuelle pandémie de Coronavirus. Comment y fait-on face, à la tête du King Fahd Palace, grand hôtel de Dakar ?

Pierre Mbow - Notre secteur d’activité est effectivement très impacté car nous sommes tributaires des vols commerciaux, qui se font rares. Ensuite, le protocole sanitaire mis en place dans divers pays, comme au Sénégal, n’encourage pas les gens à venir. Aujourd’hui, nous sommes obligés de réinventer notre quotidien, et aussi notre avenir.

Prenons notre exemple : le King Fahd Palace, ce sont 388 chambres, dont 25 suites présidentielles pour accueillir nos hôtes de marque (comme actuellement le Président de la transition malienne, Bah N’Daw) et 44 suites Junior. Aujourd’hui, nous avons un taux d’occupation qui oscille entre 12 % et 20 %.
C’est catastrophique ! Nous faisons au maximum 120 millions de francs CFA de chiffre d’affaires, là où nous faisions à peu près 1,3 milliard FCFA de chiffre d’affaires mensuel.
Et le King Fahd Palace, ce n’est pas seulement ses chambres et ses suites, c’est aussi 65 bureaux et salles de réunion, dont seulement 5 salles sont exceptionnellement occupées actuellement. Et, à partir de la semaine prochaine, plus aucune.

Vous imaginez bien que nous avons reçu énormément d’annulations. Et pour certaines réunions, les gens ont dû les traiter en visioconférence. C’est très grave pour nous. Les visioconférences, ça tue le métier : les gens n’ont plus à payer les billets d’avion, ni les séjours. Ils rassemblent les gens dans des bureaux et les échanges se font au détriment du business dit « corporate ». C’est pourquoi je dis qu’il faut réinventer notre quotidien et notre avenir.

Concrètement, combien de personnel avez-vous dû mettre en chômage technique ?

Pierre Mbow - Nous avons été obligés de mettre une bonne partie du personnel en chômage technique : c’est le cas actuellement de 179 personnes. Nous faisons le point tous les trois mois. Le prochain sera fait en décembre… on ne peut pas avoir 60 clients et 310 employés pour les servir !

Outre nos 310 employés permanents, nous recrutons du personnel journalier lorsqu’il y a un surcroît d’activité : quand toutes les salles sont occupées, ou quand on dépasse les 80 % d’occupation des chambres et des suites.

Comment le King Fahd réussit-il cependant l’exploit de rester ouvert ?

Pierre Mbow - On reste ouvert, et cela nous coûte très cher. Il faut bien des hôtels pour accueillir ceux qui ont la chance de pouvoir voyager. Mais c’est pour nous une perte sèche.
Le King Fahd Palace, par exemple, c’est 46 000 ampoules !
Nous avons donc beaucoup de difficultés à couvrir nos charges, qu’elles soient d’énergie, de sécurité… Il faut assurer la sécurité, transporter le personnel, payer les fournisseurs…

Une vue du King Fahd Palace de Dakar. © DR

Avez-vous quelques espoirs que les choses s’arrangent en 2021 ?

Pierre Mbow - Les choses s’arrangeront lorsque l’on trouvera un vaccin. C’est une évidence. Si on trouve un vaccin fiable, ou si la pandémie s’épuise, on pourra espérer.
Il faut impérativement qu’un vaccin soit trouvé, pour que les gens soient rassurés de venir, ou que la pandémie s’estompe.

Face à l’épidémie, le Sénégal a pris des mesures d’urgence bien avant d’autres pays… Fait-on tout ce qui est nécessaire ?

Pierre Mbow - Force est de reconnaître que les autorités sénégalaises ont eu à prendre le taureau par les cornes, avec notamment un couvre-feu imposé et qui a été respecté. D’autres dispositions ont également été prises : mise en place de protocoles sanitaires dans les aéroports, fermeture des frontières, réciprocité avec certains pays interdisant aux Sénégalais l’entrée sur leur territoire, comme la France par exemple.

Ces pays étaient plus impactés que nous. Aujourd’hui, on le voit : ça diminue ici, je ne sais pas par quel miracle. Certainement le virus ne doit pas aimer la chaleur, le soleil de Dakar a aussi dû nous aider. Les chiffres de personnes contaminées diminuent de jour en jour : hier, il n’y a eu que 9 nouveaux cas, au lieu de 100 ou 110 à une certaine période.

« C’est le protocole du Professeur Raoult
qui est appliqué ici avec succès »

Les recherches, notamment de l’Institut Pasteur de Dakar, vont bon train. Vous donnent-elles espoir ?

Pierre Mbow - Au Sénégal, c’est le protocole du Dr Didier Raoult qui est appliqué avec succès. Peut-être que beaucoup de Sénégalais étaient déjà immunisés car ici, dès l’enfance, nous prenons chaque semaine de la chloroquine contre le paludisme. Le Professeur Raoult est né au Sénégal et y revient chaque année. Très contesté en France, où il a aujourd’hui bien des soucis, nous apprécions son travail et lui disons toute notre reconnaissance.

Vos confrères connaissent-ils la même situation que vous ?

Pierre Mbow - Oui, nos confrères sont aussi impactés que nous. Le Sénégal a l’habitude d’accueillir des conférences internationales. Mais là, il y a une conférence sur la paix qui se passe à Paris alors qu’avant le Forum pour la Paix et la Sécurité en Afrique se passait chaque année ici, au King Fahd Palace. Les exemples comme cela sont nombreux. Il ne faut pas qu’on reste les bras croisés.

« Le retour du rallye Paris-Dakar
et autres idées… »

Quelles sont vos idées pour relancer le tourisme ?

Pierre Mbow - Il ne faut pas qu’on reste les bras croisés. Il faut que, dans un futur proche, on fasse parler du Sénégal, mais en bien. Le Sénégal a perdu des événements très importants qui remplissaient tous les hôtels. Un exemple : le rallye « Paris-Dakar », qui porte toujours le nom de Dakar alors qu’il se déroule en Amérique Latine !

Les autorités compétentes devraient voir les organisateurs. J’ai discuté avec certains d’entre eux, qui n’ont pas fermé la porte. Je suis en contact avec un des fondateurs du Dakar, Jérôme Lemaire, qui est au Maroc. Son rêve serait que ce rallye revienne au Sénégal. Il faut les rassurer et trouver un compromis avec eux pour que cette belle course, formidable opération de promotion pour le Sénégal, revienne au Sénégal.

Une vue côté jardins du King Fahd Palace de Dakar. © DR

Un autre exemple : le Sénégal a eu à accueillir la course Saint-Nazaire/Dakar (qui s’appelait à l’origine « La Baule-Dakar ») où les « Formule 1 des mers » venaient se mettre dans la baie de Gorée. Plus d’une vingtaine de bateaux qui sont en train de faire le Vendée Globe en ce moment venaient au Sénégal, mais ne viennent plus. Il faut aussi aller les voir.

Encore un exemple : il faut réhabiliter le lac Rose. Aujourd’hui, quand on y va, c’est des montagnes de sel. Une exploitation industrielle du sel. Il faut y mettre fin, car des millions de personnes sont venues au Sénégal pour visiter le lac Rose, et celui-ci est maintenant en train de disparaître. Il fait partie du patrimoine du Sénégal.

Le Sénégal se doit donc d’innover ?

Pierre Mbow - Bie sûr ! Il faudrait qu’on sorte de notre quotidien et qu’on invente des choses. Pendant la saison sèche, Dakar a besoin d’avoir un excellent marathon international. C’est un travail de longue haleine.

Et ce n’est pas tout. Nous avons un circuit automobile qui n’est pas exploité. Il faudrait le faire homologuer. Je sais que Jean Todt est venu ici quand j’étais directeur d’un autre établissement. Il est allé voir ce circuit. Ce circuit, il faut l’animer, et pas seulement avec des locaux. Il faut faire venir des gens d’horizons divers. On peut organiser quelque chose au niveau de l’Afrique, mais aussi ouvrir la compétition aux Occidentaux.

Un dernier exemple : la traversée Dakar-Gorée, c’est magnifique ! Il faudrait donc l’internationaliser.
Il faut prendre un agenda et cocher : mois de janvier marathon de Dakar, février La Baule/Dakar, etc. À chaque mois, un grand événement. On doit pouvoir le faire avec le ministère de tutelle et l’Agence sénégalaise de promotion du Tourisme (ASPT).
Tout cela, c’est bien sûr après la Covid, mais ne perdons pas de temps. Il ne faudra pas refaire 100 % de ce qu’on faisait, mais il nous faudra innover.

Le Sénégal ne doit-il pas s’adapter au tourisme de découverte ?

Pierre Mbow - Bien sûr ! Nous avons des endroits extraordinaires à faire découvrir. Il faudrait que l’État investisse dans le parc de Niokolo-Koba. Trouver des animaux en liberté, sans frontière… ce parc, comme le parc ornithologique du Djoudj sur le fleuve Sénégal, devrait être pris en charge par l’État.
Sur les traces du Bou El Mogdad, ce bateau mythique et de superbe croisière remontant le fleuve Sénégal en faisant la route des comptoirs de Saint Louis à Podor, nous pourrions imaginer un jour d’autres bateaux pour satisfaire les amateurs de croisière partant à la découverte des richesses du pays profond.

Autre endroit magnifique à faire découvrir : les îles du Saloum. Avant, les gens qui venaient au Sénégal allaient au Club Med. Ils ne voyaient que le trajet aéroport-Club Med et ils y restaient. Aujourd’hui, c’est le tourisme de découverte. Les gens veulent découvrir autre chose. Ils ont besoin de voir et de vivre autre chose.

Pierre Mbow : « Je voudrais profiter aussi de cette entrevue pour mettre en garde notre jeunesse contre les marchands d’illusions. » © DR

Ne faut-il pas aussi améliorer l’offre aérienne ?

Pierre Mbow - Les billets d’avion sont en effet trop chers, face à des destinations concurrentes du Sénégal qui sont subventionnées. Il faut voir avec les compagnies aériennes ce que l’on peut faire pour améliorer l’offre.

Relancée en peu de temps par le Français Philippe Bohn, à la demande du Président Macky Sall, notre compagnie nationale Air Sénégal se porte mal actuellement, comme 80 % des compagnies aériennes. C’est très difficile pour elles, quand un certain nombre d’aéroports sont fermés. Air Sénégal avait commencé à ouvrir certaines lignes pour diversifier son offre, mais la pandémie est arrivée …

La reprise des vols, comme la relance du tourisme d’affaires et du tourisme de découverte, tout cela rime avec sécurité. Il faut qu’on investisse aussi dans la sécurité. Il faut garantir au client le confort, c’est important. Mais il faut aussi garantir la sécurité, c’est indispensable.

« Les jeunes peuvent réussir ici,
car l’Europe ce n’est plus l’Eldorado »

Que faire pour améliorer la sécurité et l’image du pays ?

Pierre Mbow - Je vous donne un exemple : les touristes qui veulent visiter le centre de Dakar sont très souvent inquiétés par des badauds. Il faudrait trouver une solution. Je suis allé dans des pays où on a su prendre les bonnes mesures. Il faut de la communication et que tout le monde s’y mette.

Les chauffeurs de taxi qui veulent tout de suite faire des sous coûte que coûte en gonflant le prix des courses ne rendent pas service au pays… Les gens ne sont pas dupes car, aujourd’hui avec Internet, on sait la réalité des prix. Quand on veut tout de suite faire du profit sur le dos des touristes, ça les fait fuir !

Jusqu’à présent le Sénégal a été épargné par le terrorisme, mais fait-on assez pour garantir la sécurité ?

Pierre Mbow - En matière de sécurité, on n’en fait jamais assez. La sécurité est un point très sensible. Il faut continuer. Je voudrais aussi profiter de cette entrevue pour mettre en garde notre jeunesse contre les marchands d’illusions.

Car, aujourd’hui nous avons un problème avec les jeunes qui veulent aller en Occident. Ils s’en vont, avec d’ailleurs très peu de chances d’arriver. Et quand ils arrivent, ils s’aperçoivent malheureusement que ce n’est pas le paradis comme certains leur ont fait croire.

Il faudrait que ces jeunes soient formés. Le Sénégal a besoin de main d’œuvre. Ces jeunes-là, il faudrait les encadrer, mais il faudrait qu’ils acceptent d’être encadrés. C’est un problème de communication.
Les gens qui viennent d’Europe avec des « mallettes » – nos émigrés quand ils rentrent au pays – et qui donnent une autre vision de l’Europe, ne rendent pas service. Ils font croire à ces jeunes qu’il faut partir.

Que faire pour que la jeunesse sénégalaise reste au pays ?

Pierre Mbow - Personnellement, j’aurais pu rester en Europe et y faire une belle carrière, mais je m’étais fixé un objectif : devenir directeur d’hôtel au Sénégal, et cet objectif je l’ai atteint depuis longtemps.
Il convient donc d’informer tous ces jeunes qu’ils peuvent réussir ici, en restant au pays. Car en Europe, ce n’est plus évident.

L’État sénégalais a pris des dispositions pour les jeunes, qui peuvent être financés. Mais pour cela il faudrait qu’ils se bougent et transpirent un peu, qu’ils mettent sur la table un projet fiable.
J’en connais dont les projets ont été financés et, aujourd’hui, ils cultivent. Il ne faut pas penser que cultiver c’est honteux. C’est important de cultiver la terre dans un pays en grande partie agricole car l’adage dit : « la terre ne ment pas ».
La pêche : essayons de protéger nos eaux et nos ressources halieutiques. Nos jeunes aussi peuvent pêcher.

Il faut communiquer, mettre des spots à la télévision pour faire comprendre aux jeunes qu’ils peuvent réussir ici et qu’on arrête de les gaver avec des films qui leur montrent que, là-bas, c’est le paradis... Quand il faut aller dormir à dix dans une chambre, vous pouvez même avoir des problèmes de santé. En France, si vous avez un studio à 600 €, remerciez le Bon Dieu. Ici avec 25 000 francs CFA (environ 37 €), ils peuvent avoir une bonne chambre.

Nos jeunes pensent qu’aller en Europe, c’est l’Eldorado. Mais ce n’est plus le cas. Il y a en Europe de sérieux problèmes de chômage et de crise économique. Et, avec le Covid19, ça ne va pas - hélas - s’arranger de si tôt.

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