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Lahcen Haddad, ancien ministre marocain du Tourisme -

Comment la victoire politique de Macron peut inspirer les entrepreneurs

12 août 2017
Comment la victoire politique de Macron peut inspirer les entrepreneurs
Après le cas d’école devenu classique de Barack Obama, l’exemple « le plus récent de ces politiciens avec un flair d’entrepreneur est celui du fraîchement élu, jeune et dynamique président français Emmanuel Macron », estime Lahcen Haddad*. Pour l’ancien ministre marocain et consultant International de la Banque Mondiale, la réussite du « président-entrepreneur » s’articule autour de sept points-clés. Décryptage.

Photo - Lahcen Haddad, ancien ministre marocain du Tourisme - © DR


Il est rare que les chefs d’entreprise et les entrepreneurs se tournent vers les politiciens pour des leçons de vie sur le succès, à moins bien sûr que ce soit le cas de personnalités exceptionnelles comme Mahatma Ghandi, Martin Luther King ou Nelson Mandela, dont les histoires inspirent au niveau global. Au contraire, les politiciens visionnaires, avides de changement, ont souvent eu recours aux parcours réussis d’entrepreneurs prospères comme Bill Gates, Mark Zuckerberg ou Steve Jobs pour inspiration et idées pour mieux naviguer dans le monde complexe de la politique.

Toutefois, le monde a vu, ces dernières décennies, une succession de politiciens qui ont réussi, contre toute attente, à atteindre le sommet, et leurs exploits ont attiré l’attention des étudiants spécialistes en comportement entrepreneurial. Obama est dorénavant un cas d’école classique de politicien non-conventionnel, ayant entamé son ascension avec peu de probabilité de succès dans un système politique dont les résultats ont toujours été prévisibles, du moins en ce qui concerne la dimension raciale, et qui a utilisé avec succès les compétences et les astuces entrepreneuriaux pour mobiliser des millions autour de sa vision pour le changement.

Le cas le plus récent de ces politiciens avec un flair d’entrepreneur est celui du fraîchement élu, jeune et dynamique président français Emmanuel Macron. Macron n’a pas seulement atteint le sommet de la sixième économie mondiale, il a changé de manière irréversible et séismique le paysage politique de son pays. Sa réussite donne de l’espoir à des millions de personns en Europe et dans le monde, à un moment où l’apathie et la désillusion politiques ont déjà gagné du terrain aux États-Unis, en Europe et au Moyen-Orient.

« En Marche »... pour « le changement et l’espoir »

Les experts et les chercheurs en réussite entrepreneuriale se penchent sur l’histoire de Macron pour comprendre son succès. Il est qualifié de visionnaire pragmatique, qui a cru en son message et sa capacité à le transmettre ; il a pris des risques et a réussi à écouter, à mobiliser et à galvaniser des milliers de militants, de sympathisants et de bénévoles ; il a utilisé la technologie afin d’obtenir de l’information et l’a utilisée pour cibler les électeurs indécis et les faire voter pour le « changement et l’espoir », le message sous-jacent de son mouvement, qu’il a savamment nommé « En Marche ».

Macron a su utiliser ces compétences entrepreneuriales classiques avec habilité et dextérité. Il savait ce qu’il voulait et avait mis en place les moyens et les outils appropriés (y compris de Big Data) pour atteindre son objectif, pas seul, mais avec un groupe de personnes avides de changement, jeunes et pas si jeunes, hommes et femmes de France. Mais je crois que le succès de Macron va au-delà de la vision, de la prise du risque, de l’utilisation de la technologie, et de l’installation d’une marque. De nouvelles formes de comportement entrepreneurial ont fait surface avec la campagne et la victoire de Macron qui méritent d’être étudiées par les médias et les spécialistes.

1 - Être là au bon moment

Macron était au gouvernement de François Hollande au bon moment, mais l’a laissé quand il était temps de passer à autre chose. Il semble qu’il soit entré avec un but (pour servir et apprendre) et a quitté avec un but (ne pas être associé aux déboires du Parti socialiste et pour présenter un rêve beaucoup plus grand et le voir se réaliser). Macron était là quand la Droite avait du mal à trouver le bon candidat, la Gauche était divisée et l’extrême droite se présentait, dangereusement, comme étant la seule alternative.

Il s’est présenté en tant que candidat indépendant, anticonformiste et non-partisan, transcendant les problèmes qui divisent et appellant les Français à adopter les changements collectivement. Il a identifié une niche, un vide et l’a occupé avec un nouveau message, une nouvelle façon de voir et de faire les choses. Il a agi sur la faiblesse des autres et l’a utilisé pour développer une nouvelle vision qui rend ceux qui croient en lui plus forts et plus confiants. Il est devenu l’alternative ; son mouvement a incarné l’espoir dont les Français avaient tant besoin.

2 - Transformer l’adversité en opportunité

Macron semblait d’abord être une figure solitaire qui agissait contre les formidables machines des partis, rodées aux campagnes et habituées à naviguer à travers les temps difficiles lors des élections. Mais Macron a utilisé cette démarcation de « solitude » à son avantage : il est devenu l’outsider qui apporte un nouveau message à une élite politique perçue comme désuète et dépassée. Être outsider n’était pas seulement un atout considérable, mais a surtout contribué à attirer l’attention de la majorité silencieuse et désenchantée.

Ce qui a été un inconvénient est devenu non seulement une force mais un thème de campagne, un mantra de marketing qui a servi à faire passer le message. La campagne de Macron a non seulement "vendu plus", mais a convaincu les autres, pourtant désengagés, d’agir comme véhicules pour porter le nouveau message, le nouveau produit, la marque fraîchement inventée.

3 - Oser nager à contre-courant

Macron aurait pu choisir de se présenter avec une plateforme partisane existante de gauche ou de droite, en recyclant des messages précédents. Le résultat serait peut-être une opinion publique divisée, un président sans vrai mandat de gouverner et un triste retour collectif au statut quo. Macron a choisi de faire face à la tempête et de ne pas s’enfuir. Les chances étaient contre lui, mais cela ne le rendait que plus déterminé, plus organisé et finalement plus convaincant. Si le vent souffle fortement contre vous, il pourrait soit vous briser, soit vous rendre plus résilient. Plus le vent cingle, plus vous devenez fort.

Macron a préféré un « nouveau départ » au lieu du statut quo. Et cela a bien fonctionné : son message a résonné avec des millions et sa lancée a surpris les experts et la presse. Ce qui a été une aventure dans l’inconnu est devenu un gigantesque pas hors de la norme, quelque chose de visionnaire et de galvanisant. Ce saut vers l’inconnu a été ce qui a fait de YouTube, Apple, Ryanair, Google, Booking, Airbnb, Netflix, Uber et d’autres, des prises de risque de génie qui ont révolutionné des industries tout entières et ont changé le monde tel que nous le connaissons, et à jamais.

4 - Oser défier l’ordre établi

L’ordre établi définit les conditions d’entrée et les règles de conduite, tant dans domaine des affaires que dans celui de la politique. Le défier est risqué : l’insolence pourrait vous faire ou vous défaire. La défiance signifie que vous êtes privé d’atouts qui vous permettent de négocier avec les détenteurs du pouvoir. Mais Macron a vu qu’il avait plus de puissance à gagner en s’alignant sur les besoins de ceux qui se sentent exclus ou impuissants. Parce qu’il raisonnait à l’extérieur du système, les mécanismes traditionnels ne l’ont pas tellement heurté en se fermant devant lui. En fait, il s’est senti libéré et libre d’inculquer un sentiment de nouveauté et d’inventivité parmi ceux qui se sont portés volontaires pour sa campagne, c’est-à-dire pour être des agents de changement. Il a tellement secoué l’ordre établi qu’il l’a rendu obsolète aux yeux de l’électorat, comme cela a été démontré plus tard lors des élections législatives.

Défier l’ordre établi pourrait être le début d’une grande réussite pour les entrepreneurs. Souvent critiqué pour les mauvaises conditions de travail des employés, Michael O’Leary, le PDG controversé de Ryanair, a toutefois pu transformer la compagnie aérienne irlandaise d’un opérateur régional transportant seulement 3,7 millions de passagers en utilisant 21 avions, à un opérateur européen géant avec « 119 millions de passagers sur plus de 1 800 vols quotidiens à partir de 86 bases, reliant plus de 200 destinations dans 33 pays, utilisant une flotte de plus de 360 appareils Boeing 737, et 305 autres sur commande, ce qui permettra à Ryanair de réduire ses tarifs et de faire croître son trafic à 200 millions de personnes à l’horizon 2024 ».

O’Leary a pu réussir le pari en défiant l’ordre établi en Irlande et au Royaume-Uni et au niveau de l’Union Européenne. Macron est complétement différent du controversé O’Leary, mais les deux démontrent que la remise en question de l’ordre établi pourrait être rentable aussi bien en affaires qu’en politique.

5 - Laisser les adversaires parler de soi

Au cours du débat télévisé avec la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen, (au deuxième tour des élections présidentielles), en mai 2017, Macron a présenté sa vision pour la France ainsi que les décisions qu’il prendrait pour faire face à ses problèmes économiques et sociaux. Son adversaire l’a attaqué tout au long du débat.

En acceptant la critique (même la partie la plus vicieuse), Macron laisse toute l’attention se concentrer sur lui. Il a transformé les attaques de Le Pen en occasions de communiquer sur son programme et son approche innovante. Les critiques implacables de Le Pen l’ont en fait mis sur la sellette, comme s’il était le seul candidat. C’était un cadeau de communication qui l’a fait briller et a réduit la présence de son adversaire à celle d’un prompteur. Les entrepreneurs les plus habiles sont ceux qui transforment les attaques des adversaires en occasions de communication sur eux-mêmes et sur leurs produits.

6 - Savoir gérer la réussite

Macron a fait ce que les entrepreneurs prospères devraient faire : il a développé la marque et a continué à la promouvoir même après que sa réputation a été portée au plus haut niveau. Il a continué à être inclusif, communicatif et innovant, même après sa victoire et sa consécration. En fait, il a utilisé son succès pour créer un nouveau parti et l’orienter vers la domination de la politique française lors des élections législatives.

Non seulement il a bien réussi sa victoire, mais il a maintenu la dynamique de changement qu’il a créé en aspirant au rôle d’un leader européen unifiant, un modèle d’espoir dans une Europe passant par l’une de ses crises existentielles les plus dures, doutant même de sa destinée. Gérer le succès est une excellente qualité d’entrepreneurs prospères : ils ne deviennent jamais complaisants ; au contraire, c’est quand le changement a lieu que le vrai travail commence - comme l’illustre l’histoire de la vie et du travail de Steve Jobs chez Apple -, celui de la transformation continue et de la transition vers une nouvelle façon de faire les choses dans un monde en évolution rapide.

7 - Conclusion : les opportunités en or vous viendront
mais vous devez être capable de les discerner

Macron a pris le monde d’aujourd’hui, à la recherche d’une lueur d’espoir à un moment de doute, de populisme croissant, de xénophobie et le protectionnisme, par surprise. Au lieu de céder à l’apathie et au nationalisme égocentrique, il a fourni une nouvelle raison d’espoir et de croyance en l’avenir. Il a fait preuve de leadership de grand calibre à la hauteur du rôle de la France à l’échelle européenne et mondiale.

Son cas d’école est une aubaine pour les entrepreneurs, un cas à suivre de très près. Le brillant succès de Macron présuppose une réflexion, un travail acharné et des compétences. Les entrepreneurs prospères ne prennent pas seulement le monde par surprise, mais le font avec dextérité, persévérance et un regard habile pour l’opportunité. Si l’occasion se présente, saisissez-là en temps opportun, et vous trouverez le filon d’or comme Macron a su et a pu le faire.

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*Ancien ministre, Lahcen Haddad est consultant International de la Banque Mondiale, professeur de Négociation internationale et de Management stratégique à la Toulouse Business School. Il écrit souvent pour la Harvard Business Review et Entrepreneur.

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Ce texte a été publié une première fois sur le blog EuroMed-Afrique d’Alfred Mignot, sur LaTribune.fr, le 17 juillet 2017.

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