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Tribune Libre, par Jean-Baptiste Buffet, de l’Institut Thomas More

Comment l’UPM peut-elle rebondir après
la démission de son SG Ahmad Massa’deh ?

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 4 février 2011 | src.LeJMED.fr
Comment l'UPM peut-elle rebondir après la démission de son SG Ahmad Massa'deh ?
Bruxelles -

Analysant les dysfonctionnements de l’UPM, plus que jamais mis en lumière par la démission de son Secrétaire général, le 26 janvier 2011, Jean-Baptiste Buffet, Chercheur associé à l’Institut Thomas More sur les questions euro-méditerranéennes, considère que leur genèse tient avant tout à "un blocage avant tout entre partenaires européens, entre une Europe du Nord et de l’Est qui regardent à l’Est du continent, et des partenaires « latins » qui souhaiteraient davantage d’investissement au Sud. Cette fracture apparaît aujourd’hui criante". Quels enseignements tirer de ce constat, quelles pistes d’avenir pour surmonter ce blocage ? Jean-Baptiste Buffet s’efforce ici de répondre à ces questions dont dépend l’avenir de l’UPM.

Photo ci-dessus : Ahmad Massa’deh lors de sa dernière conférence de presse, quelques jours avant sa démission, le 17 janvier 2001, au siège de l’UPM à Barcelone © LeJMED.fr - janvier 2011


Titre original

Démission du Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée : clarifications, enseignements et propositions

Tribune Libre
par Jean-Baptiste BUFFET
Chercheur associé à l’Institut Thomas More
sur les questions euro-méditerranéennes


L’Union pour la Méditerranée (UpM) ne pouvait pas tomber plus bas. Mercredi 26 janvier, dans une déclaration soudaine mais peu étonnante – Ahmad Massad’eh avait en effet évoqué un possible départ dès le début de l’été 2010 –, le Secrétaire Général de l’organisation basée à Barcelone, a en effet
présenté sa démission de son poste dans un communiqué adressé aux 43 chancelleries qui composent l’organisation régionale.

Nommé à cette position tout juste un an avant (sans qu’il y ait d’ailleurs eu d’autres candidats officiels), il explique dans ce communiqué que « ses fonctions ne correspondent plus à ses souhaits » et que « les conditions dans lesquelles il a accepté ce poste ont changé ».

Depuis près de deux ans de recherche sur le sujet, l’Institut Thomas More n’a cessé de réaffirmer ses doutes et ses craintes, non sur dans l’idée et le concept même de l’UpM, mais sur sa mise en œuvre, la trop forte politisation et les dérives qui menaçaient son fonctionnement institutionnel.

De nombreuses alertes avaient été données, déjà bien avant les déboires des sommets d’Istanbul en 2009, de Barcelone en 2010 – échec de la réunion ministérielle sur l’eau en avril 2010 et ajournement du sommet des Chefs d’État et de gouvernement en juin puis novembre 2010 –, et un certain nombre de propositions opérationnelles avaient été avancées, sans être toutefois prises en compte.

Il convient aujourd’hui de renouveler nos constats et nos propositions.

Des clarifications sur la démission

Quelques clarifications supplémentaires méritent d’être apportées sur la démission soudaine du Secrétaire Général et sur les raisons de ce départ.
Les sources témoignant au sein du Secrétariat permanent de l’UpM basé à Barcelone ont assuré mercredi 26 janvier, à l’inverse de ce que relatent les médias francophones ou anglophones, que la démission de Massad’eh n’était pas liée aux tensions actuelles au Moyen-Orient, mais bien à cause de « problèmes et obstacles en particulier au sein de l’UE et avec certains pays d’Europe du Nord, bloquant le travail du Secrétariat ». Alors que la presse française s’est empressée d’évoquer le conflit israélo-palestinien comme source majeure ou unique de sa démission, il faut bien rappeler, comme nous l’évoquions dans notre dernier rapport « Dernière chance pour l’UpM ? Propositions pour un rebond », réalisé en collaboration avec "Confrontations Europe", que la question israélo-palestinienne est bien souvent un artefact, l’arbre qui cache la forêt et des maux bien plus profonds, au sein de l’institution.

Cette explication donnée par un officiel basé à Barcelone révèle au grand jour le blocage central de l’institution : un blocage avant tout entre partenaires européens, entre une Europe du Nord et de l’Est qui regardent à l’Est du continent, et des partenaires « latins » qui souhaiteraient davantage d’investissement au Sud. Cette fracture apparaît aujourd’hui criante, et sa conséquence immédiate en est le budget de l’institution, sa philosophie générale et ses moyens techniques.

En effet, le Secrétariat Général le constate lui-même, cette déchirure entre partenaires européens entraîne « un manque de ressources financières afin de pouvoir concrétiser les projets prévus dans le cadre de l’UpM dû à des promesses de financement que certains pays n’ont pu tenir ». Nous avions déjà considéré la question du budget comme clé pour l’avenir de l’institution dans nos précédents rapports, et avions à ce titre évoqué le manque de volonté politique, en particulier d’un certain nombre de pays du Nord et de l’Est à vouloir accroître leurs financements pour la région Méditerranéenne, et donc pour l’UpM. Cette question du budget reste entière et continuera d’être le point focal des discussions des prochains mois, ce jusqu’à la négociation des perspectives financières 2014-2020 de l’Union Européenne.

Ces clarifications sur les raisons du départ de Massad’eh sont essentielles. Elles révèlent des dysfonctionnements et des désaccords profonds, d’abord entre Européens, avant même d’évoquer des différences de vue ou d’approche avec les partenaires du Sud, et bien loin du seul conflit israélo-palestinien.

Des enseignements

À partir de ces constats (qui ne sont pas exhaustifs), plusieurs enseignements, à différents niveaux, peuvent être dressés sur l’état actuel de l’UpM.

Le premier des enseignements, c’est qu’elle est aujourd’hui une institution sans gouvernance.

Sans gouvernance politique (aucune réunion des Chefs d’État et de gouvernement et aucune réunion des ministres des Affaires étrangères) ni gouvernance technique (plus de Secrétaire Général). Cela pose un certain nombre de questions, notamment celle du contrôle et de la mise en œuvre des différents projets déjà lancés. En tout état de cause, ces revers successifs mettent en exergue l’échec de l’approche « top-down » qui avait prédominé à la création de
l’UpM, dont la diplomatie française était à l’origine. Incapables d’asseoir un quelconque leadership politique, la coprésidence franco-égyptienne et le Secrétariat de Barcelone nous montrent qu’il faudra bien plus compter sur les demandes locales, sur l’investissement de la société civile et des élus locaux à l’avenir, que sur une réelle impulsion politique.

Le deuxième enseignement, c’est que l’UpM doit avant tout mettre au clair son approche, sa philosophie, ainsi que de s’accorder entre pays Européens, avant de trouver un accord Nord-Sud. La plupart des dissensions sont aujourd’hui européennes, pas méditerranéennes.

L’euphorie du départ (Sommet de Paris en juillet 2008, Sommet de Marseille en novembre 2008) masquait donc, derrière le faste et les sourires de façades, des divergences bien profondes.

Le troisième enseignement, c’est qu’un réel débat va s’amorcer pour savoir si
l’institutionnalisation de la région méditerranéenne (en somme, la création de l’UpM) est ou était une bonne solution ou non. La démission du Secrétaire Général semble donner raison à tous les « UpM-sceptiques » du départ, dont l’Allemagne faisait partie.

Il ne faut cependant pas voir dans l’institutionnalisation du processus de Barcelone tous les maux de l’organisation. La démission du Secrétaire Général n’est pas une démission contre l’institution en tant que telle.
Elle est une démission suite au manque de financements, aux sempiternels blocages entre États membres, et surtout, une démission par le manque de volonté politique des États afin de construire cette Union. Il ne faut donc pas condamner l’institution en soi, mais bien la repenser intégralement, la réorienter et la réaménager.

Des portes de sortie

Les échecs successifs de l’UpM depuis 2008 sont la preuve que d’importantes réorientations doivent être apportées par rapport au projet tel qu’il est aujourd’hui, des propositions que l’Institut Thomas More avait avancées très tôt dans le processus.

L’UpM est un projet qui a suscité trop d’attentes de la part de ceux qui voyaient en elle la
résolution de tous les problèmes de la région. Le projet a été mené avec des ambitions bien trop grandes pour les moyens dont disposait l’institution. Il serait donc souhaitable de concevoir un projet moins ambitieux, et qui incarne mieux les demandes des peuples de la Méditerranée et des populations locales. Le premier grand sondage des Méditerranéens réalisé par la Fondation Anna Lindh représente à ce titre une très bonne base de départ que les chefs d’État et de gouvernement devraient analyser de près.

Les six axes prioritaires retenus l’UpM au départ (dépollution et autoroutes de la Mer, plan solaire, université, formation professionnelle, soutien aux PME, protection civile) doivent être aujourd’hui reconsidérés en fonction du besoin des pays méditerranéens et des financements disponibles. Deux axes peuvent d’ores et déjà être considérés comme prioritaires : la sécurité alimentaire et la gestion de l’eau – deux axes dont nous avions défini les contours dans notre précédent rapport. Il convient de noter à cet égard que l’ARLEM (l’Assemblée Régionale et
Locale Euro-Méditerranéenne) représente aujourd’hui un très bon point d’appui pour l’UpM, notamment sur la gestion de l’eau. Le Sommet de l’ARLEM à Agadir, samedi 29 janvier, devait aussi permettre d’évoquer cette porte de sortie, celle de savoir comment l’UpM peut désormais mieux s’incarner au niveau local, plutôt qu’à un niveau ministériel.

Troisième condition, pour que l’UpM ait une petite chance de rebondir, celle de travailler à une échelle plus réduite, avec des formules plus simples (type 5+5) qui existent déjà, ou de se concentrer à un niveau « sous-régional », c’est-à-dire Maghreb, Machrek et rive Nord.

Tant d’obstacles restent à surmonter entre pays maghrébins (Algérie/Maroc, intégration régionale), au Proche-Orient (reprise du processus de paix sous une autre forme) ou sur la rive Nord (trancher le débat européen). L’UpM ne peut plus se permettre d’attendre que 43 pays soient prêts en même temps. L’UpM ne peut plus se permettre de se perdre dans des considérations politiques ou institutionnelles qui menacent son avenir. Elle doit désormais se concentrer à débloquer des situations qui feront basculer l’avenir de la région.

À l’heure où la région connaît des troubles sociaux et politiques majeurs, il est grand temps que la réponse européenne soit appropriée aux besoins et aux attentes des pays du Sud. Une remise à plat des grandes politiques de voisinage ainsi que des instruments qui y sont liés (Politique de Voisinage, accords bilatéraux et multilatéraux, Dialogue 5+5, Dialogue OTAN, statut avancé, etc.) est nécessaire et doit être lancée au sein du nouveau Service Européen
d’Action Extérieure.

La période qui s’ouvre s’annonce décisive, et délicate. Trois présidences successives de l’UE seront menées par des pays du Nord et de l’Est de l’Europe jusqu’à la mi-2012 (Hongrie, Pologne et Danemark) alors que s’ouvriront les négociations sur les perspectives financières 2014-2020. L’engagement européen en Méditerranée est menacé, et d’autres puissances mondiales n’attendent pas pour « remplacer » l’Europe sur le terrain...

Jean-Baptiste BUFFET
Chercheur associé à l’Institut Thomas More
sur les questions euro-méditerranéennes


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