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Professeur Abderrahmane Mebtoul* (Algérie) :

« Comment développer
la coopération entre l’Algérie
et la France du président Emmanuel Macron ? »

12 juillet 2017
« Comment développer la coopération entre l'Algérie et la France du président Emmanuel Macron ? »
« C’est un homme de dialogue, conscient des enjeux du monde nouveau… Je tiens à féliciter Emmanuel Macron, nouveau Président de la République française qui connaît parfaitement l’Algérie. Je pense fermement que certaines tensions entre l’Algérie et la France ne sont que passagères », affirme le Professeur Abderrahmane Mebtoul*, économiste expert de renommée internationale. Pour La Tribune, il rappelle ici quelques fondamentaux de la relation franco-algérienne, manière pour lui de contribuer dès le début de ce quinquennat au renforcement de la coopération entre les deux pays, quelques jours après l’élection présidentielle française et les élections législatives algériennes...


Nos deux pays doivent avoir une vision commune de leur devenir, et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale, conditionnée par un véritable co-développement. S’il ne s’agit nullement d’occulter la mémoire, indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France, il s’agit bien, en ce monde impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, de préparer l’avenir, ensemble et dans le respect mutuel.

Pour ma part, au cours de différentes rencontres avec d’importantes personnalités politiques et économiques, j’ai souligné que l’Algérie entend ne pas être considérée comme un simple marché. Et c’est dans ce cadre que doit se déployer un co-partenariat entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.

C’est dans le contexte de la quatrième révolution économique mondiale que doit être appréhendée une approche réaliste du co-partenariat entre l’Algérie et la France tenant compte.

Repousser les frontières de Schengen...
jusqu’au sud du Maghreb

Au niveau mondial, nous assistons à l’évolution d’une vision purement matérielle, caractérisée par des organisations hiérarchiques rigides, à un nouveau mode d’accumulation fondé sur la maîtrise des connaissances, des nouvelles technologiques et des organisations souples en réseaux comme une toile d’araignée à travers le monde, avec des chaînes mondiales segmentées de production où l’investissement, en avantages comparatifs, se réalise au sein de sous-segments de ces chaînes.

Comme le note justement mon ami Jean-Louis Guigou, président de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen, à Paris), il faut faire comprendre que, dans l’intérêt tant des Français que des Algériens - et plus globalement des Maghrébins et des Européens ainsi que de toutes les populations sud-méditerranéennes -, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain... doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l’Algérie, et à l’est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie, passant par une paix durable au Moyen-Orient, les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique.

Plus précisément, l’Algérie et la France présentent l’une et l’autre des atouts et des potentialités pour la promotion d’activités diverses et cette expérience peut être un exemple de ce partenariat global devenant l’axe privilégié du rééquilibrage du sud de l’Europe, par l’amplification et le resserrement des liens et des échanges sous différentes formes.

Intensifier les échanges entre la France et l’Algérie

Les relations économiques entre la France et l’Algérie se maintiennent à un niveau important, comme l’atteste le bilan officiel 2016 du commerce extérieur de l’Algérie. Tandis que les pays de l’Union européenne sont toujours les principaux partenaires de l’Algérie (47,47 % des importations et de 57,95 % des exportations), on peut relever que le principal client est l’Italie, qui absorbe plus de 16,55 % des ventes, suivie par l’Espagne à 12,33 % et la France, à 11,05 %. Pour les principaux fournisseurs, la France occupe le premier rang des pays de L’UE avec 10,15 %, suivie par l’Italie et l’Espagne, avec respectivement 9,93 % et de 7,69 % du total des importations.

Durant les deux premiers mois de 2017, l’Italie a été notre principal client avec une part de 17,73 % des ventes algériennes à l’étranger, suivie par l’Espagne pour 15,14 % et la France pour 12,63 %. La Chine, qui représente notre principal fournisseur durant les deux premiers mois de l’année 2017, a livré 20,21 % de nos importations, suivie par la France pour 8,17 % et l’Italie pour 6,88 %, la France demeurant le premier investisseur hors hydrocarbures.

Cependant, les échanges entre l’Algérie et la France peuvent être intensifiés dans tous les domaines : agriculture, industrie, services, tourisme et éducation, sans oublier la coopération dans le domaine militaire, où l’Algérie peut être un acteur actif, comme le montrent ses efforts en vue de la stabilisation de la région.

Par ailleurs, n’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne en France, qui dépasseraient les 4 millions, dont 2 millions de binationaux. Quel que soit son nombre exact, la diaspora représente un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, car elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile.

Éviter toute sinistrose dans la vision de l’Algérie

En ce moment de tensions géostratégiques au niveau de la région, avec notamment le terrorisme, la consolidation des grands ensembles, les enjeux de la mondialisation, le rapprochement entre de nos deux pays est nécessaire pour une intensification de la coopération entre la France et l’Algérie via l’Europe, à la mesure du poids de l’histoire qui nous lie.

Mais les étrangers ne feront pas les réformes à notre place : l’Algérie sera ce que les Algériennes et les Algériens voudront qu’elle soit, en supposant que les réformes structurelles indispensables se fassent, si elle veut éviter sa marginalisation et le retour au FMI à l’échéance 2018-2019.

L’Algérie peut surmonter les difficultés actuelles et être un acteur actif au sein de la région méditerranéenne et africaine. Il faut éviter toute sinistrose dans la vision de l’Algérie, car la situation est différente de celle de 1986 : la dette extérieure, inférieure à 4 milliards de dollars, et des réserves de change de 109 milliards de dollars au 1er février 2017, offrent un répit de trois années.

L’Algérie peut surmonter les difficultés actuelles. Pourtant, la réussite du partenariat industriel, national et international, n’est pas réalisable sans une gouvernance centrale et locale rénovée, une vision cohérente se fondant sur des réformes structurelles tant politiques, sociales, économiques - dont le marché financier, le foncier, le marché du travail et surtout la réforme du système socio-éducatif, pilier de tout processus de développement à l’aube de la quatrième révolution technologique.

Entreprendre ensemble dans le cadre du respect mutuel

Les tactiques doivent s’insérer au sein de l’objectif stratégique de maximiser le bien-être social de tous les Algériens. Face aux nombreux nouveaux défis qui attendent notre pays afin de le hisser au rang de pays émergent, à moyen et long termes, l’Algérie se doit d’engager des réformes structurelles supposant un large front social interne de mobilisation, tolérant les différentes sensibilités. Pour cela, la domination de la démarche bureaucratique devra faire place à la démarche opérationnelle économique, avec des impacts économiques et sociaux positifs à terme. En résumé, l’intensification de la coopération ne sera possible - tout en n’oubliant pas le devoir de mémoire - que si l’Algérie et la France ont une approche réaliste du co-partenariat, un partenariat gagnant-gagnant loin du mercantilisme et de l’esprit de domination, et une vision commune de leur devenir.

L’Algérie et la France sont des acteurs incontournables pour la stabilité de la région, et toute déstabilisation de l’Algérie aurait des répercussions géostratégiques négatives sur l’ensemble de la région méditerranéenne et africaine, comme je l’ai souligné avec force dans mon interview donnée le 28 décembre 2016 aux États-Unis, à l’American Herald Tribune. Et bien entendu sous réserve que l’Algérie approfondisse l’État de droit et la démocratisation de la société, et qu’elle réoriente sa politique économique afin de réaliser un développement durable. Les tensions actuelles entre l’Algérie et la France ne sont que passagères, selon les informations que j’ai recueillies auprès d’importantes personnalités de l’Hexagone. Il s’agit d’entreprendre ensemble dans le cadre du respect mutuel. C’est dans ce cadre que doit rentrer un partenariat gagnant-gagnant entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.

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* Auteur de nombreux articles publiés dans la presse internationale, le Professeur Abderrahmane Mebtoul a notamment animé une conférence - dont La Tribune était partenaire -, le 7 avril 2016 à La Villa Méditerranée de Marseille, sur le thème «  Le partenariat gagnant-gagnant et le dialogue des cultures dans le cadre de la coopération Algérie-France, facteur de stabilité de la région africaine et euroméditerranéenne  » en présence de nombreuses personnalités politiques et économiques, d’experts internationaux et du personnel diplomatique du consulat général d’Algérie à Marseille.
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Ce texte a été publié une première fois sur le blog EuroMed-Afrique d’Alfred Mignot, sur LaTribune.fr, le 11 mai 2017.

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