Christophe EKEN, son nouveau Président camerounais : « La CPCCAF est un formidable levier opérationnel pour que la francophonie devienne une zone économique de premier plan »
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Entretien exclusif réalisé par Alfred MIGNOT, AfricaPresse.Paris (APP)
@alfredmignot | @africa_presse
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AfricaPresse.Paris (APP)– Monsieur Eken, vous venez d’être élu Président de la CPCCAF. Voulez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
Christophe EKEN – Je suis ingénieur, j’ai été formé ici à Paris, en passant par les classes préparatoires à l’École spéciale des travaux publics, Ingénieur de l’École spéciale de mécanique et d’électricité de Paris et auditeur diplômé de l’Ecole centrale de Paris.
Au plan professionnel, j’ai notamment été pendant dix-huit ans responsable du groupe Air Liquide au Cameroun, puis j’ai créé une société de transport interurbain (Centrale Voyages). De même, j’ai été aussi pendant seize ans le Représentant de Mercedes-Benz au Cameroun (Globauto Sa) et aujourd’hui je me suis reconverti dans la transformation agro-industrielle. Au plan de l’engagement personnel, j’ai aussi été député et adjoint au maire de Bafang, ma ville d’origine, située dans l’ouest du Cameroun.
Depuis 2008, je préside la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et de l’artisanat du Cameroun (CCIMA), et je viens donc d’être élu président de la Conférence permanente des chambres consulaires africaines et francophones (CPCCAF), dont vingt-cinq pays d’Afrique sont membres, sur 31 pays au total.
APP – Quels sont les grands axes d’action que vous envisagez pour votre mandature de trois ans à la tête de la CPCCAF ?
Christophe EKEN – La première chose, si vous le permettez, c’est de vous inviter à regarder une carte du monde. Vous vous rendrez alors compte que la francophonie est présente presque partout et rassemble pratiquement 400 millions de personnes. De ce fait, on se pose souvent la question : pourquoi la francophonie n’est pas la première puissance économique du monde ? Elle devrait pourtant l’être !
Aujourd’hui, il est vrai que nous sommes dans un creux, mais l’évolution dépendra de la stratégie que chaque pays, la France en premier, doit mettre en œuvre pour rebondir et assurer la résilience des économies francophones.
Je suis donc le président de la CPCCAF, une des entités représentatives de cette francophonie économique – 31 pays dont 25 en Afrique, soit environ 400 millions de personnes concernées disais-je, avec plus de 160 chambres consulaires et plus de 2 millions de ressortissants ou entreprises impliquées… Avec la CPCCAF, nous disposons donc d’un formidable levier opérationnel pour réaliser nos rêves et faire en sorte que la francophonie devienne une zone économique de premier plan.
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Photo de gauche - Le Président Christophe Eken et le Délégué général de la CPCCAF Denis Deschamps (à droite sur la photo) à la rencontre de Joël Fourny, le Président de la CMA. © DR.
Photo de droite : rencontre avec John Denton, Secrétaire général de l’ICC. © DR.
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APP - Comment atteindre cet objectif si ambitieux ?
Christophe EKEN – Mon premier rôle, en tant que Président de la CPCCAF, c’est de pouvoir amener mes collègues, aussi bien ici en France, en Europe qu’en Afrique ou en Amérique du nord et en Asie, à mettre en place un réseau de travail partagé, c’est-à-dire en compagnonnage, grâce à une combinaison d’expériences et d’expertises nord-sud, et de plus en plus sud-sud avec la Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf)… pour qu’en définitive, de plus en plus de PME françaises, africaines et francophones soient actives à l’international en concluant des partenariats équilibrés.
Je précise que je pense d’abord aux PME, car en effet les entreprises françaises qui sont présentes en Afrique sont le plus souvent de très grandes entreprises. Or, comme je me plais à le répéter, la forêt n’est pas peuplée que de grands baobabs !…
À ce stade de mon propos, je tiens à rendre hommage à quelqu’un que je connais et que j’aime bien, Pierre Castel, qui a formé le groupe des Brasseries du Cameroun et qui a justement compris qu’il fallait travailler avec nos petites et moyennes entreprises. Il a aussi créé le Fonds Pierre Castel-Agir avec l’Afrique, qui décerne des prix à des PME de l’agro-industrie. Je suis bien sûr membre actif de cette organisation qui a pour objet d’intégrer les PME : c’est là, à mon sens, un modèle que les grandes entreprises françaises installées dans nos pays d’Afrique devraient dupliquer.
APP - Quel type d’actions envisagez-vous en faveur des jeunes ?
Christophe EKEN – Le rôle de la CPCCAF, qui comprend 160 chambres consulaires dans 31 pays francophones, c’est de travailler avec les membres de notre réseau de coopération, pour les aider à mieux accompagner leurs entreprises, renforcer leurs capacités et compétences, et surtout aider nos jeunes à intégrer la nouvelle dynamique numérique, pour qu’ils puissent faire de la production numérique, plutôt que de s’en tenir à la seule consommation.
En effet, les jeunes créatifs sont aujourd’hui nombreux en Afrique : ils ne demandent qu’à être encouragés, accompagnés, éclairés… Et c’est exactement le rôle que nous jouons, en lien avec nos membres, dans tous les pays où la CPCCAF est présente ou représentée.
APP - Quelle coopération souhaitez-vous avec l’Union européenne ?
Christophe EKEN – Nous avons pour objectif premier de trouver des partenaires techniques et financiers, à commencer par ceux des États membres de la CPCCAF, mais aussi l’Union européenne. Car trouver les financements, c’est donner aux startups et entreprises la capacité d’ancrer les jeunes en Afrique, et qu’ils ne prennent plus le risque d’aller mourir dans la traversée du désert ou en mer.
À ce point de mon propos, je tiens à féliciter l’Union européenne qui a mis en place le programme Archipelago, pour lequel l’UE a investi 15 millions d’euros dans 12 pays d’Afrique (zone Sahel et région du lac Tchad), pour 20 projets au total, dont 14 sont supervisés avec succè par la CPCCAF au plan opérationnel, soit près de 70 %.
Au regard des résultats très positifs de ce programme européen, nous espérons que l’Union européenne prolongera cette coopération bénéfique, avec un Archipelago 2.
À noter qu’il y a aussi le programme Erasmus +, qui touche plus de 200 000 enseignants et étudiants et que nous souhaitons étendre à l’Afrique, comme également le programme VET Toolbox, qui accompagne les jeunes entrepreneurs.
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Rencontre avec des responsables de l’OIF et avec Dominique Restino, Président de la Chambre de commerce Paris-IDF et premier vice-Président de la CPCCAF. © DR
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APP – Aujourd’hui, vous vous trouvez en déplacement à Paris. Avez-vous un objectif précis ?
Christophe EKEN – J’arrive en fait de Bordeaux où j’ai assisté à une tournée de la Fondation Pierre Castel. Je fais ce détour à Paris d’abord pour rencontrer le président de la Chambre de commerce Paris-IDF, Dominique Restino, qui est mon Premier vice-Président de la CPCCAF, et avec lequel nous partageons la même vision. Et bien sûr, pour échanger aussi avec Monsieur Denis Deschamps, Délégué général de la CPCCAF, afin que nous nous accordions sur notre programme d’actions pour cette mandature 2022-2024.
J’ai également profité de cette occasion pour avoir des audiences avec le Président Étienne Giros du CIAN, le Président Fourny de la CMA, Monsieur John Denton, le Secrétaire général de l’ICC avec laquelle nous avons signé un accord en octobre 2021, les responsables de l’OIF et le Président de la SEIN, Monsieur Olivier Mousson. Je profite de cette occasion pour leur adresser mes vifs remerciements.
APP – Justement, avez-vous déjà esquissé votre programme ?
Christophe EKEN – La CPCCAF a été créé à Dakar le 11 mai 1973 par trois présidents : le français Georges Pompidou, le sénégalais Léopold Sedar Senghor et l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny. 2023 sera donc l’année de notre Cinquantenaire !
On rappellera alors la vision de ces grandes personnalités qui ont créé la CPCCAF : aux côtés de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), notre partenaire, ils ont voulu mettre en place le volet économique de la francophonie.
Ainsi, notre vision, c’est d’accompagner l’OIF en tant que bras séculier de la francophonie économique pour agir de manière très concrète et opérationnelle sur le terrain. Par exemple, comme je l’ai déjà dit, pour accompagner les jeunes, pour la transition numérique et écologique.
Nous espérons aussi devenir un organisme consultatif agréé auprès de l’Union européenne et d’autres organisations internationales à l’instar de la Chambre de Commerce Internationale (ICC), de la Conférence des Nations-Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) ou encore du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), pour pouvoir faire entendre notre avis sur les programmes et les adapter aux spécificités de notre continent africain. Nous savons en effet ce qui pousse les jeunes à partir et nous voulons travailler avec l’Europe et le système des Nations-Unies pour élaborer des solutions concrètes et opérationnelles, fondées sur le développement économique.
APP – Coopérer avec l’Europe, certes… mais beaucoup d’économistes et d’observateurs africains critiquent sévèrement les subventions de l’UE à ses agriculteurs et éleveurs, car cela génère une concurrence déloyale vis-à-vis des agriculteurs africains, disent-ils. Votre avis ?
Christophe EKEN - Nous pensons qu’en Afrique, il ne peut pas y avoir de véritable révolution industrielle sans commencer par la révolution agricole. Nos ancêtres ont ainsi été déportés aux Amériques pour y faire la révolution agricole – je me permets de le dire, même si cela peut choquer certains.
La subvention des produits agricoles en Europe a pour but d’aider l’agriculture européenne à se développer. Cela dit, lorsque l’Afrique importe des produits agricoles, cela tend bien sûr à bloquer ou ralentir la production et la transformation de nos produits agricoles sur place.
Aussi, nous pensons que si les entreprises européennes s’installent et font de la transformation sur place en Afrique, avec un programme d’aide à l’investissement et au développement des deux continents Europe et Afrique, on peut arriver à faire une transformation concurrentielle qui ne gênerait pas les produits européens, mais qui permettrait d’abord d’éviter aux jeunes de vouloir s’expatrier… Car si vous êtes un homme très riche et que vous avez un pauvre à côté de vous et que vous lui jetez vos restes, le pauvre, d’une manière ou d’une autre, quitte à se faire tuer par votre gardien ou votre chien, cherchera à venir manger chez vous…
Il faut donc partager la transformation industrielle, partager les connaissances et renforcer les chaînes de valeur en Afrique, pour amener les plus pauvres à pouvoir travailler sur place et faire en sorte qu’ils vivent mieux et consomment des produits locaux.
Ce que je dis à l’Union européenne et aux autres organisations internationales que j’ai citées, c’est de nous écouter et d’intégrer dans leur démarche les chambres et organisations intermédiaires membres de la CPCCAF. Nous connaissons en effet les problèmes du terrain. Il ne s’agit pas forcément d’argent, mais de moyens techniques pour nous permettre d’agir à proximité immédiate des entreprises.
APP – C’est justement la question que je vous pose : en tant que CPCCAF, que pourriez-vous proposer d’une manière opérationnelle ?
Christophe EKEN - Notez déjà que pour Archipelago, sur les 20 projets qui sont mis en œuvre, 14 le sont par la CPCCAF, soit pratiquement plus de 70 %. Il appartient donc à l’Europe d’évaluer le succès de notre action, de voir si vraiment nous avons réalisé ce qu’elle attendait.
À titre d’exemple, examinons le cas du Cameroun, que je connais particulièrement bien, en tant que Président de la CCIMA : avec Archipelago, nous avons touché plus de 360 jeunes, dont 144 femmes et, encore plus remarquable, 120 jeunes migrants de retour au pays. Nous les avons bien intégrés et ils sont en train de chercher comment s’installer définitivement. Pour cela, il faudrait maintenant assurer le financement de ces jeunes que nous avons formés et accompagnés pour qu’ils puissent développer leurs activités.
C’est là un défi majeur. Avec l’Union européenne, et bien sûr nos différents gouvernements des pays membres, nous devons pouvoir assurer l’installation de ces jeunes, avec bien sûr tout le contrôle nécessaire. Il ne s’agit pas de distribuer des fonds sans contrôle ni retour. Nous avons ainsi comme modèle possible, le centre d’incubation pilote (CIP) qui permet d’accompagner ces jeunes pendant deux à cinq ans, c’est-à-dire la période durant laquelle les entreprises demeurent fragiles et peuvent mourir…
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Rencontre avec Olivier Mousson, Président de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (SEIN), des personnalités de la vie associative panafricaine et Salimata Keita (à droite), Directrice de mission de Franco-Fil, plateforme de facilitation de l’entrepreneuriat francophone, un partenariat SEIN/CPCCAF. © AM/APP
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APP – Quelles réflexions vous inspire la récente pandémie de la Covid19 ?
Christophe EKEN - La crise sanitaire que nous venons de subir prouve que si une pandémie se déclenche quelque part, en quelques jours ou semaines, elle se répand partout dans le monde. J’ajoute que cette pandémie, parfois, trouve sa source dans la pauvreté. Donc en s’attelant à un développement économique intégré et élargi, on diminuera nécessairement l’exposition de tous à ce genre de risque. Il y a eu un monde avant la COVID-19, il y aura sûrement un monde différent après la COVID-19 où il faudra d’abord compter sur soi-même, au moins à 50 %.
APP – Dernière question, afro-africaine : qu’attendez-vous de la ZLECAf ? Êtes-vous optimiste ?
Christophe EKEN - Très optimiste, croyez-moi ! Je me suis rendu à Nairobi quand il y a eu une réunion sur la ZLECAf et j’ai alors eu l’honneur de rencontrer l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo. Nous en avons discuté longuement et je lui ai dit que j’avais l’impression que l’on mettait la charrue avant les bœufs !
En effet, selon moi, il faudrait d’abord créer des voies de communication nombreuses entre les pays africains, pour que l’on puisse facilement partir du Maroc et arriver en Afrique du Sud, en passant par le Cameroun. Et deuxièmement, en voyageant soit par air, soit par route, soit par rail…
Aussi il conviendrait que l’on permette aux entrepreneurs africains de voyager sans problème de visa. Il faudrait créer un passeport africain et commencer par le distribuer aux hommes d’affaires, pour qu’ils puissent se déplacer, aller dans un pays, investir sans avoir de soucis… La Banque africaine de développement (BAD) doit donc financer la construction des routes à une vitesse plus rapide qu’aujourd’hui et, également, la position des entreprises doit être mieux entendue par l’Union africaine. Si tout cela est bien mis en œuvre, on verra que les lois s’adapteront vite aux nouveaux usages !
En résumé : oui, la ZLECAf est une très bonne chose. Mais pour la concrétiser, il faut la penser au niveau de l’Union africaine, en prenant en compte les attentes du secteur privé.
APP – Voulez-vous ajouter un mot, sur un sujet qui vous tient particulièrement à cœur ?
Christophe EKEN - Oui ! Je dis aux jeunes africains de ne jamais se décourager. Tout échec est une leçon. Il faut tomber et se relever, même Jésus l’a fait, il n’est pas resté à terre – pour ceux qui y croient.
On dit souvent que les jeunes sont le fer de lance de l’avenir. Certes, mais il faut les entourer, les former, les aider à forger cet avenir. Leur faire comprendre que l’Eldorado ne se trouve pas forcément en Europe. L’Eldorado se trouve vraiment là où ils sont, car il y a toujours de grandes richesses dans notre sous-sol africain. Je conclurai en citant le Président Paul Biya, Chef de l’État camerounais : « La terre ne trompe jamais ». Voilà mon dernier mot.
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