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Chine-Afrique-France / J.-P. Raffarin devant le CIAN (4/5) : « La Chine est là, elle est là pour longtemps ! On ne pourra pas avancer sans dialoguer avec elle ! »

14 avril 2019
Chine-Afrique-France / J.-P. Raffarin devant le CIAN (4/5) : « La Chine est là, elle est là pour longtemps ! On ne pourra pas avancer sans dialoguer avec elle ! »
Voici le quatrième épisode d’une série de cinq textes, verbatim de l’allocution de Jean-Pierre Raffarin devant le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN). Cette fois, l’ancien Premier ministre et « sinologue » reconnu – bien qu’il ait la coquetterie de s’en défendre – évoque plusieurs points clés sur lesquels pourrait se fonder une coopération plus active entre les entreprises chinoises et françaises en Afrique : la francophonie, la quête d’une convergence de la compliance, la valeur ajoutée que représente pour eux la connaissance française de l’Afrique.

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Introduction par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
au verbatim de Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN
@AlfredMignot | @PresseAfrica

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Le grand intérêt chinois pour l’Afrique francophone

« Quand il y a un sommet Chine-Afrique à Pékin, vous y voyez partout des affiches en français. Il est clair que l’Afrique francophone est parfaitement identifiée, qu’elle est pour eux la plus importante, avec une tendresse particulière pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire, mais pas seulement.

Les Chinois font une bonne télévision en français ! Il faudrait être naïf, nous Français, pour en être très fiers… ils ne la font pas pour nous ! On voit en effet très clairement qu’il y a chez eux une compréhension très importante de ce qu’est la dimension francophone de l’Afrique. Et sans doute faut-il élaborer une relation et une stratégie avec CGTN-F [la China Global Television Network, dont la variante en français, CGTN-F, est retransmise 24/24 partout du monde, notamment par satellite et sur Internet, ndlr]

Car les Chinois sont bien conscients que l’on connaît, que l’on comprend mieux l’Afrique. Quand ils nous demandent si l’on veut participer à des coopérations avec un pays tiers, ce n’est pas pour notre argent, c’est pour notre connaissance de l’Afrique et des Africains. C’est un point très stratégique pour eux, il faut bien le comprendre. C’est parfois un peu irritant pour nous, car nous n’avons pas le rapport de force de puissance que l’on voudrait, mais n’ayant pas la puissance, mieux vaut encore avoir le prestige plutôt que rien du tout !

Quel partenariat franco-chinois en Afrique ?

Alors, quel partenariat franco-chinois pourrait-on développer en Afrique ? Prenons l’exemple-type des sanctions américaines contre le commerce avec l’Iran…
Nos grandes entreprises savent trouver les chemins pour échapper à certaines contraintes… Mais la question fondamentale est que dans les grandes entreprises françaises, les fonds de pension américains détiennent 5 % du capital… et que cela pèse 30 % des droits de vote en assemblée générale.

Alors, avec nos amis chinois, nous pourrions tout à fait nous organiser pour faire des détours par rapport au dollar, rechercher des possibles voies de partenariat sur ces sujets. Je connais des grands groupes français qui ne le font pas parce qu’ils sont… – attention tout ce que je viens de dire est faux ! il faut toujours démentir à temps ! – … [Silence], [Rires]

C’est vrai que nous sommes soumis ici à des contraintes des organisations internationales et de certaines puissances. Mais, très franchement, je crois qu’il ne faut pas trop développer l’idée selon laquelle ce serait impossible. D’ailleurs je note que des grands groupes français, dans un certain nombre de pays y compris en Afrique, ont des partenariats très avancés avec la Chine.
Donc, c’est vrai qu’il y a des difficultés, mais la plus grande est que les entreprises qui réussissent n’en parlent pas ! On ne peut pas compter sur elles pour dire comment elles ont trouvé les solutions.

« Notre avenir est directement lié
au développement africain »

Il faut aussi faire comprendre à nos États que dans cette compétition avec la Chine, le développement africain est une exigence pour nous tous. Si l’on reste dans cette situation où l’opinion publique française n’a pas conscience que son avenir est en partie lié au développement africain, on aura un rendez-vous très difficile, à un moment ou un autre.

Car la réalité, c’est que notre avenir est directement lié au développement africain. De ce point de vue là, et même si ce n’est pas toujours facile, un certain nombre d’entreprises françaises ont accompli de choses positives. Ce n’est pas toujours facile de le faire connaître, mais des structures comme les vôtres [le CIAN, en l’occurrence, organisateur du déjeuner-débat, ndlr] peuvent faire passer l’information sur les succès de la coopération. Il y en a, et certains sont importants ! Et je crois pouvoir dire qu’un certain nombre de chefs d’État africains sont prêts à nous aider dans cette direction. »

Une vue de la table d’honneur durant l’allocution de Jean-Pierre Raffarin. Au premier rang, on reconnaît notamment Alexandre Vilgrain, Président du CIAN ; S.E. Flavien Enongoue, Ambassadeur du Gabon ; Étienne Giros, Président délégué du CIAN (à droite). © AM/AP.P

La question de la compliance en débat

À ce stade du déjeuner-débat (voir ici l’introduction contextuelle du volet 1/5 de cette série d’articles), le moment étant venu des échanges avec les participants, quelques intervenants ont partagé leurs préoccupations : « L’une des raisons du recul des entreprises françaises en Afrique ne vient-elle pas du fait qu’elles ne peuvent pas appliquer sur place les règles de compliance qu’elles s’appliquent à elles-mêmes ? », interroge l’un ; « Tandis que d’autres s’en exonèrent totalement », affirme un deuxième intervenant ; « Comment peut-on réussir avec d’autres ce que l’on ne peut réussir seul, à partir du moment où ces autres n’ont pas les mêmes règles ? », renchérit un troisième.

Jean-Pierre Raffarin l’admet, « c’est très difficile de traiter des questions de cette nature-là, mais je suis convaincu que c’est possible. Par exemple dans le cadre d’un sommet France-Chine-Afrique… je crois qu’il est possible pour tout le monde de progresser dans la compliance, y compris pour les Chinois.

Sur ce sujet, je suis disposé à travailler avec vous [dans le cadre de la Fondation Prospective et Innovation, dont Jean-Pierre Raffarin est président, ndlr] pour essayer d’avancer sur ces questions.

Je pense que c’est une perspective intéressante pour les partenaires chinois car ils sont très conscients de cela, et aussi de ce dont ils ont besoin vis-à-vis de nous. Donc on peut tenter d’avancer sur ces sujets, un certain nombre d’exemples nous permettent de penser que c’est possible.

« Construire avec les Chinois
une stratégie de long terme »

Permettez une petite remarque générale… vous évoquez la compliance, des règles… mais elles ne sont pas l’obsession de nos partenaires africains et chinois ! Il y a quand même un problème, car l’on parle en amont à la Chine et en aval avec l’Afrique… Je comprends bien que vous avez affaire à cette dialectique quotidienne, mais… La Chine est là, elle est là pour longtemps ! On ne peut pas avancer avec la Chine sans dialoguer avec elle ! Et elle a une force formidable : alors que nous pensons à court terme, elle pense à cinquante ans !

Chez nous, au fond [on ne se projette pas] au-delà de quatre ou cinq ans. Même les plus optimistes qui s’imaginent faire deux quinquennats, ils ne pensent qu’à dix ans [Rires]. Mais ceux-là sont rares… et au fond je ne suis pas sûr qu’ils inspirent vraiment la politique française.

Les Chinois ? Je connais bien les hommes politiques chinois. Si la Route de la soie est difficile à faire avancer en certaines contrées, comme en Europe de l’Est, ils attendront. Trois ans, cinq ans, plus… de toute façon, c’est leur projet, ils le feront.

Notre logique à nous, ce doit être de construire avec eux une stratégie de long terme. Mais alors, plutôt que d’aller faire un colloque sur l’intelligence artificielle – sujet où nous sommes des acteurs très marginaux car nous ne pesons même pas 0,000001 % de l’effort d’investissement dont la Chine et les États-Unis représentent 98 % [du secteur] –, allons faire un colloque sur la compliance pour le développement de l’Afrique !

Je pense que les Chinois nous ont regardés de haut lorsque le Président Macron a participé chez eux à un colloque sur l’intelligence artificielle. Pour eux, notre affaire c’est le nucléaire. L’aéronautique aussi. La preuve récente, c’est qu’ils achètent 300 Airbus d’un coup.

Parlons de nos sujets ! Vous êtes en Afrique, vous avez la concurrence chinoise… et vous êtes les seuls à parler compliance ! Donc il faut discuter, on ne pourra pas avancer si la Chine ne bouge pas sur un certain nombre de points. Elle est prête à bouger ! Ils ne vont pas forcément devancer les réformes, mais ils savent ce que l’on doit faire. À nous d’organiser un peu les pressions.

Les Chinois sont aussi intelligents que nous ! Ils comprennent exactement la situation. Ils connaissent par exemple leur rejet par les populations en Afrique, ils savent qu’ils séduisent par l’argent, et que leurs populations ne s’intègrent pas… ils le savent. Ils connaissent toutes leurs difficultés.

De ce point de vue là, on peut leur expliquer que nous savons comment la société africaine respire, et on peut les aider à respirer là-bas. »

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RETROUVEZ LES 5 ARTICLES DU VERBATIM DE JEAN-PIERRE RAFFARIN

 Chine-Afrique-France/ L’ancien PM Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN (1/5) : « Je ne les connais pas tous, [mais] les Chinois sont prévisibles ! »

 Chine-Afrique-France / L’ancien PM Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN (2/5) : « Les Chinois ne sont pas des belliqueux, mais tant que l’on ne les arrêtera pas… ils continueront d’avancer ! »

 Chine-Afrique-France / L’ancien PM Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN (3/5) : « Avec le Chinois, il faut jouer à la fois la coopération et le rapport de force. En même temps… »

 Chine-Afrique-France/ L’ancien PM Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN (4/5) : « La Chine est là, elle est là pour longtemps ! On ne pourra pas avancer sans dialoguer avec elle ! »

 Chine-Afrique-France / L’ancien PM Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN (5/5) : « Il faut faire comprendre aux Allemands que l’on est plus associés que concurrents avec la Chine »

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