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Chine-Afrique-France / J.-P. Raffarin devant le CIAN (3/5) : « Avec les Chinois, il faut jouer à la fois la coopération et le rapport de force. En même temps… »

12 avril 2019
Chine-Afrique-France / J.-P. Raffarin devant le CIAN (3/5) : « Avec les Chinois, il faut jouer à la fois la coopération et le rapport de force. En même temps… »
Voici le troisième épisode d’une série de cinq textes, verbatim de l’allocution de Jean-Pierre Raffarin devant le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN). Cette fois, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac explore la question du rapport de forces à établir avec la Chine, de conserve avec l’Allemagne et l’Europe, et plaide « en même temps » pour une posture de coopération avec la Chine, particulièrement en Afrique.

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Introduction par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
au verbatim de Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN
@AlfredMignot | @PresseAfrica

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« Une première hypothèse [de l’évolution des relatons internationales, ndlr], que les Chinois craignent, est celle de la tension majeure avec les États-Unis. Ils ont étudié mieux que nous ce piège inexorable, où le numéro 1 et le numéro 2 entrent en guerre car le numéro 1 ne veut pas laisser la place au numéro 2. C’est Sparte qui veut prendre la place d’Athènes !

Ils sont dans ce moment de guerre commerciale, et il ne faut pas croire que les Chinois prennent cela à la légère. Ils sont très inquiets ! Jusqu’ici, les Américains ont toujours fait des campagnes électorales contre la Chine. Hillary Clinton elle-même, avant de devenir la Secrétaire d’État du Président Obama, avait développé des thèses très anti-chinoises dans sa campagne de candidate à la présidentielle. Mais elle a cessé d’en parler une fois devenue Secrétaire d’État chargée de la politique étrangère.
À l’inverse, Donald Trump est aujourd’hui le premier chef d’État américain qui continue à faire campagne contre la Chine, une fois arrivé au pouvoir.

Cela inquiète considérablement les Chinois. Ils pensent que Trump sera perdant à long terme, car cette logique là affaiblira la croissance internationale, affaiblira le rôle des les Etats-Unis et affaiblira le peuple américain. Mais ils pensent aussi qu’à court terme, Trump peut gagner. Sur un an, il peut ralentir la croissance mondiale et chinoise, faire en sorte que la Chine stagne autour de 5 % de croissance, ce qui est un niveau de mise en difficulté pour elle. Les Chinois en sont bien conscients. Ils savent qu’il leur faut être au-dessus de 6 % de croissance pour être en capacité de résoudre leurs problèmes sociaux. Donc ce qu’ils craignent considérablement, c’est que Trump, au moment de son renouvellement de mandat, soit dans une phase où il pourrait se vanter d’avoir contenu la Chine, de l’avoir maîtrisée.

Ils sont très préoccupés de cela, ils en sont nerveux. Et ce n’est pas bon d’avoir une puissance qui devient nerveuse, alors que sa culture est plutôt celle de la sagesse. Ainsi, ils protègent [désormais] leurs accès maritimes de toutes les façons ; sur toutes les îles qu’ils peuvent posséder, ils cherchent le moyen d’assurer la protection de l’accès. Pour leurs matières premières, certes, mais aussi pour leurs navires de guerre. Ils sont là dans une logique de nervosité.

Cette logique de confrontation entre la Chine et les États-Unis nous intéresse-t-elle ? Ma position personnelle – et comme je suis complètement irresponsable, je ne fais que vous la livrer à tous, à chacun de réfléchir – est que ce serait quelque chose de terrible, surtout que les États-Unis sont tout de même aujourd’hui largement imprévisibles. Et que nous sommes dans une situation de tension qui en plus pousse dans les bras de la Chine un certain nombre d’adversaires des États-Unis. Par exemple, à cause du système des sanctions américaines, nous voyons Vladimir Poutine devenir bien plus pro-Chinois qu’il ne l’était naguère.
Pour nous, je pense que la confrontation n’est vraiment pas le scénario souhaitable.

Une vue de la table d’honneur durant l’allocution de Jean-Pierre Raffarin. Au premier rang, on reconnaît notamment Alexandre Vilgrain, Président du CIAN ; S.E. Flavien Enongoue, Ambassadeur du Gabon ; Étienne Giros, Président délégué du CIAN (à droite). © AM/AP.P

Ce que nous pouvons faire,
avec l’Allemagne et l’Europe

La deuxième hypothèse, c’est une action concertée avec l’Allemagne. C’est ce qu’a amorcé le président de la République – et que j’ai trouvé une excellente idée –, en invitant Angela Merkel à sa rencontre avec Xi Jinping. Car lorsqu’on fait la somme France-Allemagne, nous faisons continent. On peut alors parler avec la Chine, avec l’Inde, avec les États-Unis… La France plus l’Allemagne, c’est un continent. Une force très puissante.

Emmanuel Macron a aussi été astucieux d’inviter Jean-Claude Juncker [à cette même rencontre avec Xi Jinping, ndlr], car la première carte à jouer est certes celle de l’Europe.
Mais lorsque cette carte vient à manquer, c’est le couple franco-allemand qui doit monter en ligne. Aussi je le redis : je trouve cette idée vraiment brillante, car ainsi nous sommes crédibles vis-à-vis des Américains, des Russes, de la Turquie, de l’Iran… de tous. Le jour où la France et l’Allemagne discutent ensemble avec le président chinois, nous sommes dans une relation responsable. Notre protection, c’est le franco-allemand et le partenariat. Car dans ce contexte là, il faut jouer la carte du partenariat avec la Chine.
Et pour en venir à l’Afrique, cela correspond à la première demande chinoise sur le continent, la coopération. C’est ce qu’ils nous proposent en premier. Et c’est à organiser.

On sent bien cependant qu’il y a des difficultés. Certaines entreprises françaises pensent à coopérer avec les Chinois, d’autres s’y refusent. Pas facile ! la preuve en est que le sommet franco-chinois qui devait se tenir à Dakar du temps de [la primature Manuel] Valls a capoté.
Au-delà de ces difficultés, et dans ce contexte où l’autre réponse serait une guerre contre les États-Unis – ce qui n’est pas une carte à jouer –, notre seule réponse est fondée je crois sur un partenariat avec la Chine en Afrique et, en ayant une relation stabilisée sur ce sujet avec les Allemands, de nous protéger du potentiel des situations – n’oubliez pas : « Tant que l’on ne m’arrête pas, j’avance », c’est la vision chinoise. Il faut donc jouer à la fois la coopération et le rapport de forces. Simultanément, « en même temps », dirait quelqu’un d’autre…

Plaidoyer pour la coopération avec la Chine

Je plaide pour que l’on trouve les voies d’un partenariat avec la Chine. Je pense qu’il nous faut des fonds d’investissement franco-chinois, où les équipes de gestion pourraient être binationales et où l’on pourrait s’apprivoiser les uns les autres. Car c’est vrai que l’on ne vit pas de la même manière, que l’on n’a pas les mêmes normes de gestion ni les mêmes comportements. Il faut donc trouver des dispositifs…

Deux accords ont été signés avec le président Xi Jiping, notamment un accord avec la CIC (China Investment Corporation) qui est l’un des principaux fonds souverains chinois, avec la BNP et Eurazeo, pour essayer de trouver 1,5 milliard d’euros afin de constituer une société de gestion pour investir dans des entreprises européennes… C’est là un moyen de trouver des leviers pour établir des coopérations avec les Chinois, pour se placer avec eux dans une situation plutôt coopérative. Mais aussi il ne faut jamais abandonner le lien européen, car il est constitutif de notre rapport de force.

N’oublions pas non plus que ce que voient les Chinois comme perspective à cinquante ans, c’est un contient eurasiatique qui doit assumer l’équilibre et la paix du monde.
Ils sont très motivés sur ces questions géopolitiques du continent eurasiatique. C’est ainsi que tant que nous n’entretenons pas notre rapport de force européen, nous sommes fragiles. À l’inverse, si nous entretenons bien ce rapport, qui est à deux dimensions, – l’Allemagne au moins, et si possible l’Europe – et de l’autre côté l’ouverture au partenariat avec la Chine, je crois que nous irons dans le sens de l’histoire.

[À l’inverse,] si nous n’assumions pas que nous avons besoin de la Chine pour assurer notre destin euro-africain, nous serions à côté de l’histoire, voire sortis de l’histoire. »

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