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Chine-Afrique-France / L’ancien PM Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN (1/5) : « Je ne les connais pas tous, [mais] les Chinois sont prévisibles ! »

6 avril 2019
Chine-Afrique-France / L'ancien PM Jean-Pierre Raffarin devant le CIAN (1/5) : « Je ne les connais pas tous, [mais] les Chinois sont prévisibles ! »
Invité d’honneur du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) pour parler des relations entre la Chine, l’Afrique et la France, l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a livré à son auditoire une prestation d’orateur virtuose, entre le vrai-faux sinologue qu’il prétend ne pas être, et le vrai-faux « paysan poitevin malicieux » qu’il revendique. Un grand moment de causerie géopolitique à déguster, sérieuse et légère à la fois…

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Introduction par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
au verbatim de Jean-Pierre Raffarin
@AlfredMignot | @PresseAfrica

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Même les journalistes émérites n’ont pas si souvent le loisir d’entendre – d’écouter – Jean-Pierre Raffarin parler pendant près de deux heures, durant tout un déjeuner « complet », de l’entrée au dessert ! ce n’est pas rien !
Au menu, en plats de résistance : la Chine, la France, l’Afrique. En dessert, tantôt léger, tantôt roboratif : l’Europe et l’incontournable Allemagne, « natürlich » !
Autant dire que cet exercice est au journalisme ce que la carte d’un grand chef est à la gastronomie : il se déguste, lentement, en détaillant avec gourmandise les millefeuilles des « raffarinades », expression qui fit rapidement florès à l’époque où l’élu poitevin devint – dès mai 2002 et jusqu’en 2005 – le Premier ministre inattendu du Président Jacques Chirac, alors réélu avec plus de 82 % des voix face à Jean-Marie Le Pen.

Des raffarinades de l’époque, certaines ont survécu à l’usure du temps. On se souvient et cite encore, par exemple « Notre route est droite, mais la pente est forte », ou encore « Il vaut mieux pour Poitou-Charentes être au nord du sud qu’au sud du nord » et aussi « Qui sème la division récolte le socialisme », sans oublier qu’il se voulait le chantre d’une « République de la proximité » d’une « République du bon sens » et de ce qu’il baptisa « la France d’en-bas » – déjà !

Après un demi-siècle de vie politique, l’ancien Premier ministre a pris sa retraite d’élu en 2017. Depuis, il aime à se dire « libre » et « malicieux ». Donc, ce déjeuner portait en lui la promesse de quelque raffarinade bien soupesée, un surcroît de gourmandises qui nous régalerait à coup sûr, comme ces petits chocolats belges que les bonnes maisons vous servent avec le café…

Alors, plutôt que de livrer à nos lecteurs un compte rendu resserré et austère, nous avons opté pour vagabonder avec ce vrai-faux « paysan poitevin » en nous glissant au fil des méandres de son propos.
Jusqu’où ? Vous ne le saurez qu’à la fin du cinquième volet de ce feuilleton textuel, dont voici le premier épisode. Bonne lecture ! Régalez-vous !

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Il est midi et demi ce mardi 2 avril 2019, et le vent d’ouest souffle en rafales sur la place de la Concorde. Tellement fort que les élégants messieurs portant chapeau et qui se rendent au déjeuner annuel du CIAN, dans les prestigieux salons de l’Automobile Club de France, tiennent leur couvre-chef d’une main ferme, un peu inquiets du ridicule s’ils venaient à être décoiffés, et alors contraints de courir à travers la place pour tenter de récupérer leur chapeau…

Mais il fait beau, le soleil baigne d’une douce lumière dorée cette si belle place de la Concorde, et l’on est content à l’idée de se retrouver là, en bonne compagnie et sûr que ce déjeuner-débat ne sera certes pas ennuyeux, même si le sujet traité, au lendemain de la visite du président chinois Xi Jinping en France, est des plus sérieux : les relations entre la Chine, l’Afrique et la France, avec Jean-Pierre Raffarin en unique orateur vedette.

« Je ne les connais pas tous ! »

L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac se montre immédiatement à la hauteur de sa réputation. En ex-politique madré – « malicieux » – il ne lui faut pas deux minutes pour mettre tous les rieurs de son côté : « On me dit sinologue ! mais non ! On me dit que l’on m’invite parce que je connais les Chinois… mais pour être sincère, permettez que je paraphrase modestement la réponse de Paul Claudel, qui fut longtemps notre ambassadeur en Chine [de 1895 à 1909, en plusieurs séjours, ndlr], et auquel on demandait ce qu’il pensait des Chinois… « Je ne saurais dire, répondit-il, embarrassé. Je ne les connais pas tous ! »

Évidemment… ce fut un tonnerre d’applaudissements et d’éclats de rire.
« En fait, renchérit Jean-Pierre Raffarin, je ne suis en rien sinologue. Voilà bien cinquante ans que je circule là-bas, certes, mais plus je circule, moins je comprends… Donc je mesure votre indulgence de m’avoir invité aujourd’hui. »

« La sensibilité, cela existe ! »

Une fois les rieurs mis de son côté, l’ancien PM de Jacques Chirac en est vite venu au sujet du débat – l’Afrique, La Chine, et nous et nous, la France.
Voici une première partie du verbatim de son intervention, retranscrit le plus fidèlement possible…

« J’ai pour l’Afrique un lien de cœur, [car] l’avenir de mes petits-enfants est complètement lié à l’Afrique. Si l’Afrique est malheureuse, mes petits-enfants seront malheureux, et si l’Afrique est heureuse, mes petits-enfants seront heureux. Leur destin est complètement lié. Quand je vois le milliard de jeunes qui arrivent, que nous soyons ou pas capables de les intégrer, de toute façon les conséquences seront en partie pour nous. Nous avons cette communauté de destin dont parlent les Chinois.

Et puis, il y a cette sensibilité à la culture de ceux qui aiment l’Afrique et les Africains. C’est exactement la même chose avec les Chinois ! Souvent on me demande comment faire des affaires en Chine, avec les Chinois ? Il n’y a qu’une règle, une seule : il faut aimer les Chinois. Et c’est la même chose avec les Africains ; si on n’aime pas, on n’y va pas !

Car avec ces deux peuples, la relation est de sensibilité. Quand on leur parle, les peuples sensibles comprennent tout. Notre communication non verbale fait qu’ils comprennent tout de nos pensées, et de nos arrière-pensées.

Avec ces cultures-là, je me sens bien ! J’aime parler avec les Africains, entendre leurs ambitions, leurs projets. Comme les Africains, les Chinois nous comprennent de manière tout à fait profonde. La sensibilité, cela existe !

Il y a des choses à bien mesurer dans ce parallèle entre Africains et Chinois. Ce n’est pas par hasard si les Africains ont réservé un accueil relativement chaleureux, si je puis dire, aux Chinois qui, avec l’amiral Zheng He, ont découvert l’Afrique plusieurs siècles avant nous [lors de sept grandes expéditions exploratrices conduites par Zheng He entre 1405 et 1433, ndlr].

« Les Chinois sont prévisibles »

Alors, comment apprécier le phénomène chinois auquel on assiste aujourd’hui ? Fait-il avoir peur des Chinois, comme on peut le lire dans les journaux ?

Conférence de presse et déclaration conjointe des présidents Emmanuel Macron et Xi Jinping, à l’occasion de la visite d’État du président chinois en France, du 24 au 26 mars 2019. © Élysée

Il faut bien sûr être très attentif, mais il y a d’abord une chose très importante : les Chinois sont prévisibles ! Ils décrivent très clairement leur propre stratégie. Il n’y a pas de surprises avec les Chinois ! Moi, j’ai lu les textes du Parti communiste sur la nouvelle route de la soie… il y a dix ans ! « Qui possède l’Europe possède le monde », c’était déjà écrit !

C’est clair, la Chine a une ambition forte, internationale, mondiale. Elle a une stratégie de puissance, mais avec cette caractéristique d’être prévisible, [car] sa stratégie est écrite noir sur blanc.

De la « mine de rien » attitude
au leadership assumé

Aujourd’hui, on entend que le président chinois s’est fait élire à vie. Ce n’est pas tout à fait exact, il a fait sauter le verrou qui limitait la réélection de mandats de cinq ans. Mais le fond de l’affaire est tout autre : ce n’est pas le président chinois qui fait la Chine, c’est la Chine qui fait le président chinois !

Et lorsqu’elle a choisi Xi Jinping, la Chine est passée d’une période d’émergence pacifique – ce qui, en patois poitevin, se nommerait « mine de rien… j’avance, je progresse… » – au statut de leader reconnu de tous, car elle était devenue la première dans plusieurs domaines… à peu près partout, et y compris dans les sex-toys, là où on ne l’attendait pas forcément ! [Rires]

Cela devenait donc difficile pour elle de continuer « mine de rien ». Elle l’a compris et s’est choisi un leader communicant, capable de porter l’image de la Chine à l’international. Mon analyse : ce n’est pas Xi Jinping qui fait la Chine, c’est la Chine qui fait Xi Jinping ! Elle est maintenant dans cette logique d’être un pays qui, non seulement revendique ses droits, mais aussi veut assumer ses devoirs à l’international. Plus les Américains se retirent, plus la Chine avance, naturellement.

Elle commence ainsi à s’affirmer comme l’un des acteurs du monde. Pour la première fois il y a deux ans, on a vu un président chinois, à un moment de tension, se rendre en Arabie saoudite et en Iran, alors que jusque-là, la Chine se tenait à l’écart des conflits, jouant toujours la carte de la stabilité. C’était sa posture en sa période d’émergence, tandis que maintenant elle se pense dans cette nouvelle logique d’acteur mondial.

Vers le « socialisme à caractéristique chinoise »

Xi Jinping est aujourd’hui porteur d’une stratégie clairement énoncée par trois gros volumes intitulés « La gouvernance chinoise ». On y voit trois choses, à commencer par la vision globale de la communauté de destin de l’humanité, comme le président chinois l’a répétée à de très nombreuses reprises lors de sa récente visite en France.

Ce message porte en lui sa propre stratégie d’action, celle du multilatéralisme. Ainsi plus les États-Unis se retirent de l’Unesco, plus les Chinois y avancent. Et de l’autre côté, plus les États-Unis renient l’accord de Paris [sur la lutte contre le réchauffement climatique, en 2016, ndlr] plus les Chinois y adhèrent, alors que naguère ils étaient contre le protocole de Kyoto [signé en 1997, cet accord international visait la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ndlr]. Cela illustre leur vison de la « communauté de destin ». Il faut pouvoir parler au monde, il faut avoir quelque chose en commun avec le monde : le combat contre le changement climatique servira utilement à cimenter cette nouvelle vision, voilà ce que pensent les Chinois.

Deuxièmement, ils considèrent qu’il faut aussi un projet, et c’est la (nouvelle) route de la soie, la « One Belt, One Road Initiative ». [Pour accompagner ce projet] ils ont créé une banque internationale [La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII ou AIIB), créé en 2014, et à laquelle 57 pays ont adhéré dès 2015, ndlr].

Donc : une promesse, un outil. Et une logique politique, c’est le troisième point : le « socialisme à caractéristique chinoise ».
Qu’est-ce que le « socialisme à caractéristique chinoise » ? C’est avant tout et principalement le leadership du Parti. Une organisation structurée, du Parti et de l’administration. L’École du Parti à Shanghai, c’est notre ENA ! C’est là que l’on forme ceux qui assurent la charpente du pays. Ils sont… 90 millions ! Notez qu’il y a plus de Chinois membres du Parti communiste que de Français ! Même si… il y a peut-être plus de Français communistes que de Chinois communistes ! [Éclats de rire]

Ainsi, tous ceux qui pensaient que la Chine allait vers l’adoption d’une idéologie à l’occidentale se sont trompés.
Et à tous ceux qui pensent que les Chinois connaîtront des secousses… moi je réponds que j’attends de voir ! D’ailleurs, quel est aujourd’hui le pays pouvant dire aux autres qu’il ne connaîtra pas de secousses ? Les couleurs sont différentes mais il y a des « gilets » dans tous les pays, cela peut arriver partout. De ce point de vue, je ne suis pas sûr que la stabilité soit inscrite dans la Constitution américaine, ni dans celles d’Europe…
Donc avant de parier sur les difficultés des autres, j’aimerais qu’on ait réglé les nôtres.
Et puis, les Chinois savent mettre les moyens pour résoudre leurs problèmes. Ils peuvent certes avoir des difficultés, mais je ne suis pas sûr qu’ils ne les résoudront pas. »

Une vue de la table d’honneur durant l’allocution de Jean-Pierre Raffarin. Au premier rang, on reconnaît notamment Alexandre Vilgrain, Président du CIAN ; S.E. Flavien Enongoue, Ambassadeur du Gabon ; Étienne Giros, Président délégué du CIAN (à droite). © AM/AP.P

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RETROUVEZ LES 5 ARTICLES DU VERBATIM DE JEAN-PIERRE RAFFARIN

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