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Cheikh Tidiane Gadio, Envoyé spécial de l’OiF au Mali : « Le Mali a besoin de sa diaspora pour réussir la Transition »

10 juin 2021
Cheikh Tidiane Gadio, Envoyé spécial de l'OiF au Mali : « Le Mali a besoin de sa diaspora pour réussir la Transition »
Chef de la diplomatie sénégalaise de 2000 à 2009, Cheikh Tidiane Gadio est aujourd’hui Vice-Président de l’Assemblée nationale du Sénégal. Président de l’Institut Panafricain de Stratégies (IPS) de Dakar, il est également depuis septembre 2020 Envoyé spécial au Mali de la Secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo. Entretien exclusif.

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Propos recueillis à Bamako par Bruno FANUCCHI
pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse

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Au récent Forum de Bamako, vous avez lancé un retentissant appel à la jeunesse africaine. Quel est le sens de ce cri d’alarme ?

Cheikh Tidiane Gadio – Comme je l’ai dit de façon ironique mais aussi véridique, les générations précédentes des leaders africains nous ont donné l’indépendance, ont contribué à bâtir des embryons d’États, mais ils ont bâti leur vision de l’Afrique sur des sables mouvants, sur le paradigme qu’il est possible de construire 54 États africains, chacun ayant les attributs de souveraineté et pouvant régler les problèmes fondamentaux du développement et des populations…

Je n’y crois pas ! Notre découpage est si arbitraire qu’il y a de graves incohérences et ces États nés dans les années 1960 ne peuvent pas, dans ces circonstances, réussir leur développement. D’où mon appel à mutualiser nos forces, à marcher ensemble et à rester unis.
Cela ne veut pas dire que le Sénégal ou le Mali vont être supprimés en tant que pays, ce n’est pas vrai. Aux États-Unis d’Amérique, la Californie, New-York ou le Texas n’ont rien à voir, mais ils sont ensemble, ils ont mutualisé certains secteurs et en sont heureux. Je demande la même chose pour l’Afrique car, chez nous, la jeunesse se sent avant tout africaine.

Le Forum de Bamako était consacré cette année au « capital humain », dans le but de dégager des pistes pour la Transition du Mali. À mi-parcours, celle-ci connaît de sérieux soubresauts et semble en panne. Comment relancer le moteur d’une Transition apaisée ?

Cheikh Tidiane Gadio – Ce que j’aime chez le peuple malien, c’est d’être extrêmement résilient, il n’est jamais tombé. Il peut mettre un genou à terre, mais il se relève. C’est un peuple historiquement résilient, comme le sont en Amérique les nations premières.

Le Mali fait partie de ces grands peuples en Afrique. C’est un pays fondateur et, malgré tout ce qui s’y passe aujourd’hui, je ne pense pas que la Transition soit en panne. Je trouve qu’elle est même très dynamique parce que le fait de changer de gouvernement, avec comme seule préoccupation l’inclusion, la volonté d’ouvrir la gestion de la Transition à toutes les forces, à tous les fils et toutes les filles du Mali, je trouve cela magnifique.

Que cela réussisse parfaitement, ce serait une très bonne chose, mais si cela ne réussit qu’ à moitié… tant pis ! Au moins, l’effort aura été fait, avec la volonté d’inclusion.

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« Il faut accompagner économiquement
le pays pour l’aider à se reconstruire »

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Vous êtes également au Mali le représentant de la Secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Quel est votre message à l’adresse des partenaires du Mali ?

Cheikh Tidiane Gadio – Au sein de l’OIF que je représente au Mali, nous avons toujours prêché que, dans les situations de crise, c’est mieux pour tout le monde si on met nos forces ensemble, si on mutualise nos moyens, si chacun se sent impliqué et invité à apporter sa contribution.

En voyant ce qui se passe aujourd’hui, on dit que c’est une bonne chose, car les Maliens veulent aller aux élections. Maintenant, ils ont beaucoup d’obstacles devant eux. Ce n’est pas facile de s’entendre sur une Constitution dans les circonstances actuelles. Pour discuter sereinement de tous ces points et faire les réformes nécessaires, deux points de vue s’affrontent : ceux qui disent qu’il faut réformer toute la Constitution et prendre le temps de le faire ; ceux qui disent que le temps manque, qu’il faut se contenter de réformer les points fondamentaux concernant les institutions, et que le prochain président élu, pendant son mandat, proposera au peuple malien la discussion générale sur une nouvelle Constitution.

Photo-souvenir de la cérémonies de clôture du Forum de Bamako 2021. De gauche à droite, les personnalités présentes : Cheikh Tidiane Gadio ; Mme Soukeyna Kane, directrice Pays de la Banque mondiale ; Moctar Ouane, Premier ministre démissionnaire du Mali, Abdoullah Coulibaly, président de la Fondation Forum de Bamako, Mme Mbaranga Gasarabwe, Représentante de la MINUSMA, Professeur Alioune Sall, Président de l’Institut des Futurs africains. (Hady Photo)

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Ce sont là les urgences politiques, mais quelles sont aujourd’hui les priorités économiques pour le pays ?

Cheikh Tidiane Gadio – C’est une question extrêmement difficile pour plusieurs raisons. La première, c’est que le Mali est pris dans le piège de l’insécurité, avec un pays aux deux tiers occupé ou déstabilisé par des forces terroristes, par les narcotrafiquants, par des projets de société soi-disant islamistes ou djihadistes, et même des projets de séparatisme.

Face aux menaces de désintégration, comment développer l’économie du Mali ? Est-ce que l’agriculture du Mali peut fonctionner dans un pays totalement déstabilisé au plan sécuritaire ?

Ce qui intéresse le plus souvent les partenaires internationaux, c’est la bonne gouvernance, le rétablissement des institutions et de l’ordre constitutionnel. C’est très bien. Mais n’oubliez pas que le Mali, c’est d’abord des êtres humains, un peuple de commerçants, d’agriculteurs et d’ouvriers, des gens qui voudraient se prendre en charge eux-mêmes pour des questions de dignité.

Si l’insécurité est telle que cela ne fonctionne pas comme il faut, l’économie du pays sera à terre... C’est pourquoi je dis aux partenaires du Mali : soutenez le processus de rétablissement de l’ordre constitutionnel, si vous voulez, mais accompagnez surtout économiquement le Mali par des projets forts, parce que le Mali doit pouvoir marcher sur ses deux jambes. Il n’y a pas que la politique... L’économie, le social et le culturel, tout ça est important pour reconstruire un pays.

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« La sécurité précède le développement »

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Vous l’avez rappelé lors de la séance de clôture du Forum de Bamako : il n’y a pas de développement sans sécurité...

Cheikh Tidiane Gadio – J’ai en effet cité un grand Africain, Cheikh Anta Diop. Quand les Sud-Africains, en 1973 sous le régime l’apartheid, avaient développé la bombe nucléaire, Cheikh Anta Diop a dit aux Africains : « Faisons attention, il n’y a pas de développement sans sécurité ». Il a même ajouté cette formule : « La sécurité précède le développement ». J’y souscris totalement.

J’invite donc aujourd’hui les Africains au combat contre le terrorisme, car ce combat conceptuel est aujourd’hui accepté, y compris par des pays aussi importants que la France, où le président Emmanuel Macron a dit récemment que « l’Afrique est devenue l’épicentre du terrorisme mondial ».

Nous le disons, quant à nous, depuis sept ans, mais nous ne sommes pas écoutés parce que notre voix est faible. Maintenant une voix puissante, celle du Président français, a rappelé au monde que l’Afrique est l’épicentre du terrorisme mondial. Qu’est-ce que cela veut dire ? Çela veut dire que la réponse doit être aussi massive que l’attaque.

Comment l’Afrique peut-elle faire face au défi du terrorisme ?

Cheikh Tidiane Gadio – Le déplacement des opérations terroristes de l’Afghanistan et du Moyen-Orient vers le continent africain est inquiétant. Ces gens s’installent chez nous et sont en train de métastaser partout. Est-ce que les Africains apportent la bonne réponse à cette menace ? Je ne crois pas.

Nos armées nationales, émiettées, fragmentées, très faibles en moyens, en équipements, en entraînement, en drones et satellites, ne peuvent pas gérer ce combat-là. C’est un combat beaucoup plus sérieux qui nécessite de s’entendre avec nos principaux partenaires.
L’Afrique doit mutualiser ses forces, créer une force panafricaine, une armée africaine allant du Tchad et de Djibouti au Sénégal, de l’Afrique du Sud à la Tanzanie ou au Nigeria. Mettons cette force en place parce que, face à une attaque massive, il nous faut une réponse qui soit à la hauteur. Et l’Afrique ne fait pas cela pour l’instant.

« Je dis aux jeunes Africains :
prenez le pouvoir et battez vous ! »

Pour ce combat en faveur de la sécurité et du développement, l’Afrique peut-elle compter sur sa jeunesse et sur la diaspora ?

Cheikh Tidiane Gadio – Bien sûr ! Notre Continent est extrêmement jeune car les moins de 25 ans représentent plus de 65 % de la population. Mais vous voyez encore en Afrique des gouvernements où un jeune est nommé ministre de la Jeunesse avec la prétention de représenter 65 % de la population ! Cela n’a aucun sens. De jeunes talents peuvent occuper bien d’autres postes. En Afrique, la nécessité de la transition générationnelle me semble plus que jamais à l’ordre du jour.

Formés à la Sorbonne ou au MIT, les jeunes Africains qui dirigent des secteurs importants chez Airbus ou à la Nasa sont partout, ils sont brillants et ne rêvent que d’une chose : travailler pour l’Afrique, être au service du Continent.

Mais l’Afrique ne leur montre pas le même amour en retour. C’est pourquoi j’insiste : l’Afrique a besoin de tous ses fils et de toutes ses filles de la diaspora, de tous les Africains qui ont migré d’eux-mêmes ou qui ont conquis des diplômes de très bonne formation à l’étranger. Il faut les inviter à revenir sur le Continent et à se mettre à son service.
La diaspora traditionnelle, comme les Afro-Américains, les Afro-Caribéens, tous veulent aider le Continent et travailler avec l’Afrique, mais l’Afrique n’ouvre pas encore ses portes à tous ses enfants. Il est grand temps de le comprendre et d’inverser la donne. Car le Mali, par exemple, a besoin de sa diaspora pour réussir la Transition.

L’avenir de l’Afrique sera bâti par les jeunes. C’est pourquoi je leur dis : « Indignez-vous, organisez-vous, prenez le pouvoir et battez-vous ».

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