À la CMAAP 13 / S. E. M. Ahmad MAKAILA, Ambassadeur du TCHAD à Paris : « Les questions du développement recèlent les solutions durables à la crise du Sahel »
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Allocution de S. E. M. Ahmad MAKAILA,
Ambassadeur du TCHAD en France
À la salle Colbert de l’Assemblée nationale,
le jeudi 30 mai 2024
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« Si j’ai accepté de venir à cette plénière, c’est pour plusieurs raisons. La principale est d’apporter une perspective de terrain, notre compréhension, notre lecture. Car nous pensons qu’elles ne sont pas toujours entendues, pour ne pas dire partagées.
Il m’a été demandé d’évoquer l’historicité de cette crise – parce qu’il faut l’appeler crise – au Sahel. Comme dans tous les phénomènes de société, il est hasardeux, imprudent de penser à vouloir le situer dans le temps et dans l’espace. C’est un peu plus complexe que cela. Mais selon notre analyse, on peut situer plus ou moins les prémices de ce que l’on appelle aujourd’hui la crise au Sahel, au tout début de la décennie 2010. Et pour être un peu plus précis, on va dire en 2011, après la mort du colonel Kadhafi.
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La chute de Khadafi a provoqué
la dissémination des armes
La chute de Khadafi a provoqué
la dissémination des armes
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Tout le monde sait dans quelles circonstances le colonel Kadhafi a été tué. Et à l’époque, Idriss Déby, le maréchal président du Tchad, avait dit que l’OTAN avait manqué de faire ce que l’on appelle le SAV, le service après-vente, étant allé faire un travail sans demander l’avis des pays de la région que nous sommes – nous, Tchadiens, avons une très longue frontière avec la Libye.
La première conséquence de la chute du colonel Kadhafi, ce fut la dissémination des armes dans la région. Vous savez, la Libye c’est une quincaillerie. Une sorte de fourmilière à armes dans laquelle on a donné un coup de pied sans trop se préoccuper de ce qui se passerait après. La conséquence est que nous avons assisté à une dissémination comme pas possible de ces armes de petit calibre, comme on les appelle dans le jargon des Nations Unies.
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Le rôle du cellulaire et
du changement climatique
Le rôle du cellulaire et
du changement climatique
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Quatre autres acteurs vont intervenir simultanément dans l’émergence de la crise. Le premier que je citerai est le téléphone cellulaire. Vous savez que le taux de pénétration du téléphone à fil dans la région était quasiment autour de zéro. On n’avait pratiquement pas de téléphones à fil classiques. Mais avec l’avènement du cellulaire, on a assisté à un boom extraordinaire. Aujourd’hui, on parle de près de 700 millions d’utilisateurs sur le continent africain, avec un taux de pénétration à 97 %. C’est énorme. En Côte d’Ivoire, par exemple, nous en sommes même à 128 %, alors qu’en France on est à 99 % de taux de pénétration des cellulaires. Cela a permis bien évidemment d’établir des liens, et c’est plutôt heureux. Mais il n’y avait pas que le bon usage. Les extrémistes aussi ont su s’en servir.
Outre le cellulaire et la mort du colonel Khadafi, un troisième élément important est intervenu, c’est le changement climatique. Celui-ci a induit des conséquences terribles dans la région, car les populations se sont retrouvées complètement démunies, ayant perdu leurs moyens de production. Cette population, en majorité jeune, s’est retrouvée pratiquement sans moyens de subsistance. Et donc potentiellement vulnérables, ce qui fera par la suite le lit de ce que l’on appelle l’extrémisme violent.
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Conflits religieux et
passage du G5 au G2
Conflits religieux et
passage du G5 au G2
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Le quatrième élément à considérer est que dans nos pays de la bande sahélienne, on a assisté dans le même temps à l’arrivée de prêcheurs d’un style nouveau. Vous savez que dans la région, le courant religieux dominant est l’islam malikite. Et à partir de ce moment, on a commencé à assister à des conflits religieux, ce qui évidemment n’a pas du tout aidé à la résolution de ces crises. Finalement, comme vous le voyez, c’est un puzzle que je suis en train de reconstituer. Il ne manquait plus que le « courageux kamikaze » pour que cela explose.
Donc, à partir de ce moment, nous les États de cette région, nous sommes retrouvés confrontés à ce que l’on appelle « l’hydre terroriste » et il fallait, avec les moyens du bord, faire face à cette menace devenue pratiquement commune à l’ensemble des pays de la région.
C’est ce qui explique la mise en place de ce qu’on appelle le G5 Sahel, puisque, à l’analyse, nous nous sommes rendus compte qu’aucun pays pris isolément ne saurait faire face à cette menace et qu’il fallait donc mutualiser nos moyens.
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Continuité de la coopération
entre États de la région
Continuité de la coopération
entre États de la région
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Les contingences politiques dans la région ont eu raison de ce bel outil du G5 Sahel qui a éclaté et qui finalement aujourd’hui est devenu le G2, puisqu’il ne reste plus que la Mauritanie et nous mêmes, le Tchad. Mais toujours est-il que nous continuons à travailler avec l’ensemble des pays de la région, y compris les pays qui ont dû quitter la structure.
Nous continuons à parler, dialoguer et échanger de manière que les uns et les autres puissent s’entendre sur ce qui pourrait l’être et permettre à ce que les uns et les autres – comme on le dit Afrique – reviennent à la Maison du Père.
Cela peut paraître un peu bizarre, mais c’est ce qui explique d’ailleurs que malgré notre séparation, l’on puisse mener des opérations militaires conjointes, comme les récentes manœuvres « Amour de la patrie » que nous avons déployées à la fin mai dans la région des Tilia, au Niger, dans cette fameuse boucle que l’on appelle la région des trois frontières – Burkina, Mali, Niger.
Cette opération s’est faite également en accord avec un pays comme le Togo, qui n’est pas géographiquement sur la bande du Sahel, mais comme vous le savez les pays du Golfe de Guinée aussi sont dans la ligne de mire des terroristes. D’où la participation d’un pays comme le Togo à cette opération.
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Assécher le phénomène terroriste
en soutenant le développement
Assécher le phénomène terroriste
en soutenant le développement
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Dans tous les cas, si nous pensons que les opérations militaires sont utiles pour faire face à la menace et pour sécuriser la population, nous considérons aussi aussi que les questions du développement recèlent les solutions durables à la crise du Sahel et c’est en cela que nous travaillons énormément avec l’Union européenne, avec le programme de développement sur l’ensemble des pays de la bande du Sahel.
Résoudre la question, c’est trouver des solutions aux problèmes de développement de manière à assécher le phénomène à la base, si tant est que cela soit possible.
Les gens qui rejoignent les rangs terroristes ne sont pas des extraterrestres, ce sont des gens comme vous et moi ; Il faut donc chercher à comprendre pourquoi ils y vont. Sans doute que le bâton à lui seul ne suffit pas, et qu’il faut à la fois le bâton et la carotte.
C’est un peu notre lecture, et nous savons que c’est une lutte dans laquelle nous sommes engagés probablement pour longtemps. Je ne vais pas être pessimiste en disant que c’est une lutte de génération, mais toujours est-il qu’il s’agit d’une question difficile à laquelle nous travaillons avec les moyens qui sont les nôtres et bien évidemment, avec l’appui et l’accompagnement de nos partenaires bi et multilatéraux.
Nous pensons qu’avec cet engagement, nous pourrons éventuellement non pas vaincre, mais « mitiger » le phénomène, comme on dit aux Nations Unies… Aujourd’hui, la situation est dramatique et je pense qu’il est urgent pour la communauté internationale d’avoir l’œil sur cette région. Pour notre part, nous avons l’impression que la hiérarchie de la compassion n’est pas la chose la mieux partagée au monde, selon que l’on soit situé au Nord ou au Sud. Comme disent les journalistes, « La mort au kilomètre est la règle »…
Toujours est-il que nous sommes dans un monde globalisé, et nous avons en commun l’avenir de l’humanité. Nous avons ainsi tout intérêt à travailler ensemble pour faire face à ces défis qui nous concernent en tant qu’États voisins, mais que nous partageons bien évidemment avec le reste du monde. Nous appelons bien évidemment la communauté internationale à nous garder dans l’agenda de manière que l’on puisse faire face tous ensemble à cette menace. »
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REPLAY CMAAP 13 / Beau succès de la XIIIe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, organisée à la Salle Colbert de l’Assemblée nationale