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# CAPP MAROC-AFRIQUE / Lionel ZINSOU, ancien PM du Bénin : « L’adhésion du Maroc à la Cedeao est fondamentale, l’Afrique a besoin d’un Maroc qui est en avance de phase »

28 juin 2019
# CAPP MAROC-AFRIQUE / Lionel ZINSOU, ancien PM du Bénin : « L'adhésion du Maroc à la Cedeao est fondamentale, l'Afrique a besoin d'un Maroc qui est en avance de phase »
C’est à l’occasion de sa participation au panel de haut niveau de la conférence « Le Maroc, une ambition d’émergence avec l’Afrique », organisée le 11 juin à Paris par le CAPP* et www.AfricaPresse.Paris, que Lionel ZINSOU nous a accordé cet entretien exclusif. Au menu, notamment : les (bons) ingrédients de l’émergence pour l’Afrique ; le Maroc qui « est sur la bonne voie » et son intégration à la Cedeao ; l’investissement, l’épargne, la tertiarisation créatrice des futurs emplois…

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Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica

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À propos des éventuelles perspectives d’émergence, on entend parfois dire que « l’Afrique, ce n’est pas pareil… ». Et cela signifie en fait qu’elle ne saurait aller vers l’émergence, à cause de certaines « spécificités », d’ailleurs pas toujours nommées. Qu’en pensez-vous ?

Lionel ZINSOU - En effet, on constate aujourd’hui encore un grand déni à ce sujet, mais les pays africains sont clairement en voie d’émergence ! Il s’est passé quelque chose, c’est un fait, un peu à l’inverse de ce que prévoyait dans les années 1960-1970 l’École d’économie de Dakar, dont on se rappelle la fameuse formule-clé, désormais controuvée : « Il ne peut y avoir de développement que du sous-développement ». Autrement dit, leur postulat était que jamais le capitalisme ne laisserait les rapports impérialistes décliner.

Nous sommes aujourd’hui majoritairement en rupture avec cette analyse, même si certains, notamment chez les altermondialistes, restent dans la perpétuation du même raisonnement : l’économie mondiale, c’est d’abord l’échange inégal, la mondialisation a ses vainqueurs et ses vaincus, les pays les plus pauvres sont des victimes de la mondialisation…
Reste aussi un môle de résistance sur le thème que « l’Afrique, ce n’est pas pareil ! » Car les Africains ne sont pas des Singapouriens, pas des Dubaïotes, pas des Chinois, pas des Brésiliens… les Africains sont ceux qui ne seront jamais développés ! Cela reste un thème fort.
Bien sûr, je n’adhère pas du tout à ces balivernes ! Pour moi, les pays africains sont en voie d’émergence de façon très claire. À des niveaux de développement évidemment différents.

Certains disent aussi que le processus vers l’émergence exige tellement de paramètres synchrones que ce serait un vrai casse-tête… chinois ! Qu’en pensez-vous ?

Lionel ZINSOU – Je considère que le concept d’émergence est au fond assez simple, nul besoin de chercher à le compliquer !
Mais si on veut le rattacher à la théorie économique, on peut regarder les travaux de Paul Romer, le prix Nobel 2018 d’économie, sur la croissance durable. Il est assez clair sur le fait qu’il y a des « recettes » de croissance, mais qu’il ne faut pas se tromper sur la pondération des facteurs : oui, la fonction de production est l’addition du capital et du travail, mais il faut prendre au sérieux le troisième facteur, celui de la connaissance.

Paul Romer insiste énormément sur le fait que l’éducation, la santé, la capacité d’innover, le progrès technologique… tous ces éléments plus immatériels, et un peu plus compliqués à mesurer que le capital et le travail, sont en réalité les éléments essentiels de la croissance. Donc à mobilisation égale de ressources de travail et de capital, vous avez des performances qui vous conduisent plus ou moins vite sur la trajectoire du développement, et donc de l’émergence.
Et puis, Paul Romer observe avec pertinence que de toutes les ressources nécessaires à mobiliser pour se développer, pour émerger, une seule est illimitée et même extensible à l’infini, c’est la connaissance !
Alors que toutes les autres ressources sont rationnées – les matières premières, la population active, les capacités agricoles, les ressources naturelles, les disponibilités en liquidités, en capital prêt à prendre des risques, etc. – tout cela est rationné dans le monde et donc ce sont des freins à la croissance. Sauf la connaissance !

Donc l’accroissement de la connaissance, au sens large, peut être considéré est un invariant structurant pour accélérer le mouvement vers l’émergence ?

Lionel ZINSOU - Tout à fait ! On touche ici au rôle des politiques publiques en Afrique pour mettre en cohérence les ingrédients de la performance vers l’émergence, et c’est un fait que la plupart sont désormais très orientées vers le développement des connaissances.
Évidemment, si l’on veut installer des ordinateurs partout et développer des moocs dans les écoles, il faut de l’électricité ! Mais aujourd’hui les modèles techniques et économiques d’une électrification décentralisée se mettent en place. Surtout, grâce au numérique, ce n’est plus de la science-fiction de penser que l’on pourra à la fois élever la qualité et abaisser le coût marginal de l’éducation et de la formation professionnelle en Afrique.
Tous les instruments sont en place pour que la connaissance, ce troisième facteur de l’émergence, devienne l’ingrédient le plus décisif.

Une vue de l’historique salle Lumière de l’Hôtel de l’Industrie – où fut projeté le premier film de l’histoire du cinéma –, qui accueillait la conférence de haut niveau « Le Maroc, une ambition d’émergence avec l’Afrique », organisée mardi 11 juin à Paris par le CAPP* et AfricaPresse.Paris. © Frédéric Reglain

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Lors de notre conférence du 11 juin, vous avez déclaré que « le Maroc est sur la bonne voie… » de l’émergence. Comment ?

Lionel ZINSOU - Le Maroc est tout à fait sur la bonne voie parce que les volontarismes publics infrastructurels de ces dernières années vont prochainement produire leurs effets positifs. Je pense par exemple au volontarisme énergétique, avec la construction de centrales solaires et de fermes éoliennes, qui ont représenté un effort considérable d’investissement, mais qui vont permettre un changement de mix énergétique dont on percevra les effets positifs sur vingt ans.

On peut évoquer aussi le port de Tanger et Tanger Med II, dont la construction a généré des emplois seulement pendant quelque cinq ans, mais dont les activités des zones industrielles alentour seront très productives d’emploi. Pour l’instant, l’Europe fait fonction d’arrière-pays de Tanger Med, dont la vocation est d’être un port d’éclatement vers l’Afrique. Mais plus la demande africaine forcira, plus s’amplifiera la création d’emplois tertiaires – peu intensifs en capital mais très intensif en travail, contrairement à la création d’infrastructures ou à la modernisation de l’agriculture, qui est même destructrice d’emplois.

D’ailleurs aujourd’hui, si on observe la situation non pas en termes de population active mais en termes de part de PIB, l’Afrique est plus tertiaire qu’elle n’est agricole ou dépendante des matières premières.
Cela peu paraître une contre-vérité, mais en réalité l’Afrique est aujourd’hui déjà un continent d’économies tertiaires. Et cela va créer de l’emploi parce que dans le tertiaire le contenu en emploi par unité de PIB est élevé.

Comment peut-on accélérer ce mouvement de tertiarisation et générateur d’emploi ?

Lionel ZINSOU – Tout le problème tient à la nécessité de devoir commencer par financer les infrastructures très gourmandes en capital et peu génératrices d’emplois, avant un certain temps.
Aujourd’hui, on voit bien que nous sommes dans la phase où on brûle du capital sans créer d’emploi. Mais c’est une période incontournable, car avant d’être capable de créer des emplois, il faut avoir mis en place l’électricité, l’eau, les routes, les ports, les aéroports… En même temps, on voit bien aussi que le niveau d’employabilité des gens s’améliore, avec une meilleure éducation, plus de jeunes recevant une formation universitaire

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Lionel ZINSOU lors de l’une de ses interventions. © Frédéric Reglain

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Pourtant les jeunes diplômés subissent le taux de chômage le plus élevé…

Lionel ZINSOU - Hélas oui, cette phase intermédiaire risque de durer encore dix ans. C’est pourquoi il est urgent de passer à des politiques publiques totalement tournées vers l’augmentation de l’emploi. L’économie produit spontanément des emplois informels. On dépassera ce stade par une forte augmentation de l’investissent et par l’innovation technologique.
C’est un travail de longue haleine parce que vous ne créez pas un secteur manufacturier ou tertiaire moderne très rapidement. Vous avez besoin d’infrastructures, de capital, d’une population active formée, d’ingénieurs, de cadres intermédiaires, de techniciens… et de capitaines d’industrie – n’oublions pas les entrepreneurs !

C’est donc par une combinaison de nombreux facteurs que l’on avance ! Mais c’est possible ! Voyez les réussites remarquables du Maroc, dans des secteurs d’activité inexistants il y a vingt ans : une filière automobile complète dont le taux d’intégration progresse, une filière aéronautique forte, une filière florissante de composants électroniques…

Vous évoquez la filière automobile, dont on peut considérer qu’elle a rencontré un succès fulgurant, puisqu’elle est devenue en sept ans le premier poste d’exportation du Maroc, devant les traditionnels phosphates…

Lionel ZINSOU - Dans ce cas, on constate que le Maroc a avancé très vite sur la construction de l’offre, en s’appuyant sur la demande européenne. C’est un réel grand succès, mais on n’a encore rien vu : le marché automobile africain va entrer dans une phase où il progressera de 10 % l’an, à la chinoise ! On peut pronostiquer qu’avec celles de quelques autres pays – Afrique du Sud, Nigeria, Égypte… – l’industrie automobile marocaine est bien partie !

Alors que beaucoup évoquent le retour du risque de surendettement de l’Afrique, vous affirmez que l’Afrique est « dramatiquement sous-endettée ». Expliquez-nous…

Lionel ZINSOU – Aujourd’hui le capital disponible est fortement consommé par l’effort d’investissement public et privé dans les infrastructures de transport et autres, mais aussi sociales – il faut bien des écoles et des hôpitaux, etc.
De ce fait, nous sommes confrontés à une grande rareté du capital disponible pour l’entreprise, et là on retombe sur la dramatique problématique du sous-financement : il n’y a pas de crédit privé, on n’a pas d’instruments suffisants.
Le crédit aux ménages et au secteur privé en Afrique, hors Afrique du Sud et Maroc, ne représente même pas le cinquième de ce qu’il pèse dans le PIB des économies avancées. Quelques États sont surendettés, mais toutes les entreprises sont sous-financées, en capital et en dettes.
Il va donc falloir développer des instruments financiers pour accélérer l’industrialisation, car c’est là et dans le tertiaire que se trouvent les gisements d’emplois de demain.

Pourquoi est-il si difficile d’attirer les investisseurs étrangers en Afrique, dont on estime les besoins de financement non satisfaits autour de 50-60 milliards d’euros par an ?

Lionel ZINSOU – Vous évoquez les IDE, ces investissements directs étrangers qui captent le plus souvent toute la lumière médiatique… mais ils ne représentent qu’à peu près que 4 % du PIB de l’Afrique ! En réalité, le financement du Continent est d’abord endogène, c’est l’Afrique qui finance l’Afrique ! Avec un taux moyen national d’épargne qui s’élève à 25 % du PIB…
Ce qui manque, c’est la mobilisation économique de l’épargne, et aussi des transferts importants de la diaspora, cela d’autant plus que l’on sait aujourd’hui comment la diaspora chinoise s’est révélée être un vecteur considérable du succès chinois.

Certains critiquent le souhait du Maroc d’intégrer la CEDEAO, au motif qu’il étoufferait dans l’œuf les débuts d’industrialisation de certains autres pays membres. Qu’en pensez-vous ?

Lionel ZINSOU – Pour moi l’adhésion du Maroc à la Cedeao est fondamentale ! Les peurs que vous évoquez relèvent des fantasmes classiques, du même ordre que les peurs européennes lorsqu’il s’est agi de faire entrer la Grèce, le Portugal ou l’Espagne dans l’UE, avec l’idée que les faibles revenus des paysans de ces pays allaient provoquer la faillite de l’agriculture des autres pays… En Afrique comme en Europe, le protectionnisme est une des idées les plus faciles à faire partager, et de toutes les idées fausses, une des plus populaires !

Mais en vérité, l’Afrique a besoin d’un Maroc qui est en avance de phase, d’un Maroc qui puisse accéder à tout le marché de la Cedeao, et qui soit lui-même un débouché pour les produits industriels que l’Afrique pourra lui destiner, aussi facilement qu’elle le fait aujourd’hui vers l’Europe et vers la Chine… Et puisque j’évoque la Chine, notez cette autre vérité contre-intuitive que je vous livre, en conclusion : le seul continent aujourd’hui en excédent sur la Chine, c’est l’Afrique !

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Les personnalités participant à la conférence de haut niveau « Le Maroc, une ambition d’émergence avec l’Afrique », organisée mardi 11 juin à Paris par le CAPP* et AfricaPresse.Paris. De gauche à droite : Khaled IGUÉ, Président du cercle de réflexion CLUB 2030 AFRIQUE, ancien Directeur des Partenariats publics Afrique de l’OCP ; Karim BERNOUSSI, PDG fondateur d’INTELCIA, entreprise marocaine implantée en Afrique subsaharienne et en Europe ; Youssef ROUISSI, Directeur général adjoint Finances et Investissement du Groupe ATTIJARIWAFA BANK (AWB) ; Madame Rima LE COGUIC, Directrice Afrique de l’Agence française d’Investissement (AFD) ; Mohcine JAZOULI, Ministre marocain délégué aux Affaires Africaines ; Madame Marie-Ange DEBON, Directrice générale France, DGA Groupe SUEZ, co-Présidente du Club des Entrepreneurs France-Maroc de MEDEF International ; Alfred MIGNOT, Président du Club Afrique de la Presse Parisienne (CAPP), Directeur de Africapresse.Paris, modérateur de la conférence. Étienne GIROS, Président délégué du Conseil français des Investisseurs en Afrique (CIAN), Président de l’European Business Council for Africa and Mediterranean (EBCAM) ; Lionel ZINSOU, ancien Premier ministre du Bénin, Directeur associé fondateur de la banque d’affaires Southbridge, dédiée à l’Afrique. © Frédéric REGLAIN.

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